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Il n'y a rien, ou alors si peu, sinon cette boule blanche qui nous apparaît changée, différente à hier. Et je salue ces gens, qui regardent le ciel encore, comme pour la première fois.
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Ce soir, la rue est là qui rêve avec moi. Je ne suis plus seul à regarder ce ciel, le nez planté dans les étoiles diaphanes de Montréal. La lune se donne en show, mais cette fois elle a une foule qui lui rend honneur. Elle était pleine il y a quelques heures à peine et là, elle a disparu. M'enfin non, on dit qu'elle n'est plus là, mais c'est faux. Chaque nuit elle est là, plantée dans le ciel, mais parfois on ne sait pas la voir. Et ce soir, on dirait qu'elle s'éclaire à la chandelle, la lune, comme enfouie dans la noirceur et blottie dans le reflet rougeâtre d'une bougie. Peut-être que c'est une bougie aromatisée. Qui sait si ça sent la cannelle cette nuit, sur la lune?

Au coin de la rue, une femme joue l'Amélie Poulain de Yann Tiersen sur le piano public. Elle connaît le répertoire par cœur et elle joue, en boucle. Parfois, elle aussi lève les yeux au ciel. Il y a une seconde lune au-dessus de sa tête, un lampadaire tout rond qui fait briller ses touches d'ivoire. C'est son tour de faire une ode à la lune, un peu plus de 200 ans après Beethoven. Il faut savoir attendre son heure, après tout.

Les voisins font l'aller-retour de leur appartement à la rue, échangent entre eux quelques mots. Certains se parlent pour la première fois, surpris de ce remuement qui les habite. Certain que c'est beau, ça arrive une fois chaque 250 ans. Les gens ont besoin de ça, parfois: le sentiment d'assister à quelque chose d'unique. Quelque chose qui n'arrive qu'une fois dans une vie. J'espère que mon voisin sait que cette femme qui est là, blottie dans ses bras, souriant au ciel, est un bonheur qui n'arrivera peut-être qu'une fois dans sa vie.

Certains restent sur le balcon et de part en part de la rue les voix fusent, petites lucioles sonores. Le temps est doux ce soir, mélancolique, et la rue est pantin du ciel, suspendue aux fils invisibles de ce satellite, enfin remercié pour toutes ces années à nous tourner autour. Les Bixi roulent en sens inverse et les piétons empruntent la rue. La marée est basse.

Le chien du voisin ne regarde pas le ciel, mais il ne jappe pas ce soir. Ce doberman confiné à son petit tertre de bitume. Il aurait pu connaître une plus belle vie que ces allers-retours fous à hurler sur les passants, mais ce soir, il regarde les gens qui regardent le ciel, paisible. On dirait qu'il rêve, lui aussi.

Le répertoire d'Amélie Poulain n'y est pas encore passé au complet. La voisine d'en face enfile les cigarettes et tousse, le téléphone planté sur l'épaule. Il ne fallait pas qu'elle soit seule, ce soir, pas devant un tel spectacle. Mais il n'y a rien, ou alors si peu, sinon cette boule blanche qui nous apparaît changée, différente à hier. Et je salue ces gens, qui ce soir regardent le ciel encore, comme pour la première fois.

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