Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Je ne sais pas si, blanc, M. Coriolan serait toujours vivant. Mais je sais que son décès s'ajoute aux statistiques qui démontrent qu'être Noir augmente le risque d'être tué par un policier du SPVM.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Aucun politicien n'a cru bon de mentionner le nom de Pierre Coriolan depuis sa mort, pas même en réponse à la manifestation qui a interrompu le Festival de jazz de Montréal le 2 juillet dernier.
Fournie par la famille
Aucun politicien n'a cru bon de mentionner le nom de Pierre Coriolan depuis sa mort, pas même en réponse à la manifestation qui a interrompu le Festival de jazz de Montréal le 2 juillet dernier.

Le 27 juin 2017 vers 19h, un appel est fait au 911 : un homme détruit des objets dans son appartement. Quelques minutes plus tard, Pierre Coriolan, cet homme noir de 58 ans en crise, sera abattu par le SPVM.

« Depuis que Pierre est parti, je dors mal »

Beaucoup de médias ont rapporté que M. Coriolan se parlait à lui-même, parfois à voix haute, ce qui dérangeait. Pourtant, Raymond*, son voisin d'en face depuis 2008, trouve maintenant pénible de s'habituer au silence et peine à retrouver le sommeil depuis l'incident. « Moi, ça me faisait comme une sécurité de savoir que Pierre se promenait devant mon appartement. Je me suis habitué à ce qu'il parle devant ma porte, pis ça me réveillait pas, il me faisait dormir ».

Il se souvient de son voisin Pierre, le fan de hockey qui venait lui donner les résultats des matchs, particulièrement en série. Lorsque Raymond a fait une «petite dépression », Pierre est venu s'enquérir de son état, s'inquiétant pour lui.

Il a remarqué un changement chez M. Coriolan depuis le début des procédures avec la Régie du logement. Il semblait très affecté en raison de la possibilité d'être expulsé de son appartement. Pourtant, sur l'étage où il habitait, aucun des nombreux voisins n'a voulu témoigner contre M. Coriolan, à l'exception d'une personne, qui a déménagé un peu plus tôt au cours de l'année. Tous les autres le trouvaient plutôt renfermé, mais ont dit « être habitués à Pierre et que personne n'avait jamais eu peur de lui ».

« J'ai lu la lettre qu'il avait reçue le 3 juin de la Régie indiquant qu'il avait 20 jours pour partir », dit Raymond. M. Coriolan comptait les jours dans l'espoir de ne pas se faire évincer. Le 24 juin, il semblait heureux que les 20 jours soient passés. « Pierre disait que c'était bon signe, s'il n'avait pas eu de nouvelle. Il disait je pense que c'est pas grave. Plus ça avançait dans le mois, plus il vivait l'espoir de rester. Il ne m'a jamais parlé de se trouver un autre endroit », ajoute Raymond.

Arrive cette journée fatidique du 27 juin. L'une des sœurs de M. Coriolan l'avait rencontré à midi ce jour-là: « Il était en pleine forme et allait très bien ». Ils communiquaient régulièrement : « Pierre venait nous visiter (elle et ses enfants) en conduisant sa propre voiture ». Même son de cloche pour un voisin qui l'a vu retourner chez lui, « je l'ai vu à deux heures de l'après-midi, pas de problème, il allait bien ». Qu'est-il arrivé entretemps ?

La Fédération des OSBL d'habitation de Montréal a indiqué que leur huissier leur a mentionné ne pas avoir eu le temps d'aviser le locataire le 26 ou le 27 juin.

Quelques heures plus tard, son voisin Raymond le voit « garrocher ses affaires partout en dehors de chez lui. » « Je ne l'avais jamais vu comme ça », explique Raymond. « C'est là que j'ai fait un plus un et j'ai supposé qu'il avait eu l'appel pour lui dire qu'il devait partir dans 72 heures. C'est l'appel qui a fait pouf ». La Fédération des OSBL d'habitation de Montréal a indiqué que leur huissier leur a mentionné ne pas avoir eu le temps d'aviser le locataire le 26 ou le 27 juin.

Will Prosper

La police dit « On l'abat! »

La police arrive et « même pas deux minutes, pis le taser gun tout de suite » affirme Raymond. Avec tout le vacarme, effrayé, il va se réfugier dans sa salle de bain. Puis, entendant des détonations et craignant d'être dans la ligne de feu, il file se cacher dans sa garde-robe. De là, il aurait entendu « on l'abat », suivi d'autres coups de feu. « Après, c'était le silence total ». Quelques minutes plus tard, les policiers frappent à sa porte. Ils avaient vu une balle perdue dans le mur du couloir, mur donnant directement sur la garde-robe où il s'était réfugié.

Des voisins qui avaient entrouvert leurs portes, positionnés derrière les policiers tandis que la scène se déroulait au bout du long couloir de l'étage du HLM, mentionneront : « C'était comme une exécution ». Un véritable peloton. Il y avait une rangée de policiers braquant leurs armes sur l'homme noir de 58 ans : « il était à genou et ne bougeait pas, et ils l'ont tiré ». M. Coriolan s'est immédiatement affaissé contre la porte de sortie.... « On ne lui a pas laissé de chance », diront-ils.

