Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Pourquoi des Blancs comme ceux à la tête deveulent tant défendre l'indéfendable, au lieu de prendre conscience qu'ils perpétuent un tort historique et qu'ils portent atteinte à la dignité des Noirs?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Au primaire, pendant une dispute avec des élèves de ma classe, quelqu'un m'a traité de nègre. À mon retour à la maison j'ai demandé «Maman, qu'est-ce que ça veut dire nègre?»

Je n'ai aucun souvenir de son explication, mais le regard abasourdi d'une mère désarçonnée par la malveillance humaine à l'égard de sa progéniture restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Pourquoi cette obsession à utiliser le «mot N» (de l'anglais N-word) au Québec? Il y a quelques semaines, on apprenait que le Québec était la seule province au pays à avoir encore des lieux publics (onze) identifiés avec le mot «nègre» ou «nigger».

Fin juillet, La Presse publiait un article sur le conflit artistique entre Meek Mill et Drake, qu'il accusait de recourir à un «nègre» pour écrire les textes de ses chansons. À la suite des plaintes de son lectorat, La Presse changeait rapidement le terme désobligeant pour «collaborateur anonyme». Épisode réglé, me direz-vous? Détrompez-vous! Deux semaines plus tard, La Presserevenait à la charge avec les mêmes artistes, et la même phrase: « (...) recours à un nègre pour écrire». Mais, cette fois-ci, La Presse maintiendra l'utilisation du mot N, expliquant que c'est un terme qui fait partie du dictionnaire Le Petit Robert, en ajoutant une NDLR: «personne qui écrit pour le compte d'une personnalité.»

Selon cette logique, on devrait utiliser sans hésiter les mots (et je m'en excuse) tapette pour homosexuel, sauvage pour Autochtone, mongol pour déficient intellectuel, car ces mots font aussi partie du dictionnaire. Alors permettez ma stupéfaction devant l'obstination de La Presse à imposer un terme péjoratif et raciste auprès de ses lecteurs et lectrices.

De tels exemples ne manquent pas dans la Belle province. Pensons à Jean Perron demandant à Georges Laraque «c'est qui le nègre» qui a écrit ton livre. Ou à Victor-Lévy Beaulieu traitant de «Reine-Nègre» Michaëlle Jean, alors nommée gouverneure générale du Canada. Ou le Bye Bye qui s'est payé un party sur le mot N et Obama. Ou tous les épisodes de blackface.

À chaque occasion, les auteurs semblent renversés d'avoir blessé des gens. La plupart du temps, ils s'efforcent soit de défendre l'utilisation du terme, soit d'affirmer qu'ils ne sont pas racistes. Mais très rarement prennent-ils le temps de s'excuser auprès des gens qu'ils ont offensés.

On ne devrait pas avoir à expliquer les blessures que provoque le mot N au Québec. Même quand Pierre Vallières, le militant du Front de libération du Québec (FLQ) a écrit en 1968 son célèbre livre pour parler de la condition des francophones, il a utilisé l'un des termes le plus dégradant que l'on puisse choisir pour qualifier un être humain: Nègres blancs d'Amérique, un titre qui à lui seul fait comprendre la domination sociale et économique des anglos-saxons auprès du groupe ethnique des Canadiens d'origine française.

Quant à l'origine de «nègre littéraire», elle est encore plus insidieuse. Le célèbre auteur Alexandre Dumas, un métis d'origine haïtienne, auteur des Trois mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo, sera victime de sa pigmentation. Le journaliste Eugène de Mirecourt produit en 1845 un pamphlet pour discréditer la paternité des œuvres de Dumas. Jaloux du talent et de la gloire du Métis, il écrira: «Grattez l'œuvre de M. Dumas et vous trouverez le sauvage [...]. Il déjeune en tirant de la cendre du foyer des pommes de terre brûlantes qu'il dévore sans ôter la pelure! [...] Il embauche des transfuges de l'intelligence, des traducteurs à gages qui se ravalent à la condition de nègres travailleurs sous le fouet d'un mulâtre».

Ce journaliste raciste sera condamné par les tribunaux pour ce pamphlet, mais il aura quand même créé le terme «nègre littéraire».

Le but du journaliste de Mirecourt était de dénigrer (du latin denigrare, noircir....), d'abrutir et de laisser croire à l'inintelligence de Dumas pour discréditer les œuvres de ce génie. L'ironie du sort est que lors de la «panthéonisation» d'Alexandre Dumas en 2002, le pamphlet ordurier et raciste de Mirecourt a été réédité pour nuire au brio de l'écrivain métis.

Pourquoi des Blancs comme ceux à la tête de La Presse, dans le cas de Drake, veulent tant défendre l'indéfendable, au lieu de prendre conscience qu'ils perpétuent un tort historique et qu'ils portent atteinte à la dignité des Noirs?

Même le gouvernement du Québec ne fait pas exception et ajoute l'insulte à l'injure en tentant de justifier le nom de la Rivière Niger, et cela même s'il n'y a aucun lien possible avec le pays africain et cette rivière. Il faut savoir qu'en 2006, c'est la plainte d'un touriste américain stupéfait de voir le nom de la Rivière Nigger sur une pancarte québécoise qui a conduit à modifier son nom pour Rivière Niger. Historiquement, c'est parce que des Noirs, dont la famille Tatton, auraient vécu aux abords de ses rives que cette rivière portait ce nom. On a quand même décidé de ne pas utiliser le nom des Tatton pour la renommer... Il faudra bien un jour admettre que c'est un moyen d'effacer les Noirs de la mémoire collective. Aurions nous osé appeler le pont Jacques-Cartier le «pont du colon»?

Alors, je ne peux qu'applaudir le geste du mouvement Black Lives Matter (BLM) qui prend les devants et décide d'enlever un panneau gouvernemental portant atteinte aux noirs. BLM semble avoir enterré métaphoriquement le terme. L'analogie est puissante et symbolise que nous n'oublions pas l'utilisation de ce terme mais que nous devrions garder le «mot N» mort et enterré, en plus d'ajouter avec raison, Tattons' Lives Matter («La vie des Tatton compte»).

Quelqu'un m'a déjà demandé «Pourquoi vous, les Noirs, vous ne traitez pas les Blancs de...» et il se met à chercher un terme injurieux... Je l'ai vite ramené à la réalité en lui disant: «Mais pourquoi donc voudrais-je faire ça?»

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.