Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Ouverture des frontières à Cuba, les futurs voyageurs entament "le rituel de la valise"

CUBA - Lundi 14 janvier la nouvelle loi de réforme migratoire est entrée en vigueur, promettant ainsi plus de souplesse pour sortir ou entrer dans le pays. Les procédures pour voyager deviendront de moins en moins pénibles et seront plus accessibles financièrement. Mais il faut aussi lire les petites lignes, celles des articles 23 et 25 du décret...
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Translating Cuba

La nuit était douce, magnifique, immobile et bercée par l'éclairage de quelques décorations de Noël accrochées aux balcons et par la musique provenant des maisons. Alors que 2012 touchait à sa fin, on pouvait percevoir une effervescence toute particulière dans les avenues centrales du quartier de Vedado à La Havane. Munies de valises de toutes sortes -petites ou grandes, vieilles ou neuves- des dizaines de personnes y tournaient en rond: une pratique festive curieuse venue s'ajouter aux traditions existantes pour fêter la nouvelle année à Cuba.

Une vieille valise en bois comme on peut encore en trouver dans de nombreux foyers Cubains.

Au douzième coup de minuit, le 31 décembre, beaucoup s'emparent en effet de leur valise pour effectuer une petite promenade. Pendant des décennies, la tradition la plus répandue était de jeter de l'eau par-dessus les balcons, trempant alors les rues -ainsi que les trottoirs et les passants innocents- dans le but de nettoyer et faire disparaître les maux de l'année passée. Mais maintenant, nous avons de plus en plus l'habitude de sortir nous promener avec une valise. Et plus elle est grande, mieux c'est.

D'après les adeptes de cette nouvelle pratique, cela marche comme un charme pour réussir à voyager à l'extérieur du pays au cours de l'année à venir. Comme une sorte de rituel magique qui les aidera à réaliser leur rêve de découvrir d'autres endroits. Depuis cinq ans, un nombre grandissant de Cubains s'adonne à ce rite à la minute même où commence la nouvelle année. Un rite qui pourrait porter ses fruits en 2013 car en ce lundi 14 janvier la nouvelle loi de réforme migratoire entre en vigueur, promettant ainsi plus de souplesse pour sortir ou entrer dans le pays.

D'après le décret-loi numéro 302, annoncé en octobre dernier, les procédures pour voyager deviendront de moins en moins pénibles et seront plus accessibles financièrement. Ce qui explique pourquoi le rêve de beaucoup de pouvoir visiter un autre pays, de façon temporaire ou permanente, se fait de plus en plus ressentir.

Pendant des décennies, nous, les Cubains, avons attendu la fin des absurdités qui réglementent le voyage et l'immigration. Nous avons attendu la fin de ces restrictions sur la liberté de circulation qui touchent la plupart des familles cubaines, à des degrés différents. Des parents sont séparés de leurs enfants par des milliers de kilomètres et des montagnes de limitations légales. Des grands-parents ne voient jamais leurs petits-enfants parce que le gouvernement leur refuse l'autorisation de pénétrer sur l'île. Des frères et sœurs sont séparés pour toujours parce que l'un d'entre eux ne réunit pas les conditions pour obtenir la "carte blanche", le permis pour quitter le territoire.

LIRE AUSSI:

Avant, ceux qui demandaient la permission de partir devaient passer des tests politiques. Donc un individu qui était membre de n'importe quel groupe de l'opposition, qui s'était engagé dans le journalisme indépendant ou qui s'était adonné à quelque activité civique que ce soit voyait ses chances de partir grandement réduites. Les autorités ne laissaient ces gens quitter le territoire qu'à une seule condition: qu'ils acceptent de partir "définitivement", pour toujours, sans espoir de revenir.

Cette nouvelle loi génère donc de nombreuses attentes qui peuvent être vues partout. Comme sur Internet, où le nombre d'annonces immobilières a augmenté. De nombreuses propriétés deviennent le capital nécessaire pour commencer une nouvelle vie ailleurs. "Vendre pour partir" semble être le mot d'ordre de ceux qui attendaient ce moment depuis très longtemps.

Mais il y a aussi ceux qui veulent profiter de cette flexibilité pour s'installer temporairement à l'étranger dans le but de travailler. Les règles qui sont rentrées aujourd'hui en vigueur permettent précisément ce type de migration : une émigration économique qui maintient les liens avec l'île en permettant aux gens de continuer à envoyer de l'argent chez eux.

La mesure profitera aussi aux enfants qui ne pouvaient partir que si leurs parents étaient en mission spéciale dans un autre pays ou s'ils quittaient le territoire pour de bon. Cependant les professionnels qualifiés de "vitaux" pourraient bien faire face à d'importantes difficultés au moment d'accepter une invitation à voyager à l'étranger. Les athlètes de haut niveau, par exemple, seront toujours confrontés à des restrictions. Le personnel de santé publique estime de son côté que les contrôles diminueront. Des contrôles qui jusqu'à présent les forçaient à attendre cinq ans après le dépôt de leur requête pour être "libérés" car seul le ministre du secteur dans lequel ils travaillaient pouvait valider leur départ.

Comme à chaque réforme "rauliste" (du président Raul Castro), il est important de lire les petits caractères. Tout particulièrement dans le décret-loi numéro 302 où il faut faire particulièrement attention aux articles 23 et 25, des sections qui avertissent qu'un individu ne pourra pas obtenir de passeport ni quitter le pays "pour des raisons d'intérêt public tel que cela sera déterminé par les autorités responsables".

Les interprétations possibles de cette phrase sont à la fois si variées et si vagues qu'elles ne posent aucune limite. La question principale que beaucoup se posent est de savoir si de telles restrictions seront appliquées aux dissidents Cubains. Est-ce que ceux qui se trouvent sur la liste noire aujourd'hui le seront toujours demain? Est-ce que faire partie de l'opposition sera toujours un des obstacles qui empêchent d'obtenir ce document à la couverture bleue marquée du blason de la république, indispensable pour traverser nos frontières?

Tout indique, du moins à ce stade, que les choses resteront comme elles sont aujourd'hui. De ce fait, la nouvelle loi ne mentionne pas le voyage comme un droit inhérent à tous les citoyens du simple fait qu'ils soient nés sur le territoire cubain. Le permis de sortir du territoire devient un permis pour obtenir un passeport mais restera un privilège, un cadeau.

Avec tant d'incertitudes qui planent au-dessus de nos têtes, la chance et les formules magiques sont les bienvenues. Tous ceux qui espéraient se rendre au bureau de l'immigration en ce 14 janvier pour prendre un nouveau départ se sont donc promenés le 31 décembre dernier une valise à la main, prenant ainsi part à un rituel rempli d'espoir.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.