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MH17: comment la Russie tente de décrédibiliser l'enquête

La Russie utilise la technique dite du «foisonnement»: alimenter tous les canaux d'information avec un nombre incalculable de versions, même extravagantes.
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Les accidents aériens ne sont jamais traités comme un événement technique: ils attirent à la fois une focalisation médiatique disproportionnée et les spéculations de tous les adeptes des théories conspirationnistes. Lorsque le crash a également des implications politiques, l'enquête quitte définitivement la sphère technique pour devenir un débat idéologique.

Dans le cas du vol MH17 abattu dans l'est de l'Ukraine le 17 juillet 2014, deux camps s'opposent: les pro-russes soutenant les indépendantistes est-ukrainiens, et le gouvernement de Kiev issu de la révolution du Maïdan. Même si le rapport technique publié par le Dutch Safety Board (DSB) a permis de prouver de manière indiscutable que l'accident était lié au tir d'un missile sol-air Bouk (sans déterminer quel camp a tiré), des théories alternatives continuent à être soutenues par les défenseurs des séparatistes. À tel point que les Pays-Bas, en charge de l'enquête internationale, ont accusé la Russie de semer volontairement la confusion.

Depuis maintenant 16 mois, la Russie utilise en effet la technique dite du «foisonnement»: alimenter tous les canaux d'information avec un nombre incalculable de versions, même extravagantes, afin de remettre en cause toutes les conclusions pourtant scientifiques et infalsifiables, même avec des tests sans valeur... À force de bruit, plus rien n'est audible, et les enquêtes les plus sérieuses semblent bâclées.

Voici une revue de détail des arguments utilisés par les pro-russes dans le cadre de l'enquête sur l'origine du crash du Boeing 777 MH17.

1) C'est l'avion présidentiel de Vladimir Poutine qui était visé par le tir ayant touché le MH17

L'information venait d'une source anonyme diffusée par une agence de presse russe... mais les enquêtes réalisées par les médias des deux camps ont montré que l'avion de Poutine n'avait pas survolé l'Ukraine depuis longtemps. Ce jour-là, l'avion présidentiel avait décollé de Pologne pour rentrer en Russie via la Biélorussie, plus de 1 000 km plus au nord...

2) Le MH17 a été abattu par un avion de chasse ukrainien type Sukhoi 25 (Su-25)

• «Un contrôleur aérien espagnol appelé @SpainBucaa sur Twitter affirme avoir observé des Su-25 ukrainiens suivre et se rapprocher du MH17 avant sa disparition des écrans radars.»

Sauf que ce contrôleur n'a jamais pu exister, la législation ukrainienne interdisant à un étranger d'occuper un poste de contrôleur aérien (texte en ukrainien ici). Spainbuca avait d'autre part décrit sa fuite devant les exactions de l'armée ukrainienne quelques mois auparavant: il ne s'agissait donc que du compte d'un mythomane anti-Maïdan.

• «Une photo satellite montre le Su-25 tirer son missile vers le Boeing, il s'agirait d'une fuite des services de renseignement occidentaux.»

Sauf que la photo satellite utilise une capture d'écran d'une image Google Maps datée de 2012, photoshoppée.

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• «Le pilote du Su-25 ayant abattu le MH17 a avoué son crime dans un journal allemand.»

Le problème est que l'article est tiré d'un site web parodique, un peu comme The Onion. L'article a par contre bel et bien été repris par des médias pro-Kremlin et Google dénombre encore aujourd'hui plus de 500 liens vers l'article.

• «Si l'avion avait été abattu par un missile Bouk, celui-ci aurait laissé un panache de fumée.»

En effet, le panache de fumée reste normalement visible pendant quelques minutes après un tir en l'absence de vent. Or , le jour de l'accident, il y a du vent et une couverture nuageuse pouvant cacher une traînée en haute altitude, comme en attestent les vidéos tournées par les rebelles sur le site du crash. L'origine du panache a néanmoins été photographiée au ras du sol et partagée sur les réseaux sociaux juste après l'accident, le site BellingCat a réalisé une analyse très détaillée des images (photo ci-contre et article à lire ici).

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• La commission d'enquête russe sur le crash a confirmé la piste du Su-25, tout comme le ministère de la défense du pays. Sauf que cette théorie est techniquement impossible : un Su-25 ne possède aucun armement capable d'abattre un avion de ligne et le Boeing 777 vole plus rapidement qu'un Su-25 (analyse technique détaillée ici). Une dernière tentative d'accuser un chasseur ukrainien a été réalisée en juillet 2015 par des experts aéronautiques russes imaginant cette fois l'utilisation d'un missile israélien. Sauf que des éclats caractéristiques du missile Bouk ont été retrouvées jusque dans le corps des pilotes...

