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Les claques de la propagande

Comment ces médias qui dénonçaient avec virulence, et non sans raison, la violence parentale il y a peine quelques mois, peuvent-ils maintenant sacraliser une mère noire précisément parce qu'elle distribue généreusement des taloches et des coups à son fils?
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Le journal La Presse a publié un article de Richard Hétu intitulé Baltimore «Maman de l'année» pour avoir piqué une colère. On veut nous faire avaler que la maman qui bat publiquement son fils est une héroïne. Qu'on devrait en faire un modèle d'éducation pour discipliner les adolescents! Bien sûr, pas tous les ados, mais les Noirs qui sont plus prompts à la violence si l'on se fie aux médias les décrivant ouvertement comme des thugs, des voyous.

En faire la maman de l'année, c'est aussi affirmer que l'unique moyen pour que cette jeunesse noire écoute, c'est par la violence. Cette vidéo hyper diffusée par l'ensemble des médias, visant à faire de Toya Graham une héroïne pour avoir violenté son fils publiquement, est essentiellement un message qui justifie la brutalité policière envers les jeunes noirs : si les parents noirs disciplinent ainsi leurs enfants, n'est-il pas normal que la police en fasse autant ? En plus, ils s'en servent pour dissuader les jeunes de prendre part à l'une des plus importantes traditions états-uniennes : le droit et l'importance de manifester. Quand ces jeunes qui subissent quotidiennement les violences d'un système injuste - un système qui les fait vivre dans des conditions intolérables, qui les criminalise, les brutalise, les appauvrit - décident finalement de se lever et de dénoncer ces violences, les médias leur filent indirectement des taloches et les somment de rentrer à la maison.

Pourtant, ces mêmes médias clamaient que la violence parentale était inacceptable quand la star de la NFL, Adrian Peterson, a battu l'un de ses enfants. Ils se félicitaient alors qu'il ait été accusé en cour, puis suspendu un an par la NFL. C'est à n'y rien comprendre !

Même ici au Québec, il n'y a pas si longtemps, La Presse dénonçait les actes de Moussa Sidimé qui, pour discipliner sa fille à cause d'un plancher mal lavé, lui avait asséné deux gifles causant une hémorragie sous-arachnoïdienne massive accompagnée d'un œdème cérébral, de détresse respiratoire et de choc, tuant Nouténé, sa fille de 13 ans. Un juge de la Cour du Québec a condamné le père à 60 jours de prison, qualifiant cette agression de «déraisonnable» ajoutant que « la violence n'est jamais une réponse au comportement d'un enfant ». Le magistrat a même précisé que « c'est un message qui a été reçu par l'accusé et sa communauté ». Voilà que le juge supposait que toute une communauté risquait d'en faire autant... Beau message colonialiste !

Alors, comment ces mêmes médias qui dénonçaient avec virulence, et non sans raison, cette violence parentale il y a peine quelques mois, peuvent-ils maintenant sacraliser une mère noire précisément parce qu'elle distribue généreusement des taloches et des coups à son fils? Pire encore ! Voilà que le chef de la police de Baltimore déclare qu'«il devrait y avoir plus de parents comme elle»!

Ne devrait-on pas s'inquiéter d'un appel à la violence lancé par le chef de l'institution sensée protéger cette jeunesse ? Cette jeunesse noire de Baltimore qui compte un taux de chômage de 37% alors que le taux de chômage des Blancs dans cette même ville est de seulement de 10%. Cette jeunesse noire qui a 21 fois plus de risque de se faire tuer par cette même police que les Blancs. Que doit-elle comprendre quand le revenu médian des Noirs est la moitié de celui des Blancs? Que le taux de graduation est de seulement 58 %, l'un des pires aux pays? Que l'espérance de vie des Noirs est inférieure de 20 ans à celle des Blancs vivant dans les quartiers favorisés de Baltimore ? Une étude récente a même démontré que les jeunes noirs y font face à des situations socioéconomiques pires que celle des jeunes au Nigéria et en Inde.