Des résidents en état de choc ont observé les policiers en silence. Rapidement, un agent a lancé à l'un d'eux: « Rentre chez vous, si tu ne veux pas que ça t'arrive aussi ».

Will Prosper

Le jour de la marmotte

Cette mort, qui aurait pu être évitée, nous l'avons rendue inévitable. Le cas de M. Coriolan est l'illustration parfaite des faillites de l'état, volontaires ou non, non seulement dans la lutte contre les inégalités sociales, mais aussi à traiter des enjeux de santé mentale et, nous ne pouvons l'ignorer, à combattre le racisme.

Même si l'histoire se répète, on ne semble pas apprendre du passé.

Même si l'histoire se répète, on ne semble pas apprendre du passé. En 2014, à la suite de la mort d'Alain Magloire, le coroner mentionne que « dans une situation où la personne a des problèmes mentaux, il faut privilégier une démarche de désescalade verbale et baisser le ton ». Sur la mort de Farshad Mohammadi en 2012, le coroner déclare: « Encore une fois, des policiers se sont retrouvés en première ligne d'intervention auprès d'une personne nécessitant des soins de santé et des services sociaux plutôt qu'une intervention policière ». En 2011, dans le dossier de Mario Hamel et de Patrick Limoges, le coroner dit aux policiers (à propos de l'intervention qui a duré moins de deux minutes) d'adopter des « méthodes plus douces, moins coercitives. On ne s'en va pas abattre un criminel armé d'une mitraillette ». Tant de rapports et pourtant, encore un autre mort...

Tous les rapports ont recommandé au gouvernement d'améliorer l'accès à des services en santé mentale, car pour une personne avec de tels enjeux, les risques d'être confrontée à la police sont plus élevés. Une recommandation restée lettre morte. Pourtant, chaque année, le SPVM reçoit plus de 36 000 plaintes reliées à la santé mentale. Voilà le signe d'une société en dépression qui refuse de prendre les moyens pour se soigner. Une société gouvernée par des médecins qui préfèrent agir comme des comptables et qui finissent par nous rendre malades.

Une société gouvernée par des médecins qui préfèrent agir comme des comptables et qui finissent par nous rendre malades.

L'appartement de M. Coriolan était petit, certes, mais c'était ce qu'il possédait de plus précieux. Que la Régie du logement en arrive à le déposséder de son seul havre de paix, c'est signe que l'État accorde peu de valeur aux personnes qui possèdent bien peu. Autre signe de ce mépris: aucun politicien n'a cru bon de mentionner le nom de Pierre Coriolan depuis sa mort, pas même en réponse à la manifestation qui a interrompu le Festival de jazz de Montréal le 2 juillet dernier.

Des crises de santé mentale, il y en a aussi dans Westmount et Outremont. Par contre, des gens en crise abattus par la police dans ces quartiers, beaucoup moins. Difficile de ne pas se poser la question : comment un homme approchant la soixantaine, à genou au sol avec possiblement un tournevis à la main, peut-il représenter une menace telle qu'il faille l'abattre? Difficile aussi de ne pas considérer que M. Coriolan partait perdant face à la police : problème de santé mentale, statut social déficitaire et profilage racial. Profilage racial, car l'image d'un noir à genou, immobile au sol est tellement négative et menaçante dans l'inconscient de tous les policiers présents, qu'il était normal de tirer sur lui à bout portant.

Je ne sais pas si, blanc, M. Coriolan serait toujours vivant.

Je ne sais pas si, blanc, M. Coriolan serait toujours vivant. Mais je sais que son décès s'ajoute aux statistiques qui démontrent qu'être Noir augmente le risque d'être tué par un policier du SPVM. Selon des données colligées par la CRAP, 60 personnes ont été tuées par des policiers du SPVM depuis 1987. Neuf d'entre elles étaient noires, soient 15 % alors que les communautés noires ne constituaient que 8,4 % de la population montréalaise en 2011. C'est un fait, pas une lubie. Il faut aussi mentionner qu'aucun policier du SPVM n'a été tué par arme blanche depuis 1971 au moins, selon l'aveu même de la Fraternité des policiers et policières de Montréal.

Depuis l'annonce de la mort de leur proche, la famille se questionne sur la nécessité pour les médias d'avoir exposé son casier judiciaire. En quoi était-ce d'intérêt public ? Est-ce que l'information justifie le geste des policiers ? Si vous êtes Noir et victime des balles de la police (un risque plus élevé pour vous, je le rappelle) ne vous attendez pas à mourir dans la dignité. Vous serez déshumanisé. Vous ne deviendrez qu'un casier judiciaire dans les médias, victime d'une peine de mort médiatique qui s'ajoutera à la première, pour vous priver de tout capital de sympathie. M. Coriolan n'est plus qu'un corps noir criblé de balles, rien d'autre qu'un casier judiciaire.

Pourtant, ici gît un homme. Un homme qui voulait se tenir debout dignement dans son appartement. Mais c'est à genoux, le long du couloir de sa mort, que la société l'a exécuté.

*Raymond est un nom fictif. Par peur des représailles, certains voisins préfèrent garder l'anonymat.

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.