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Philosophie et vie quotidienne, troisième partie

De nombreuses vies philosophiques se sont menées dans des conditions assez périlleuses pour la liberté de penser. La vie de Socrate le démontre assez justement. Ce personnage auquel la tradition philosophique doit tant s'est fait condamner à mort précisément à cause de ses idées accusées de corrompre la jeunesse.
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Dans une société marquée par l'indifférence, le relativisme, l'humour et la distraction, le discours philosophique et sa praxis risquent de se retrouver assimilés à des phénomènes de mode comme les autres. Si tel est le cas, la perte de cohérence au profit d'un éclectisme suivant les vogues ne constitue-t-elle pas une menace? Sinon n'y a-t-il pas risque que la pratique existentielle de la philosophie devienne une simple distraction équivalente aux jeux de rôles dans lesquels s'immergent à temps partiel les adeptes de mondes fantastiques et de Comiccon?

Ces objections sévères méritent d'être critiquées pour deux raisons. De prime abord, il faut se demander si le danger que représente la société humoristique pour la philosophie n'est pas exagéré. Après tout, de nombreuses vies philosophiques se sont menées dans des conditions assez périlleuses pour la liberté de penser. La vie de Socrate le démontre assez justement. Ce personnage auquel la tradition philosophique doit tant s'est fait condamner à mort précisément à cause de ses idées accusées de corrompre la jeunesse. En fait, seul le haut moyen âge semble avoir réussi à faire le vide non seulement de la vie philosophique, mais de la philosophie elle-même. Comparativement à ces époques, le danger parait bien minime aujourd'hui.

Toutefois, il est vrai que le phénomène doit être considéré comme une problématique en ce qui concerne la vie philosophique. Dans un de ses textes, Onfray réfléchit sur cette société qui fuit le sérieux et ses conséquences sur le devenir de la philosophie. Ce qu'il remarque, c'est que dans les dernières années un nombre important de livres de vulgarisation de la discipline ont été édités. Bien sûr, la vulgarisation en soi n'est pas un mal et elle est même souhaitable si elle est bien faite.

C'est justement là que les choses dérapent. En effet, plusieurs nouveaux livres affichent explicitement un titre infantilisant et réducteur. Onfray donne l'exemple d'un ouvrage intitulé La philosophie expliquée à ma fille qui n'est pas un livre réellement rédigé pour une hypothétique fille, mais pour un public adulte.

L'alternative privilégiée par Onfray est de faire intervenir l'enseignement afin de préserver la qualité de la philosophie au-dessus du magma relativiste et humoristique de la postmodernité. En effet, la philosophie étant un savoir assez complexe, elle nécessite généralement des individus passeurs qui permettent l'accès à ses richesses. Ceci comporte le désavantage de limiter la démocratisation de la tradition philosophique, mais comporte l'avantage de conserver un certain contrôle sur ce qui se transmet et sur ce qui est valorisé.

Bien entendu, des critiques importantes ont été faites à propos du canon philosophique, mais il reste que ces mêmes critiques ont souvent collaboré au changement dynamique du cursus et qu'elles ne l'ont pas démoli dans une optique purement relativiste. La contre-histoire proposée par Onfray va justement dans ce sens en réintroduisant certains oubliés de la tradition tels qu'Aristippe de Cyrène pour l'Antiquité ou encore Wilhelm Reich et les freudo-marxistes pour le XXe siècle. En somme, l'enseignement de la philosophie constitue une sorte de verrou empêchant la philosophie de devenir un charivari dans lequel rationalisme, empirisme et matérialisme côtoient ésotérisme, théories du complot et dictons populaires.

Cependant, un autre écueil apparait ici. L'une des causes mêmes de l'effacement de la vie quotidienne en philosophie provient justement de sa surspécialisation comme discipline professionnelle. Il faut donc placer un bémol sur la solution purement éducative.

Est-ce à dire qu'il faudrait plutôt opter pour une situation mitoyenne qui préviendrait l'émergence d'une nouvelle scolastique tout en évitant le relativisme de la société postmoderne? Probablement. Maintenant, il reste à voir comment une telle proposition mitoyenne pourrait être formulée d'une façon claire et cohérente.

Pour ce faire, il peut être intéressant de se référer à un petit texte d'Onfray intitulé Rendre la raison populaire. C'est en partie dans ce livre que le fondateur de l'UPC décrit le but et le fonctionnement de l'institution alternative qu'il a cofondée. Ce qui est intéressant avec l'Université populaire, c'est qu'elle permet deux phases complémentaires.

La première est axée sur la transmission de contenu de la part de professionnels et la seconde est quant à elle dédiée au public qui peut alors interagir avec le professionnel ou en interrogeant certaines notions. Ce jeu dialectique s'effectue dans l'enceinte d'une institution gratuite d'accès. Ainsi, la philosophie ne devient pas l'apanage d'une élite et se diffuse sans tomber dans l'écueil démagogique ou relativiste.

Selon les conclusions précédentes, il semble qu'il y ait encore une place aujourd'hui pour la philosophie incarnée dans une vie quotidienne. Certes, il serait absurde de proposer naïvement un retour à la façon de faire antique. Il a été démontré plus haut que la spécificité de l'époque rendait difficile la reconstitution d'écoles philosophiques homogènes telles que le portique des stoïciens et le jardin des épicuriens. Par ailleurs, de nouveaux défis auxquels la discipline n'avait jamais été confrontée auparavant surgissent et méritent des réponses tout aussi nouvelles et inédites.

C'est pourquoi l'entreprise d'actualisation du concept de vie philosophique tentée par Onfray et les membres de l'UPC est importante. Malgré la désintégration des métadiscours, il n'en reste pas moins que la boite à outils de la tradition philosophique peut être utilisée afin d'inventer de nouvelles formules d'existences.

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Mai 2017

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