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Marco Micone, ou la colère qui rend aveugle

Marco Micone semble croire qu'il rend service au Québec et aux immigrants en laissant ainsi libre cours à sa rancœur.
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Insécurité imaginaire inscrite dans notre « psyché »; appel à la sanction internationale du Canada et du Québec, stigmatisation, racisme, hostilité, dérive identitaire, obsession;,xénophobie, « surconscience linguistique pathologique », eugénisme. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Marco Micone ne s'embarrasse pas tellement de nuances dans sa lettre au Devoir. Ne lui faisons toutefois pas l'insulte de croire qu'il ait mal choisi ses mots. S'il est bien un Québécois qui en connaît l'importance et le poids, c'est lui. Il faut donc admettre que les choix sémantiques de « l'immigrant en colère » jouent des rôles bien précis : ceux de l'aplanissement discursif du réel, de l'évacuation systématique de sa complexité et de la distorsion volontaire de la vérité. À quoi bon, après tout, nuancer lorsqu'il s'agit d'accuser ?

Micone accuse en effet d'abord d'instrumentalisation politique « tous ceux qui ont intérêt à changer des problèmes sociaux en problèmes culturels ». Or, réalise-t-il que c'est précisément ce qu'il fait en construisant un amalgame grossier, opposant à la population immigrante dans son ensemble la majorité « francophone d'héritage canadien-français », apparemment psychiquement anxieuse ? À quoi bon nuancer lorsqu'il s'agit de calomnier ? La généralisation se mue d'ailleurs rapidement en malhonnêteté, lorsque Micone prétend que le taux de chômage des immigrants québécois est de 18% alors qu'il est de moins de 10%, selon les données les plus récentes. Le taux d'emploi de la population immigrante du Québec, à 60%, est en hausse de 6% depuis dix ans et désormais égal à la moyenne québécoise. Or, à quoi bon s'en tenir aux faits lorsqu'il s'agit de dénigrer ?

Il est évident que le problème de la reconnaissance des diplômes étrangers demeure entier, particulièrement à Montréal où, contrairement à ce que Micone prétend, soit que l'on choisit « les immigrants les plus vulnérables », ces derniers ont en fait un taux de diplomation universitaire de loin supérieur aux « natifs ». Or, à quoi bon rechercher les véritables causes d'un problème lorsqu'il s'agit d'incriminer ? À quoi bon, par exemple, y aller de nuances et invoquer, en plus de la discrimination, l'aspect linguistique du problème (tel que le niveau inférieur de connaissance fonctionnelle du français et de l'anglais) ou le fait que ce problème diminue en importance avec les années puis en fonction de la date d'arrivée des immigrants ?

Lorsque l'on cherche à accuser, à pointer du doigt, à culpabiliser, on ne s'arrête pas à la complexité et à la multicausalité d'un problème. On ratisse large, plutôt, afin de mieux insinuer que « les immigrants, toutes origines confondues, sont perçus » tel qu'on veut bien prétendre qu'ils le soient. On évoque péremptoirement « l'idéologie de la dérive identitaire du gouvernement Marois » en oubliant commodément de mentionner que les problèmes d'intégration desquels il est question ont bien survécu à douze ans de gouverne libérale depuis 2003. On déclare, tout bonnement, que les Québécois souffrent d'un attachement identitaire « pathologique » à la langue française, qui frôle trop souvent la « xénophobie sournoise ». La violence et le racisme larvé du propos sont ici évidents.

Micone, en voulant choquer et en se dispensant d'une analyse fouillée, va jusqu'à se prendre à ses propres pièges.

Micone, en voulant choquer et en se dispensant d'une analyse fouillée, va jusqu'à se prendre à ses propres pièges. Dénonçant par exemple, par une logique hyperbolique absurde, « l'eugénisme linguistique » qui consiste à recenser le nombre de citoyens québécois ayant le français pour langue maternelle, il présente l'indicateur de « première langue officielle parlée » (PLOP) développé par Statistique Canada comme étant bien plus éthiquement respectable et même plus conforme à la réalité. Or, le PLOP est en fait un indicateur démographique composite, dérivé de plusieurs variables dont l'une des plus importantes est...la langue maternelle du répondant. À quoi bon, après tout, vérifier la provenance et la définition des données qu'on utilise lorsqu'il ne s'agit pas d'étudier et de comprendre, mais de jouer au moralisateur ?

Quand notre colère nous pousse à la simplification et à l'insulte, il est également facile de dériver vers le populisme de bas étage et le mensonge éhonté. Ainsi, Micone allègue que les jeunes allophones ne côtoient pratiquement plus de Québécois « de vieil établissement » dans les écoles publiques qu'ils fréquentent, si ce n'est que quelques francophones pauvres, puisque « la classe moyenne francophone envoie ses héritiers à l'école privée ». Pourtant, moins de 12% des jeunes Québécois sont actuellement inscrits dans des établissements scolaires privés, une proportion qui est d'ailleurs en constant recul depuis cinq ans et qui inclut bien évidemment une part de jeunes anglophones. La classe moyenne francophone envoie donc encore très majoritairement ses « héritiers » à l'école publique, mais à quoi bon le reconnaître s'il s'agit de caricaturer ?

L'un des visages les plus laids du populisme, qu'il soit de droite ou de gauche, est celui de l'anti-intellectualisme et du romanticisme « post-factuel ». C'est exactement le visage que donne Marco Micone à son argumentaire lorsqu'enfin, aux économistes qui contrairement à lui essaient d'établir les faits à force de recherches sérieuses, il reproche de « préparer le terrain » pour un discours anti-immigrant qui « bombe le torse ». On retrouve là un trait commun de la gauche autoritaire : la stigmatisation, puis la promotion exprimée à demi-mot d'une censure ou à tout le moins d'une condamnation officielle des intellectuels dont les recherches dérogent un tant soit peu des préjugés idéologiques lui servant de grille d'analyse universelle.

Micone semble croire qu'il rend service au Québec et aux immigrants en laissant ainsi libre cours à sa rancœur. Or, ce dont le Québec et l'Occident ont actuellement besoin, ce n'est certainement pas d'encore plus d'amertume, d'accusations gratuites, de généralisations abusives, de psychologie collective à deux sous, de discours moralisateurs sans nuances, d'hyperbole sémantique et d'opinions stéréotypées. Tout cela ne mène absolument à rien et nous sommes tous, qu'importe notre origine et nos idées, en droit de nous attendre à davantage de nos élites et, disons-le, d'un quotidien de haute qualité comme Le Devoir. Dénigrer aussi rudement et gratuitement la « majorité francophone d'héritage canadien-français », en l'essentialisant et en lui imputant des caractéristiques « psychiques » et « pathologiques » collectives qui ne reposent sur absolument rien de concret, constitue une attaque raciste inacceptable, du genre de celles dont on redoute justement la résurgence.

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Mai 2017

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