Mais ça, on s'en balance. Ce qui intéresse soudainement les médias, c'est Toya Graham. Pourtant cette maman noire monoparentale qui élève six enfants et qui vient de perdre son emploi a affirmé qu'elle ne voulait pas que son fils unique, Michael Singleton, « devienne un autre Freddie Gray ». Elle voulait plutôt « protéger son fils unique », affirmant que Michael et la police sont loin «d'avoir une relation parfaite ». Pas certain non plus qu'elle voulait qu'il se fasse arrêter et se retrouve dans l'univers américain qui criminalise les Noirs à un rythme fulgurant depuis des décennies, sachant qu'elle n'aurait pas les moyens de lui payer les frais exorbitant d'un avocat.

Toutes ces questions n'intéressaient pas les médias. Ils n'étaient pas là non plus pour dénoncer la précarité des emplois chez les femmes noires, ni le fait que les femmes ne gagnent que 0,77 cents pour chaque dollar gagné par les hommes. En fait, ce sont les femmes blanches qui touchent ce montant, la femme noire, elle, ne fait que 0,66 cents et les femmes hispaniques 0,58 cents sur chaque dollar. Cela n'intéresse pas les médias que les femmes soient les premières victimes de mesures d'austérité, telles les coupures d'eau chez 25 000 citoyens demandées par la ville de Baltimore pour des gens ayant des retards de paiement de plus de 250$ et cela même si la municipalité a augmenté les tarifs de l'eau de 42% au cours des trois dernières années. On pousse ainsi les gens vivant dans la précarité au bord du précipice.

À Baltimore, plus de 60% des familles sont monoparentales. Ce sont aussi des femmes comme Toya Graham qui sont majoritairement les chefs de ces familles monoparentales. Comme vous ne parlez jamais de la vraie vie de femmes comme Toya, ni de celle de leurs enfants, alors, s'il vous plaît les médias, inutile de faire semblant que soudainement la femme noire est devenue votre héroïne!

Les États-Unis sont passés maîtres dans la commercialisation et la culture de la violence, comme étant le remède miracle à tout. Depuis sa création, ce pays est constamment en guerre contre les plus démunis de ce monde, incluant sa propre population, celle-là même qu'il a enchainée pour bâtir son empire. Avec la plus grande population carcérale au monde et ses 2,3 millions de prisonniers, dont environ 1 million sont des Noirs, les É-U transfèrent les fonds publics des services sociaux vers ce qu'on appelle le complexe industriel des prisons. Dans ce système il est indéniable que les Blancs bénéficient des privilèges du capitalisme tandis que leurs concitoyens noirs en subissent la violence depuis son existence.

Cette violence, les citoyens de Baltimore en sont les premières victimes, en plus de subir un embargo économique similaire à celui infligé aux pays ennemis. Par exemple, on parle beaucoup des 15 bâtiments incendiés, mais on ne fait aucunement mention des 30 000 bâtiments déjà brûlés ou vacants faisant de Baltimore une ville en décrépitude. Bien que les signes de crise sautent aux yeux et ne pourraient être plus évidents, on ne sonnera pas l'état d'urgence pour ces raisons. Non, on décrètera l'état d'urgence uniquement lorsque la population qui en a assez fera éclater cet environnement qui les opprime depuis déjà trop longtemps ! Il est quand même paradoxal que l'on exige de personnes vivant dans des conditions plus qu'imparfaites, de se conduire parfaitement quand elles manifestent !

Alors, ne soyons pas étonnés quand les médias préfèrent braquer les projecteurs sur la violence d'une mère envers son fils adolescent, la qualifiant d'héroïne, validant ainsi plus de violence physique contre nos jeunes. Comme si ceux-ci ne subissaient pas déjà assez de violence médiatique, économique, alimentaire, raciale, sexiste, physique, policière, judiciaire. Bref de violence tout court.

Non, nous n'avons pas besoin d'héroïne pour battre cette jeunesse noire, car il y a longtemps que les États-Unis sont passés maîtres dans ce domaine. Et pour votre article M. Hétu, j'imagine que je dois espérer qu'une maman bienveillante et aimante vous filera une claque!?

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