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La ville aux 1000 clochards

Malgré toute cette splendeur blanchâtre et l'effervescence festive dans les rues et les commerces, nous sommes nombreux à oublier que Noël est un jour comme les autres pour beaucoup d'individus. Parmi ces personnes, pour qui le temps des Fêtes n'est guère synonyme de réjouissances et de plaisirs gargantuesques, figurent les itinérants.
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Les nombreux centimètres de neige qui ont déferlé sur le Québec ce week-end et le froid sibérien du début de la semaine ont, hors de tout doute, contribué à cimenter l'ambiance à environ une semaine de Noël. Après tout, pour beaucoup de gens, il s'agit de la dernière ligne droite avant un long congé bien mérité. La frénésie des derniers préparatifs se fait définitivement sentir dans les magasins et les épiceries. Or, malgré toute cette splendeur blanchâtre et l'effervescence festive dans les rues et les commerces, nous sommes nombreux à oublier que Noël est un jour comme les autres pour beaucoup d'individus. Parmi ces personnes, pour qui le temps des Fêtes n'est guère synonyme de réjouissances et de plaisirs gargantuesques, figurent les itinérants.

Certes, la ville est belle avec toutes ses décorations, sa musique de Noël et ses habitants pressés, mais euphoriques. La ville aux cent clochers est resplendissante, mais ce charme et cette beauté féérique dissimulent un autre portrait, une autre réalité. Oui, Montréal a bel et bien une face cachée. La partie submergée de l'iceberg montréalais, celle que les autorités tentent de dissimuler des regards extérieurs et intérieurs, camoufle une réalité qu'individuellement et collectivement nous tentons trop souvent de nier ou d'oublier. De ville aux cent clochers, Montréal est devenue la ville aux mille clochards...

La problématique de l'itinérance n'est pas insignifiante, loin de là. En fait, selon les dernières statistiques (gouv. Canada, 2006), il y aurait pas moins de 30 000 itinérants à Montréal seulement. C'est un nombre vertigineux et non négligeable ; en fait, c'est l'équivalent de la population totale de la ville d'Alma au Lac-Saint-Jean. Ça donne froid dans le dos, et ce n'est pas parce qu'il fait moins 30 degrés dehors! Pourtant plusieurs pensaient, devant la baisse de fréquentation des lieux habituels de l'itinérance (parcs, places publiques, etc.), que la situation s'était améliorée au cours des 10 dernières années. Il est vrai, en effet, que les lieux traditionnellement occupés par les sans-abri sont de moins en moins fréquentés ; cela dit, ce n'est pas le résultat d'une baisse marquée de l'itinérance, mais davantage la conséquence d'une judiciarisation du phénomène.

Sur ce point, sous l'administration Tremblay, la ville a mis en place un programme de pasteurisation des espaces publics afin de nettoyer ces endroits, de les assainir afin de mieux projeter l'image de la métropole. Comme l'avait fait Jean Drapeau dans les années cinquante et soixante, l'administration montréalaise a décidé d'orchestrer un important ménage physique et moral, en déplaçant des centaines (milliers?) d'itinérants de certains endroits touristico-stratégiques - notamment le Quartier des spectacles et l'axe Sainte-Catherine - vers des coins moins fréquentés et fréquentables. Disons-le, la ville, dans son hypocrisie habituelle, tente de masquer ses problèmes afin d'avoir l'air autre chose que ce qu'elle est vraiment, soit une métropole comme les autres. Ce n'est pas en te maquillant que tu seras plus belle...

Autrement dit, Montréal a donc pratiqué en catimini l'exclusion d'une population vulnérable, pour ne pas dire la plus impuissante. Déjà marginalisés par l'ensemble de la société, les itinérants se sont retrouvés exclus de leurs anciens territoires, de leur identité spatiale de sans-abri. Cela peut sembler anodin pour la plupart d'entre nous, mais il faut retenir que la majorité de cette population est touchée par des problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Dans ces conditions, la rupture avec le lieu primaire d'identification (un quartier ou un quadrilatère de quelques rues) amène souvent une désorganisation dans la quotidienneté, engendrant de facto une période d'instabilité et d'anxiété accrue. Donc, déjà instable psychologiquement, la société, pour des raisons esthétiques et économiques, décide de les déposséder de leur unique forme de stabilité. Pourtant, certains me diront sans gêne que ce n'est pas leur problème, que l'itinérance est un choix. Il n'y a rien de plus faux. L'itinérance est, dans la plupart des cas, le résultat d'une combinaison de facteurs structurels et individuels. Les informations à ce sujet sont nombreuses et bien documentées.

Dans cette optique, Denis, un sans abri de 49 ans que j'ai rencontré il y a quelque temps, ne fait pas figure d'exception. Tout récemment, il me racontait son histoire qui, à tous les égards, ressemble à celle de beaucoup d'autres personnes de la rue. À l'âge de 37 ans, Denis a perdu son emploi et, peu de temps après, sa femme l'a quitté pour un autre homme. Conséquemment, il a sombré dans une dépression, qu'il a noyée dans l'alcool et éventuellement la drogue. Les semaines et les mois ont passé, la situation ne s'est malheureusement pas améliorée pour Denis qui, faute de paiements, s'est fait évincer de son logement. Sans le sou et sans toit, Denis s'est retrouvé à la rue à quêter. Il avait 39 ans. Aujourd'hui, dix ans plus tard, Denis est toujours dans la même situation. La rue, et tout ce que cela représente, est devenue son quotidien. D'ailleurs, il s'apprête à fêter son dixième Noël sous les étoiles, sans famille!

L'histoire de Denis est typique, mais il y en a d'autres. Par exemple, les personnes qui ont été internées dans des institutions (prisons, hôpitaux psychiatriques, DPJ, centres jeunesse, etc.) se retrouvent souvent à la rue. Ils ont vécu, mais n'ont pas l'expérience du travail, de la connaissance des services d'aide, ce qui fait en sorte qu'ils n'ont aucune ressource pour se dénicher un emploi honnête, un logement et autres. La débrouillardise certes, mais ils n'ont pas la compréhension du système. Cette situation est évidemment criante depuis les années 1960, soit depuis la désinstitutionnalisation. Le livre Asiles d'Erving Goffman est, à ce sujet, révélateur de la situation. Ce genre d'histoires, il y en a trente milles!

En somme, alors que nous finalisons les derniers préparatifs du temps des Fêtes, pourquoi ne pas en profiter pour penser aux autres, à ceux qui en ont vraiment besoin? Pourquoi ne pas donner quelques heures de son temps ou tout simplement faire une bonne action en allant porter de vieux vêtements à la Maison du Père ou encore à la Mission Old Brewery? Nous l'avons souligné, devenir itinérant est rarement un choix ; la plupart du temps, c'est un chemin que l'on emprunte sans véritablement savoir ce qui se trouve à l'autre bout. À une semaine de Noël et avec ce temps glacial, tous les Denis de la ville aux mille clochards auraient certainement besoin d'un peu de chaleur et de solidarité...

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Avril 2018

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