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Pourquoi le féminisme choque-t-il autant d'hommes?

S'il fallait résumer l'état des lieux du combat entre les mouvements féministes et masculinistes, il faudrait nécessairement conclure que le premier joue le rôle progressiste et émancipatoire alors que le second n'est que le réflexe réactionnaire d'une classe dominante menacée.
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Depuis la publication du livre Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, le mouvement féministe a vu se développer en son sein un débat intéressant dont la question de fond était de savoir quel est le responsable de l'oppression de la femme.

Dans les années 70, Christine Delphy et d'autres militantes parvinrent à fédérer une bonne partie du mouvement contre un ennemi principal bien identifié : le patriarcat. Se rapprochant des thèses marxistes, Delphy a su démontrer quel type d'aliénation permettait à cette domination de subsister. Aujourd'hui encore, dans son ouvrage intitulé Pour une théorie générale de l'exploitation paru en 2003, la théoricienne du féminisme radical réaffirme la nécessité d'examiner ce qu'elle appelle l'aliénation domestique.

Selon Delphy, le régime patriarcal est constitué par une lutte entre classes sexuelles dans laquelle la classe des femmes entretient bien souvent gratuitement la classe des hommes qui peut ainsi perpétuer sa domination. « Qu'est-ce que le mode de production patriarcal? C'est justement l'extorsion, par le chef de famille, du travail gratuit des membres de sa famille. C'est ce travail gratuit réalisé dans le cadre - social et non géographique - de la maison que j'appelle le travail domestique », écrit-elle. Ainsi, le concept d'aliénation originaire de la théorie marxiste se retrouve appliqué à un nouveau domaine et Delphy démontre aisément qu'il s'agit d'un mécanisme assez brutal. En effet, si l'aliénation économique du prolétariat a de nombreuses conséquences néfastes, elle ne concerne pas une spoliation totale du travail. Or, c'est ce que le patriarcat produit étant donné qu'aucune rémunération n'est octroyée à la travailleuse domestique.

Cela étant dit, l'actuelle stratégie féministe de lutte contre l'aliénation domestique s'inscrit dans un tout autre cadre que la simple demande d'égalité des droits formulée par les féministes de la première vague ou encore par les féministes libérales d'aujourd'hui. Pour Delphy comme pour nombre de féministes, l'hydre de l'aliénation devient le centre du combat. C'est surtout l'émancipation qui est désormais visée par celles-ci.

«S'il fallait résumer l'état des lieux du combat entre les mouvements féministes et masculinistes, il faudrait nécessairement conclure que le premier joue le rôle progressiste et émancipatoire alors que le second n'est que le réflexe réactionnaire d'une classe dominante menacée. »

Or, cette revendication fait arracher des cris et des larmes à plusieurs masculinistes. Pourquoi? Tout simplement parce que la lutte contre l'aliénation de la femme ne peut s'accomplir sans renverser les privilèges acquis collectivement par les hommes. En effet, le but n'étant plus de demander une égalité abstraite sur le plan des droits, mais bien une émancipation concrète, il s'en suit que le rapport de force entre la classe des hommes et la classe des femmes produit des étincelles. Le féminisme de la première vague avait bel et bien modifié ce rapport de force sur le terrain politique en faisant reconnaitre une égalité formelle. Cependant, ce n'était que la partie la plus facile du travail d'émancipation des femmes étant donné que l'essentiel de l'aliénation se déroulait et se déroule toujours en milieu domestique.

Le corolaire d'un tel constat est que désormais le rapport de force se vit moins sur le terrain macropolitique que sur le terrain individuel (qui constitue tout de même un terrain politique). Or, le renversement des privilèges masculins exigé par la lutte contre l'aliénation de la femme est par conséquent lui aussi vécu au niveau personnel, ce qui crée une tension et un sentiment de frustration chez certains hommes qui crient à l'injustice. Pour comprendre cette réaction, il faut se rappeler que les privilèges des hommes ont été acquis collectivement sur plusieurs millénaires et que l'individu masculin n'a donc pas nécessairement conscience d'avoir acquis ces privilèges. En réalité pourtant, les hommes sont indéniablement avantagés dès la naissance du simple fait d'être nés avec un sexe masculin parce que l'ensemble de la société est érigé sur un principe phallocratique. C'est ce décalage entre une situation objective plurimillénaire et sa perception subjective vécue individuellement qui crée l'illusion masculiniste d'une injustice dans la revendication d'émancipation formulée par les féministes.

S'il fallait résumer l'état des lieux du combat entre les mouvements féministes et masculinistes, il faudrait nécessairement conclure que le premier joue le rôle progressiste et émancipatoire alors que le second n'est que le réflexe réactionnaire d'une classe dominante menacée. Toutefois, cette posture défensive adoptée par les masculinistes ne doit pas être sous-estimée, car les privilèges dont bénéficient les membres de cette tendance sont bien réels et peuvent jouer un rôle dans le maintien du statu quo ou dans une régression sociale.

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