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L'Union européenne face aux référendums d'indépendance: un saut dans l'inconnu?

Une éventuelle victoire indépendantiste lors du référendum écossais ouvrirait la voie à la naissance d'un nouvel État nation, qui serait diplomatiquement dans les «limbes», c'est-à-dire dans l'attente d'une reconnaissance internationale et européenne.
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Le référendum sur l'indépendance de l'Écosse place l'UE dans une situation inédite, qu'il convient d'appréhender sur la base de considérations à la fois juridiques, politiques et diplomatiques.

1. L'UE observe une prudence obligée face aux volontés d'indépendance « régionales »

L'éventuelle proclamation d'indépendance de l'Écosse, qui ne constitue à ce stade qu'une « région » de l'UE, serait pour cette dernière un défi sans précédent, et dont la perspective l'incline triplement à la prudence.

La CEE a été confrontée à la proclamation d'indépendance de 2 territoires appartenant à l'un de ses États membres (l'Algérie dans les années 60, le Groenland dans les années 90), mais cette indépendance était assortie d'une volonté de ne plus faire partie de la construction européenne. Le référendum d'indépendance prévu en Écosse est à l'inverse organisé par des dirigeants qui souhaitent que leur nouvel État reste dans l'UE, et qui sont d'ailleurs souvent très favorables à la construction européenne. La victoire éventuelle du « oui » créerait donc une situation inédite pour les dirigeants de l'UE, qui ne peuvent s'appuyer sur une jurisprudence claire pour formuler ce que seraient leur réaction et celles des États membres.

Leur prudence découle aussi de la neutralité observée par l'UE à l'égard de la vie politique interne de ses États membres. L'article 4.2 du Traité sur l'Union européenne établit ainsi que « L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale ». Cela signifie que les États membres s'organisent comme ils le souhaitent (l'Espagne est régionalisée, l'Allemagne et la Belgique ont un système fédéral, etc.) et que l'UE n'a pas vocation à interférer dans les débats relatifs à leurs structures constitutionnelles, y compris pour dire qu'une très large autonomie interne serait préférable à une indépendance pure et simple. Cela signifie aussi que l'UE ne devrait envisager d'adapter ses relations avec ces États que lorsque leurs structures auraient été profondément modifiées suite à une proclamation d'indépendance, et qu'elle ne peut dès aujourd'hui réfléchir ouvertement à un tel « plan B ».

La prudence relative de l'UE découle sans doute enfin d'une difficulté à « lire et approuver » un séparatisme régional qui prend à rebours l'idée bruxelloise selon laquelle « l'union fait la force ». Même s'ils professent « l'unité dans la diversité », la plupart des dirigeants de l'UE sont par nature circonspects face à des aspirations identitaires qui paraissent anachroniques à l'heure où la mondialisation appelle à regrouper ses forces pour être davantage influents face à des puissances comme la Chine, la Russie, les États-Unis, le Brésil, etc. Ils ne peuvent cependant que constater que les aspirations indépendantistes rencontrent un réel écho politique dans plusieurs pays de l'UE, et qu'elles s'expriment par des voies démocratiques. Il serait donc particulièrement délicat pour eux de prendre position dans un référendum qui aura au moins le mérite de vérifier si une majorité des citoyens concernés est favorable ou non à la création de nouveaux États nations sur le sol européen.

2. Les États proclamant leur indépendance devraient négocier leur adhésion à l'UE

La non-immixtion de l'UE dans la vie interne de ses États membres a une contrepartie logique : c'est le Royaume-Uni qui est membre de l'UE, et non l'Écosse. Si cette dernière décidait d'une séparation, elle formerait un tout nouvel État qui n'aurait pas la garantie de devenir membre de l'UE, avec laquelle il devrait négocier son adhésion.

Ces négociations d'adhésion pourraient se dérouler en parallèle de celles conduites entre l'« État indépendantiste » et son État actuel, pendant une période où il demeurerait membre de cet État, et donc de l'UE. Elles pourraient avoir lieu pendant ou après une période de transition de plusieurs trimestres ouverte par une « déclaration d'indépendance » (consécutive à une victoire au référendum) et conclue par une « proclamation d'indépendance » consacrant la naissance formelle d'un nouvel État.

La forte interdépendance économique, financière et humaine établie entre l'Écosse, le reste de son État d'appartenance et l'UE pourrait plaider en faveur d'une solution constructive. Le sort réservé aux actuels « citoyens européens » de cette région serait sans doute invoqué, y compris auprès de la CJUE, même si celle-ci pourrait confirmer qu'être citoyen de l'UE présuppose d'être citoyen de l'un de ses États membres. Le fait que l'acquis communautaire soit d'ores et déjà pleinement appliqué en Écosse pourrait faciliter la conduite des négociations d'adhésion, même si ces dernières devraient aussi revoir les équilibres complexes établis en termes de poids institutionnel des États membres et de relations financières avec l'UE.

3. Les conditions de naissance de possibles nouveaux États pèseront fortement sur leurs relations futures avec l'UE

Une éventuelle victoire indépendantiste lors du référendum écossais ouvrirait la voie à la naissance d'un nouvel État nation, qui serait diplomatiquement dans les « limbes », c'est-à-dire dans l'attente d'une reconnaissance internationale et européenne qu'il n'aurait aucune garantie d'obtenir : il s'agirait en effet d'une « naissance-divorce », accueillie en fonction des conditions particulières dans lesquelles elle survient.

Le premier élément d'incertitude concerne la nature exacte du divorce avec l'État d'appartenance : si, comme en Écosse, il intervient à l'issue d'un référendum accepté dans son principe par l'État central et sur la base d'un compromis contractuel, il est possible que cet État central puisse se résoudre à reconnaître son nouveau voisin, puis à ne pas faire obstacle à sa volonté d'adhésion à l'UE. Dans le cas d'une indépendance conflictuelle sur la forme (principe du référendum) comme sur le fond, comme cela semble être le cas en Catalogne, la bienveillance de l'État membre s'estimant bafoué serait beaucoup plus hypothétique, même si la nécessité de trouver les voies d'une coexistence mutuellement bénéfique pourrait inciter au pragmatisme.

Le second élément d'incertitude porte sur l'attitude adoptée par les autres États membres à l'égard de « l'État indépendantiste ». Les 5 pays de l'UE n'ayant pas reconnu l'indépendance du Kosovo ont un point commun : celui de vouloir endiguer des séparatismes plus ou moins prononcés, puisqu'il s'agit de l'Espagne (Catalogne), de Chypre et de la Grèce (République turque de Chypre du Nord), mais aussi de la Roumanie et de la Slovaquie (qui comptent d'importantes minorités hongroises). Cette position de principe peut-elle préjuger de leur attitude à l'égard de la volonté d'indépendance de l'Écosse et de leur volonté de ne pas créer un précédent en acceptant son adhésion à l'UE ?

Au total, la victoire du « oui » lors du référendum écossais conduirait l'UE soit à accepter un nouvel État membre, soit à négocier avec lui des « relations spéciales » du même type que celles établies avec les pays membres de l'espace économique européen ou la Suisse, soit à le classer dans la catégorie des pays bénéficiant de la « politique européenne de voisinage ». Cela ne constituerait donc pas un saut dans « l'inconnu » pour l'UE, même si l'engagerait dans des négociations qu'elle préférerait largement éviter compte tenu de l'ampleur des autres défis économiques, sociaux et géopolitiques qu'il lui faut relever au cours des prochains moins.

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