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Jean-Louis Roux, un paratonnerre utile pour un passé qui ne passe pas

Jean-Louis Roux s'en est allé en cette fin de novembre 2013 sans avoir reçu d'excuses pour avoir été traité de nazi il y a 17 ans lors d'un autre triste mois de novembre pour ses proches. Le phénomène en dit long sur les rapports troubles qu'entretient la société québécoise avec la Seconde Guerre mondiale.
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Jean-Louis Roux s'en est allé en cette fin de novembre 2013 sans avoir reçu d'excuses pour avoir été traité de nazi il y a 17 ans lors d'un autre triste mois de novembre pour ses proches. Le phénomène en dit long sur les rapports troubles qu'entretient la société québécoise avec la Seconde Guerre mondiale.

Rappelons les faits. Au début de novembre 1996, les Québécois apprennent que leur nouveau lieutenant-gouverneur général, le comédien bien connu Jean-Louis Roux, a arboré une croix gammée dans sa jeunesse au coeur de la guerre contre Hitler et le nazisme. Aussitôt une tempête politique éclate autour de son passé. Pour tout dire, une campagne de désinformation se met alors en place.

Dans la presse de langue française, la réprobation à l'égard du lieutenant-gouverneur constitue le dénominateur commun. La fureur y côtoie la complaisance et les commentaires tièdes si bien que la quantité de renseignements déversés à l'intérieur de ce spectre noie les quelques remarques qui tentent de ramener l'affaire à de plus justes proportions. De manière caricaturale et fausse, Jean-Louis Roux est dépeint comme un ancien nazi ou un ex-sympathisant des nazis qui portait fièrement la croix gammée au milieu des décombres.

Dans le lot des contributions déposées sur l'autel, celle des historiens n'est pas des moindres. Usant et abusant d'un statut où, si l'envie s'en manifeste, il est possible de formuler une chose pour qu'elle devienne réalité, un quarteron d'historiens officialise cette entreprise de récupération politique pendant que d'autres parmi leurs collègues se taisent et laissent faire.

L'emphase dans cette polémique n'est donc pas mise sur le climat intellectuel des années 1930 et 1940 ou sur l'influence d'institutions comme Le Devoir ou sur l'emprise qu'exerçaient alors les collèges classiques et le penseur Lionel Groulx. « L'analyse », si l'on peut parler ainsi, est concentrée sur le parcours d'un seul homme, ancien étudiant à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, lequel est vu désormais comme un utile paratonnerre sur lequel peut se fixer la vindicte.

Mais replongeons-nous un instant pour y voir clair au coeur de cette période, celle où Roux, qui est alors âgé de 19 ans, commet son geste. La croix gammée qu'il dessine en 1942 sur son sarrau de laboratoire ne signifie évidemment pas un ralliement à l'obsession raciste d'Adolf Hitler. Elle n'est pas non plus une forme d'appel à la victoire des forces de l'Axe. Le jeune homme n'est ni un militant nazi, ni un membre des Jeunesses hitlériennes. Tout périphérique qu'il soit, son comportement a toutefois un sens, mais qui dépasse le seul comportement individuel pour revêtir au fond une dimension plus collective.

Une image vaut 1000 mots. Cette croix gammée qu'il griffonne d'un trait sur sa blouse de laboratoire en est un exemple. Le choix de dessiner cet emblème sur son uniforme blanc traduit l'indifférence et l'insensibilité face à la guerre de la part d'un jeune aux idées réactionnaires et fascisantes. Il y a chez lui une volonté d'actualiser l'air du temps en se bidonnant de ceux qui interpellent les Canadiens français sur les supposés vrais enjeux du conflit. Avec une effronterie assez particulière à son âge, le jeune lecteur du Devoir les envoie paître ces propagandistes qui cherchent à les émouvoir.

Ce Canadien-français de bonne famille a appris de ses maîtres et de son journal que tout ce qui perturbe ou qui tente de faire s'écrouler son système mental doit être vu comme de la propagande. En prenant son crayon, il ressert leur médecine aux fourbes diffuseurs de fausses publicités, et notamment à tous ces créateurs d'affiches où le svastika est montré comme la grande réalité que les Canadiens français se doivent également de combattre. Devant ses camarades, Roux prouve par son audace qu'il n'est pas dupe des mensonges qui associent cette guerre à un combat pour la liberté et il leur montre l'étoffe dans laquelle il est fait.

C'est donc sur leur terrain que le jeune étudiant renvoie aux « propagandistes bellicistes » le symbole qu'ils utilisent pour mousser leur prétendue guerre juste. Car lui Jean-Louis Roux, comme bien d'autres, sait que le conflit en cours sert au contraire les intérêts impérialistes de la Grande-Bretagne.

La bravade se limite aux quatre murs du laboratoire de l'université et dure le temps qu'il reste à l'année 1942. Décontracté, le jeune homme se laisse même photographier avec le svastika sur sa manche alors qu'il travaille avec un confrère de classe. Sur le cliché, il semble indifférent face à l'effet qu'il produit, tout absorbé qu'il est par l'expérience à laquelle il se livre.

Plus d'un demi-siècle plus tard, l'histoire le rattrape cependant, mais de manière plus tordue que le geste qu'il a commis. La controverse de novembre 1996 crée vite le vide autour de lui. Quelques jours seulement après son éclatement, Roux qui est assailli de toutes parts et qui est laissé à lui-même choisit au bout du compte de démissionner. Il en ressort profondément meurtri.

Jean-Louis Roux a ainsi payé pour tous les autres. Il a servi de paratonnerre pour faire l'économie d'une véritable discussion publique sur cette période.

Mais la société québécoise n'a pas gagné, elle non plus, avec ce faux scandale. Malgré le silence qui pèse désormais sur l'épisode, l'affaire Roux pose avec acuité le problème du rapport de mémoire qu'entretient le Québec avec certaines pages dérangeantes du passé, des chapitres d'histoire tels que la question de l'antisémitisme, de l'appui à Vichy et de la crise de la conscription. Bien qu'elle n'en reçoive pas le crédit, l'affaire Jean-Louis Roux symbolise le refus de l'introspection critique face à un passé qu'il faudra bien un jour affronter sans avoir recours constamment à l'argument à l'effet qu'il y a eu nombre de Canadiens français qui se sont aussi portés volontaires durant cette guerre.

Pour ceux et celles qui voudraient en savoir davantage à propos de cette affaire qui est si révélatrice, j'ai fait paraître un ouvrage l'an dernier sur le sujet. Il s'intitule « L'affaire Jean-Louis Roux. Lynchage autour d'un svastika ».

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