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Le phénomène Trump expliqué par Sigmund Freud

Dans les sociétés plus avancées, la tentation de domination sera toujours présente. Il arrive donc que des «meneurs» foncièrement narcissiques en viennent à séduire les foules par une sorte d'effet hypnotisant.
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La montée en puissance de Donald Trump inquiète. Aux États-Unis, certains y voient une éventuelle menace pour leur propre sécurité nationale ou bien pour la survie de l'espèce humaine tout entière. Comment 13,4 millions de républicains ont-ils pu voter pour cet autocrate en devenir, lors des primaires?

«The Donald» est un milliardaire arrogant, narcissique, qui n'hésite pas à s'en prendre aux ténors de son propre clan. Il les frappe et les blesse sans raison apparente, sinon pour imposer sa loi, sa domination.

Parmi ses victimes comptent par exemple l'ex-leader républicain John McCain, dont il osa dénigrer les années de service au Vietnam, où il fut fait prisonnier et torturé: «Moi, j'aime les gens qui n'ont pas été capturés», ironisa-t-il. Pourtant, de son côté, Trump n'a nullement servi au Vietnam: le New York Times révéla récemment qu'il en fut exempté en raison d'une bête «excroissance osseuse sous le talon» (Libération, 2 août).

Il n'a pas à craindre aucun tabou, puisqu'il incarne lui-même la sourde autorité. L'usage des mensonges et contradictions ne le gêne pas. Il paraît si satisfait de sa personne qu'on en oublie ses échecs retentissants, tel le fait que ses entreprises ont fait faillite à quatre reprises en 18 ans...

Illustration: Évelyne Robert

Quel rapport avec Sigmund Freud? Le père de la psychanalyse ne s'est pas qu'intéressé à la psyché individuelle: une part appréciable de son œuvre étudie les rapports à l'Autre, notamment en questionnant l'origine de nos sociétés (Totem et tabou, 1912-1913) et le processus de formation des foules (Psychologie des foules et analyse du moi, 1921).

Dans les deux cas, nous verrons que plusieurs pistes de réflexion permettent de jeter un éclairage original sur le phénomène Trump en tant que «meneur» de foules.

Le père de la horde

Pour commencer, remarquons que dans l'œuvre de Freud, trois stades de sociétés humaines semblent s'être succédés, de manière évolutive: de petites «hordes» à la société primitive, il y aura ensuite le passage à la société de droit.

Au premier stade, le psychanalyste viennois imagine un ordre du monde où il n'y avait ni loi, ni tabou. S'inspirant d'une thèse de Darwin, il conçoit de petites hordes dans lesquelles «la jalousie du mâle le plus âgé et le plus fort empêchait la promiscuité sexuelle (...). Un père violent, jaloux, gardant pour lui toutes les femelles et chassant ses fils à mesure qu'ils grandissent» (Totem et tabou).

Dans les sociétés plus avancées, la tentation de domination sera toujours présente, mais la force brute d'un seul homme ne suffit plus à assujettir tous les autres.

Dans ce mythe - dit «scientifique» - proposé par Freud, le père de la horde s'avère la première figure tyrannique de l'humanité. Il régnait en maître absolu, ne laissant aucune liberté à ses vassaux. Ce père abusait de chacun également. Plutôt que de les aimer, il se servait d'eux pour l'assouvissement de ses besoins et désirs personnels. Le seul moyen de s'émanciper de son joug fut la rébellion des fils et l'assassinat du père.

Freud ajoute même qu'étant cannibales, les membres de la horde mangèrent collectivement le père, héritant ainsi d'une part plus ou moins égale de son pouvoir et de sa liberté. Freud y voit un «acte civilisateur» à l'origine des repas totémiques, tandis que la culpabilité découlant de leur crime aurait donné lieu aux premiers tabous. Le spectre du père de la horde rôderait en quelque sorte autour de ces interdits concernant la sexualité, la mort, la guerre, les chefs, la menstruation, etc.

Le meneur de foules

Dans les sociétés plus avancées, la tentation de domination sera toujours présente, mais la force brute d'un seul homme ne suffit plus à assujettir tous les autres. La société de droit conviera ensuite des peuples entiers aux impératifs d'une justice humaine et rationnelle (en principe).

Là où ça devient piquant, c'est que Freud ouvre la porte à la possibilité que des sociétés supposément rationnelles donnent parfois naissance aux pires tyrans. Dans la Psychologie des foules et l'analyse du moi, le penseur viennois nous met ainsi en garde contre ce danger qui nous guette:

«De même que l'homme des origines s'est maintenu virtuellement en chaque individu pris isolément, de même la horde originaire peut se reconstituer à partir de n'importe quel agrégat humain».

Il arrive donc que des «meneurs» foncièrement narcissiques en viennent à séduire les foules par une sorte d'effet hypnotisant, soit par leur prestige, leur richesse, par la «magie des mots», ou encore en se posant comme «substitut paternel».

Dans ce type de «sujétion amoureuse», l'objet est «introjeté», il prend la place de l'idéal du moi. En conséquence, l'esprit critique des membres composant la foule se trouve inhibé, il revient au meneur de dicter ce qui est bien ou mal.

Trump l'autocrate

Chez Freud, le chef paranoïaque se pose comme étant l'unique, le parfait, le pur. Il se croit la cause du monde et veut réconcilier le monde en tant qu'il s'avère le «lien social» incarné. C'est un peu ce que l'on constate dans le phénomène Trump.

Ce dernier n'admet jamais ses erreurs, seuls ses rivaux sont faibles. Il les dit tous impropres à gouverner, menteurs, ou carrément dignes d'un séjour en prison. Quant à lui, l'infaillible, il promet rien de moins que le retour de la grandeur de l'Amérique, «Make America great again!».

Trump contrôle sa foule, allant jusqu'à approuver le passage à tabac de ses opposants durant ses discours. Il contrôle aussi l'image de ses proches: des hommes suivant son modèle, des femmes toutes de même apparence, mais un seul décideur, lui-même. Mainmise également sur sa campagne: si la permanence de campagne d'Hillary Clinton a employé environ 700 personnes, Trump n'en compte qu'environ 70...

«The Donald» aime-t-il vraiment ses supporters, ou ne fait-il que profiter d'eux, dans sa marche vers la Maison-Blanche? L'identification à un leader n'est pas toujours consciente: l'on se laisse fasciner sans nécessairement savoir s'il est bien ou mal de se laisser emporter ainsi.

Freud tente de décrire du mieux qu'il peut une psyché humaine davantage guidée par l'inconscient que par la raison. Si l'être humain est intrinsèquement narcissique, il cherche son bien, mais ne sait toujours comment l'atteindre. Aucune servitude n'est réellement volontaire, surtout si, sous des promesses de réconciliation du monde, se terre un authentique père de la horde qui n'attend que notre servage...

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