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Penser l'instrumentalisation politique du terrorisme

Tout se passe comme s'il allait de soi que la sécurité nationale passe avant tout.
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Les attentats de Paris, de Bruxelles, d'Orlando et de Nice ont fait revenir la question de la sécurité nationale au-devant de la scène médiatique à plusieurs reprises cette année. Tour à tour, les commentateurs et les commentatrices en profitent pour avancer des mesures de plus en plus contraignantes et cela, sans apparence de débat. Tout se passe comme s'il allait de soi que la sécurité nationale passe avant tout. Pourtant, n'est-il pas important de réfléchir à l'instrumentalisation de la lutte au terrorisme et à ses conséquences?

Dans l'espoir de réveiller quelque peu ce débat, il n'est pas inutile de faire un petit retour historique afin d'observer ce qui est arrivé sur ce terrain suite au 11 septembre 2001.

Dans l'édition de 2009 de son ouvrage The Culture of Fear, le sociologue américain Barry Glassner rapporte une information qui illustre particulièrement bien comment la guerre au terrorisme peut être instrumentalisée, notamment à des fins électorales. En effet, remarque-t-il, une corrélation peut être observée entre le niveau d'alerte de menace terroriste et le taux d'approbation du président des États-Unis. Il n'est donc pas surprenant d'apprendre qu'à l'approche de la campagne présidentielle de 2004, le directeur du département de la Sécurité intérieure Tom Ridge a reçu des pressions de la part de l'administration Bush afin d'augmenter le niveau d'alerte de menace terroriste.

Un autre thème directement lié à l'instrumentalisation électorale est celui de la carte blanche législative. En effet, la lutte au terrorisme est non seulement susceptible d'être utilisée afin d'accéder ou de se maintenir au pouvoir, mais elle peut également servir à passer des projets de loi controversés. Glassner explique que le terme «war on terror» utilisé par le gouvernement américain de l'époque permettait de faire appel aux émotions (surtout la peur) plutôt qu'à la raison.

Pour le sociologue, cette démarche démagogique permet à la classe politique de faire des lois controversées. Dans cette perspective, il est possible d'imaginer que plusieurs mesures auraient difficilement pu être justifiées et adoptées dans un autre contexte. Le Patriot Act, les guerres, la surveillance accrue des frontières, l'augmentation des dépenses en armement en sont de bons exemples.

Par ailleurs, l'instrumentalisation de la lutte au terrorisme permet aussi à certaines personnes du milieu politique d'améliorer leur image en utilisant des projets tout à fait inefficaces, mais dont l'effet sur la confiance de la population est assuré.

Pour finir, un dernier thème doit être abordé. Dans un texte intitulé «Les effets du 11 septembre 2001 sur le mouvement altermondialiste», les sociologues Jean-Pierre Masse et Nathalie Bayon expliquent que les attentats ont été utilisés comme prétexte afin d'accroître la répression de l'opposition altermondialiste. Selon les deux auteurs, certaines définitions trop larges du terrorisme, comme celle du Conseil de l'Union européenne datant du 19 septembre 2001, permettent de classer dans la même catégorie certaines actions militantes et des actes terroristes. De surcroît, Masse et Bayon pointent le facteur de décontextualisation amorcé depuis le 11 septembre qui permet de faire des amalgames au désavantage des altermondialistes. De plus, l'augmentation des dépenses en armement et en défense pour la guerre au terrorisme est également instrumentalisée afin d'accroître la répression des opposants à la mondialisation. À titre d'exemple, le G20 de 2010 fut l'occasion du déploiement de plus de 20 000 agents. De même, le matériel utilisé lors de ces événements est presque militaire étant donné que des blindés, des canons à eau et parfois même de véritables armes à feu sont utilisées.

En somme, la lutte au terrorisme permet une instrumentalisation pouvant se déployer sur au moins trois axes. D'une part, elle est l'occasion de gains électoraux faciles reposant sur la démagogie et l'utilisation des passions plutôt que de la raison. D'autre part, elle permet l'adoption de lois qui, autrement, seraient probablement assez impopulaires ou controversées.

Finalement, l'instrumentalisation de la lutte au terrorisme peut aussi être mise à contribution de la répression des mouvements contestataires n'ayant pas de lien avec la mouvance islamiste. Si l'expérience de l'après 11 septembre a permis toutes ces instrumentalisations, il est possible de se demander quels sont les mécanismes de récupération politique qui se développeront dans l'actuel conflit contre l'EI. En effet, la popularité croissante de la droite populiste laisse craindre une seconde génération d'instrumentalisation probablement plus redoutable que la première.

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