Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Mohamed, 31 ans, migrant tunisien en Italie

Mohamed, 31 ans, est migrant originaire de Tunisie. Il a gentiment accepté de répondre à mes questions.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Entrevue par Taha Barakaoui.

J'ai rencontré Mohamed à Palerme, en Italie. Mohamed, 31 ans, est migrant originaire de Tunisie.

Il a gentiment accepté de répondre à mes questions dans un petit bar au marché de Ballaro.

Parlez moi d'abord de votre enfance. Pourquoi avez-vous pensé que l'immigration était la seule solution ?

J'ai grandi dans la campagne en Tunisie. J'ai quitté l'école quand j'étais très jeune. Je me souviens que j'avais besoin de faire quelque chose que j'aimais. C'est à partir de là que j'ai fais une formation culinaire en Tunisie.

Je me souviens que mes cousins venaient d'Europe chaque été, et à chaque fois qu'ils venaient ils m'apportaient pleins de cadeaux.

À cet âge, je savais que plus tard, il fallait rendre ma famille heureuse. Je voulais que ma mère soit fière de moi, et que mon père ne regrette pas tous les efforts et l'argent qu'il a dépensé pour moi. Cependant, j'ai grandi en faisant le pire.

Quand êtes-vous arrivés à Palerme ? Et comment avez-vous trouvé l'argent pour ce périple ?

Un an et demi après la révolution, le pays était encore dans le chaos. Contrôler les frontières n'était pas le plus gros problème pour l'État. Pour faire le voyage, ça coûte environ 8 000 dinars [NDLR : environ 5 500 dollars candiens] au total. Mon père avait économisé cet argent pour faire son pèlerinage à La Mecque... Je suis sûr que je le rembourserai un jour... Je lui dois au moins ça. Disons que c'est un emprunt fait à mon père, et je promets de lui rembourser le jour où mes conditions de vie pourront le permettre.

Ici, je n'ai pas encore trouvé le travail que je souhaite. C'est drôle qu'avant de partir, mon père me suppliait de rester et de travailler avec lui dans les champs (ferme familiale), j'ai refusé. Je voulais être plus qu'un simple agriculteur. L'agriculture n'est pas ma spécialité. Je n'appréciais pas les choses que Dieu nous avait donné [NDLR : la ferme].

Ironie du sort, je me retrouve maintenant à travailler dans une ferme en Italie pour 20 euros [NDLR :30 dollars canadiens] par jour. Ce n'est pas un emploi stable, je le sais, mais ça me permet de survivre.

Combien d'immigrants étaient avec vous sur le bateau ?

Il y avait près de 300 personnes dans ce tout petit bateau.

300 personnes, vous êtes sûr ?

Croyez moi, il y avait des bateaux,de la même taille que celui dans lequel je suis monté, qui comptaient 800 passagers !

Des enfants, des femmes, des personnes âgées... Je ne comprends pas ce que viennent faire les personnes âgées en Europe.

Comment avez-vous affronté les problèmes (de visas, de faux papiers) à votre arrivée ?

Pendant 8 mois, je n'ai pas fréquenté les lieux publics. J'avais peur. Peur de la police, des gens.

J'ai toujours entendu des histoires sur des personnes qui se faisaient arrêter par la police et qu'on renvoyait chez eux. Je ne voulais pas retourner chez moi sans rien. Je veux toujours prouver à mon père que je suis capable de le rembourser.

J'ai encore besoin de me construire... Mes premières semaines à Palerme, j'étais un sans-abri. Je flânais d'un quartier à l'autre. Après, j'ai rencontré un Tunisien, propriétaire d'un bar. J'y ai travaillé pendant 5 mois. Il me laissait dormir dans le bar. Cela m'a permis de m'installer petit à petit.

Après ça, j'ai connu un petit groupe de personnes qui donnent des cours d'italien aux migrants. C'était organisé par des volontaires qui étaient disponibles pour aider les gens dans la même situation que moi.

Plus tard, j'ai travaillé dans un café qui cherchait en fait un jardinier. J'ai postulé parce que j'avais déjà les compétences nécessaires avec mon passé en Tunisie.

Maintenant, je partage un appartement avec des Italiens et des personnes venues d'Afrique subsaharienne. C'est comme une famille.

Pour résumer, je suis passé à travers de beaucoup de choses. Je ne peux pas dire que je regrette ma venue mais j'aurais peut-être pu avoir une meilleure vie en Tunisie que celle que j'ai maintenant. Ce n'est pas la «terre promise» comme ils le prétendent. Il faut avoir beaucoup de diplômes pour s'intégrer dans la société européenne... Sinon, vous n'êtes qu'un rat, un rat illégal.

Est-ce que vous regrettez d'être venu en Italie ?

C'est toujours bon d'avoir un nouveau départ... que l'expérience se finisse de façon négative ou positive.

Mais, en vérité, si quelqu'un m'avait dit que ce serait aussi difficile, et que ma vie serait comme ça, je ne serais pas parti. Je serais resté en Tunisie.

Je ne peux pas dire que je le regrette. Quand je pense aux regards que les gens nous infligent chez nous, juste parce qu'on est chômeurs ou «socialement incorrects», ça me convainc d'accepter ma vie ici. Je suis libre de faire tout ce que je veux. Je suis libre d'avoir une opinion politique, et aussi d'avoir la vie que je veux, sans être jugé. En Tunisie, tu attires toujours trop l'attention des gens qui n'ont rien d'autre à faire que d'interférer dans ta vie.

Avez-vous rendu visite à votre famille depuis que vous êtes arrivé en Italie ?

Ce n'est pas possible de retourner en Tunisie parce que je n'ai toujours aucun statut juridique ici... Mais j'essaie de l'obtenir. Présentement, les administrations italienne et tunisienne partagent le même «nous ne pouvons vous fournir ce document aujourd'hui». Je suis toujours en contact avec l'ambassade tunisienne pour recevoir un nouveau passeport tunisien, puisque j'ai perdu le mien en arrivant ici. Pour être honnête, je ne peux pas faire face à ma famille. Je leur téléphone de temps en temps, mais je dois toujours devenir quelqu'un, quelque chose, avant de rentrer. Je prévois déménager à Paris, où je pourrais vivre de ma passion, qui est la boulangerie. La boulangerie en France est si populaire... Je suis certain que je pourrais facilement trouver du travail là-bas.

Ce blog a été traduit de la version américaine du Huffington Post, de l'anglais au français.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Chinois (non spécifié)

Les 25 langues les plus parlées à la maison par les immigrants au Canada (2013)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.