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Souriez, vous êtes filmés!

La liberté, qui était jusqu'alors considérée comme un droit inaliénable au Canada, doit dorénavant être interprétée comme un privilège, un bénéfice qui n'est plus acquis.
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L'adoption, la semaine dernière, du controversé projet de loi C-51 est venue ébranler les fondements démocratiques de notre société.

La notion de liberté, qui était jusqu'alors considérée comme un droit inaliénable, doit dorénavant être interprétée comme un privilège, un bénéfice qui n'est plus acquis. Avec le projet conservateur, le jeu de la démocratie - basée notamment sur le respect, la confiance, l'attachement, les valeurs universelles, la franchise de tout un chacun - a considérablement été modifié, en défaveur de l'ensemble des joueurs, mais pas du maître du jeu.

En effet, l'accroissement des pouvoirs de surveillance accordés aux agences canadiennes de renseignement comme le SCRS constitue une véritable menace à nos droits et libertés. Le projet C-51, outre ses capacités à renforcer les pouvoirs déjà nombreux et presque illimités des services de sécurité, est un peu comme si Big Brother avait finalement un frère jumeau. C-51, aussi connu sous le nom de la loi antiterroriste, pénalise la promotion du terrorisme, en plus de faciliter l'arrestation et la détention préventive d'individus pour une période, sans accusation, de 7 jours.

Bien sûr, ce n'est pas tout... La loi C-51 ouvre aussi la porte à l'écoute électronique, les saisies et les perquisitions, et ce sans mandat préalable. Parallèlement, en vertu de cette législation sensée nous protéger, un juge de la Cour fédérale peut dorénavant autoriser, à la suite d'une audience à huis clos dans laquelle seules les forces de l'ordre pourront participer, l'emploi des mesures «justes et adaptées aux circonstances» pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada.

En gros, une seule personne cautionnera subjectivement les actions, les gestes et les comportements des forces de l'ordre, sans que tout ce beau monde n'ait de compte à rendre, si ce n'est d'invoquer la sécurité du pays. C'est fort! C'est très fort!

Et, c'est déjà beaucoup... mais C-51, c'est encore plus que ça... La loi porte potentiellement atteinte à la liberté de presse ainsi qu'à la liberté d'expression. Par exemple, les articles permettant aux policiers de saisir tout document, papier, objet, ou document numérique de «propagande terroriste» - la propagande terroriste étant présentée dans le projet de loi comme «tout écrit, signe, représentation visible ou enregistrement sonore qui préconise ou fomente la perpétration d'infractions de terrorisme en général ou qui conseille la perpétration d'une infraction de terrorisme» - représentent un réel danger.

Pourquoi? Notamment parce que les médias (journalistes, chroniqueurs, blogueurs, etc.) peuvent être amenés, dans l'exercice de leurs fonctions, à rapporter ou présenter les faits, gestes, propos, comportements ou attitudes de groupes ou de personnes considérés comme terroristes. Dans ce cas, pourrait-on juger le travail d'un journaliste comme une forme d'apologie du terrorisme? Autrement dit, qu'adviendrait-il d'un journaliste qui présenterait une vidéo de l'État islamique? Quelles seraient les conséquences de la publication d'un manifeste ou d'un slogan uniquement à des fins journalistiques ou explicatives?

Bien entendu, la loi, telle que formulée, ne nous fournit pas d'indication à ce sujet, pas plus qu'elle ne nous indique sous quelle(s) condition(s) il serait permis de publier (ou présenter) de la propagande terroriste. Toujours dans le domaine médiatique, ces articles vagues du projet C-51 font également craindre pour la confidentialité des sources journalistiques. La mouture adoptée pourrait clairement empêcher la publication de certains textes ou d'informations précises et essentielles pour le public, tout comme elle pourrait mener à la censure et l'autocensure.

Ainsi, je dois avouer que j'ai beaucoup de difficulté à comprendre l'attitude actuelle de nos médias, dans la mesure où nous devrions, avec l'adoption de C-51, tous craindre pour la liberté de la presse et d'expression. Oui, nous devrions tous déféquer dans nos culottes... mais rien!

Ça doit être moi qui est paranoïaque... Je me suis donc questionné à savoir ce qu'était le terrorisme. Or, je n'ai malheureusement pas obtenu de réponse, car, en aucun temps, le concept n'est balisé ou même expliqué dans le projet de loi conservateur.

Cette absence de définition du terrorisme me fait craindre des débordements, des abus, des décisions subjectives et certainement stigmatisantes, du profilage, du zèle et l'accentuation des injustices. En d'autres termes, on doit comprendre - et surtout accepter, tout en se fermant le clapet - que c'est l'orientation politique d'un pays ou d'un gouvernement qui déterminera, en temps et lieu, ce qu'est le terrorisme.

On décidera ainsi, selon les circonstances, la situation, la symbolique et les impératifs stratégiques, si vous êtes, oui ou non, un terroriste. C'est le dogme: The good versus the bad... et vous serez toujours soupçonnés d'être le mauvais!

Enfin, l'absence de définition du terrorisme m'amène à aborder la question nationale. Nous le savons, la prétention des Québécois et Québécoises à créer un pays s'est toujours accompagnée d'un discours de terreur de la part des détracteurs du projet indépendantiste. Conséquemment, il est possible de se demander si l'indépendance du Québec pourrait être considérée, selon la vision doctrinaire de C-51, comme une menace à la sécurité du Canada? Et les indépendantistes québécois pourraient-ils être perçus et présentés comme des terroristes compte tenu de leur vision politique? Les admirateurs des Patriotes du Bas-Canada ou encore du FLQ pourraient-ils être jugés comme des personnes faisant l'apologie du terrorisme? À quelques jours de la Fête des Patriotes, ces questions sont pertinentes et alarmantes.

Ce n'est donc pas pour rien que Thomas Drake, ancien haut dirigeant à la NSA, a récemment déclaré que le projet de loi C-51 était une refonte du Patriot Act américain, mais sur les stéroïdes. Comment penser autrement? Atteinte à la protection de la vie privée, effritement des libertés civiles, des droits comme la liberté de presse et d'expression, surveillance électronique et numérique, fichage, arrestation et détention préventive... Après 1984 de George Orwell, nous voilà rendu à 2015 de Stephen Harper... Souriez, vous êtes filmés!

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