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Pourquoi rémunérer l'internat en psychologie?

Payer les internes pourrait être un bon départ afin d'endiguer deux problèmes: l'embourgeoisement de la profession, et l'attrait pour la brocante des charlatans ésotériques.
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Récemment, l'Association des psychologues du Québec (APQ) ainsi que la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie (FIDEP) ont signalé leur intention d'amorcer un boycottage de l'internat. Cette action pourrait diminuer de 250 le nombre de psychologues disponibles à l'automne dans un contexte de pénurie au sein du secteur public. L'enjeu principal de ce boycottage est une revendication que le gouvernement refuse de satisfaire depuis une dizaine d'années : la rémunération de l'internat en psychologie.

La problématique date de juillet 2006 alors que le gouvernement a décidé d'exiger un doctorat pour l'obtention du titre psychologue. Le cursus fut structuré de façon à ce que la dernière année comprenne l'internat, une année de pratique durant laquelle les étudiants et étudiantes effectuent 80 % du métier. Le corolaire de cette décision est que la durée minimale des études a augmenté et que les psychologues en devenir ont à cumuler 2 300 heures de pratique durant leur parcours universitaire. Parmi celles-ci, 1 600 se déroulent en internat.

Le hic est que ces heures ne sont pas rémunérées. Par conséquent, les doctorants et doctorantes doivent assumer une semaine de 35 heures de travail gratuit qui les oblige à chercher un emploi salarié avec des heures équivalentes. Cela se fait ressentir si l'on considère la diminution radicale du pourcentage de finissants et finissantes envisageant une carrière dans le secteur public.

Actuellement, les psychologues du Québec sont les seuls en Amérique du Nord à ne pas être rémunérés pour leur internat. Voilà d'où provient le combat de la FIDEP qui, en somme, n'est que la revendication du principe suivant : « tout travail mérite rémunération ». À partir de cet axiome simple et raisonnable, la fédération a tenté d'estimer quel devrait être le montant légitime pour les doctorants et doctorantes. Les calculs sont disponibles en ligne dans un document rédigé par Henri Thibaudin (M.Sc.) intitulé « La rémunération des internes en psychologie au Québec : Montant et justification », produit en 2011. Pour faire simple, la rémunération minimale pour l'année 2011-2012 aurait dû être de 19,91 $/h, mais la rémunération jugée équitable aurait été aux alentours de 24,98 $/h ou 25,96 $/h. Comparativement au reste du Canada, ces montants seraient à mi-chemin entre la rémunération la plus basse (25 000 $) et la rémunération la plus élevée (51 285 $).

En ce qui me concerne, je pense également que la rémunération de l'internat est non seulement légitime, mais nécessaire et utile pour trois raisons. Tout d'abord, la pénurie de psychologues serait plus facile à juguler avec ce type de mesure incitative. Mais plus encore, payer les internes pourrait être un bon départ afin d'endiguer deux problèmes : l'embourgeoisement de la profession, ainsi que l'attrait pour la brocante des charlatans ésotériques.

En ce qui a trait au premier problème, il faut essayer de se mettre dans la peau d'un finissant ou d'une finissante au doctorat en psychologie. Imaginons tout d'abord 35 heures de pratique non rémunérée et 30 ou 40 heures de travail salarié. Cependant, il faut ajouter que ce travail salarié n'est pas un travail rapportant énormément, vu qu'il s'agit d'un emploi étudiant. Ensuite, rajoutons les dépenses pour la nourriture, le logement, mais aussi les frais de scolarité. En effet, c'est un peu comme si les doctorants et doctorantes devaient payer pour travailler leurs 35 heures. Pour mettre la cerise sur le sundae, il faut également tenir compte du temps nécessaire afin de faire l'épicerie et les diverses corvées.

Voilà à quoi ressemble la vie d'un finissant ou d'une finissante ne rallongeant pas ses études, à moins que cette personne ne soit soutenue financièrement par des parents assez nantis pour payer ses dépenses. Or, une telle personne aura beaucoup plus de chance de performer comparativement à une autre qui doit s'exténuer à performer à la fois dans son internat, mais aussi dans son emploi salarié. Le phénomène corolaire est donc l'embourgeoisement de la profession de psychologue, puisque une classe sociale est favorisée au détriment des autres.

D'autre part, le problème de l'attrait pour la psychologie populaire est favorisé par la pénurie, mais également par l'embourgeoisement de la pratique occasionné par la taille grandissante du secteur privé. En effet, l'accès difficile à des soins publics risque d'aider les vendeurs de brocante ésotérique et spirituelle qui popularisent une vision de la psychologie tout à fait erronée. Moins il y aura de professionnels et moins l'accès à cette science sera facilité, plus on observera une propension à la charlatanerie pseudopsychologique. Or, les effets de ces « solutions » alternatives sont tout à fait regrettables, autant sur le plan personnel qu'à plus grande échelle en ce qui a trait à la légitimité scientifique.

En somme, la condition des internes est injuste, mais elle est aussi plus que cela, car elle rend la tâche de plusieurs scientifiques difficile. Évidemment, on pourrait rétorquer que le boycottage risque d'avoir certains effets négatifs, et cela est vrai. Cependant, n'est-ce pas au gouvernement d'agir afin d'éviter ce conflit ? Une rémunération juste et équitable des psychologues et des internes, voilà une mesure attendue qui mérite d'être enfin mise en place.

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