La piste du Su-25 n'étant plus tenable, la Russie abandonne l'hypothèse et se focalise sur le missile Bouk avec un objectif: dédouaner les rebelles de tout soupçon.

3) Le MH17 a bien été abattu par un missile Bouk, mais pas par les séparatistes

• «Les séparatistes ne possèdent pas de système capable d'abattre un avion de ligne volant à son altitude de croisière.»

Sauf que plusieurs appareils militaires ukrainiens ont été abattus en juillet 2014, dont un An-26 volant à 6 500 mètres d'altitude, seulement 3 jours avant le MH17 (voir la liste des avions ukrainiens abattus ici). À une telle altitude, il ne peut s'agir que d'un système complexe type Bouk, les missiles tirés depuis l'épaule équipant officiellement des rebelles ne pouvant dépasser 3 500 mètres. De nombreux documents photos et vidéos attestent par ailleurs de la présence de systèmes Bouk dans la zone séparatiste avant le crash.

• «Le fabricant du système Bouk, Almaz-Antey, a réalisé des tests remettant en cause l'enquête hollandaise, notamment l'explosion d'une ogive à Bouk sur le cockpit d'un avion de ligne.»

L'expérience n'a pas de sens sur le plan technique et ne vise que les médias et le grand public non averti: une explosion au sol sur le cockpit d'un avion de type Iliouchine ne peut en rien être comparée à ce que subit un Boeing en vol de croisière face à un missile se déplaçant à trois fois la vitesse du son.

L'objectif russe est simple: montrer que le tir a été réalisé avec la version 9M38 du missile qui, selon le fabricant, ne peut être équipé que d'une ogive 9N314M, un système retiré du service dans l'armée russe mais pas dans l'armée ukrainienne.

Cette démonstration rencontre cependant deux limites. Premièrement, elle ne réhabilite pas les rebelles, puisque ceux-ci n'utilisent officiellement que des matériels pillés dans les stocks ukrainiens. Mais le principal problème est que les déclarations d'Almaz-Antey étaient fausses! Contrairement à ce que le fabricant affirmait, l'armée ukrainienne a pu prouver la compatibilité des ogives à la fois avec les versions 9M38 et 9M38M1 du missile, version encore en dotation dans l'armée russe.

4) L'enquête a été mal réalisée et la Russie en a été exclue

• L'enquête technique n'implique que les pays ayant perdu un ressortissant, ceux à l'origine ou à destination du vol, celui dans lequel l'accident a eu lieu, et éventuellement le constructeur de l'avion... La Russie n'a donc aucune raison d'être impliquée dans l'enquête devant déterminer les causes techniques ayant conduit à l'accident. Une enquête pénale sensée retrouver les responsables du tir devait ensuite être créée. C'était l'objectif de la création d'un tribunal spécial sous la coupe de l'ONU. Mais la Russie a tout simplement posé son veto au conseil de sécurité des Nations unies, empêchant la mise en place d'une enquête à laquelle elle aurait pu participer.

• «L'Ukraine et les pays occidentaux ont caché des éléments.»

Cela est simplement faux, des données peuvent avoir été mises à la disposition des enquêteurs sans avoir été diffusées dans la presse. D'après le rapport d'enquête du DSB, tous les États impliqués ont pleinement coopéré à l'enquête, sauf la Russie... Celle-ci n'a pas fourni certaines données de contrôle aérien, comme indiqué dans le rapport final: «Retention of ATC data - The Russian Federation did not comply in all respects with the ICAO standard contained in paragraph 6.4.1 of Annex 11.» La Russie n'a pas fourni les données de contrôle aérien réclamées, en contradiction avec ses engagements auprès de l'ONU.

On le voit, par une forte présence médiatique, en diffusant régulièrement des «preuves», en réalisant des tests très visuels et à force de déclarations, la Russie a réussi à occuper tout l'espace médiatique et décrédibiliser les investigations officielles pour une partie du public. Le doute plane aujourd'hui sur la valeur du travail du DSB et on imagine encore plus difficile l'acceptation d'une enquête devant déterminer qui sont les responsables du tir, celle-ci ne pouvant reposer que sur des photos et des témoignages.

En attendant l'enquête officielle, les éléments déjà collectés par des équipes d'investigation sont claires: le système Bouk ayant tiré a été filmé et photographié à plusieurs reprises, laissant apparaître un numéro de série... système Bouk et numéro de série retrouvés dans une photo postée il y a plusieurs années sur la page Facebook d'un jeune militaire russe appartenant la 53ème brigade de défense russe antiaérienne (voir l'enquête en cliquant ici). On comprend dès lors mieux la volonté des Russes d'allumer des contre-feux.

• Plus d'informations sur www.peuravion.fr.

• Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la page Facebook du Centre de traitement de la peur de l'avion et le blog de Xavier Tytelman.

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