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Ce qui attend Theresa May si elle veut éviter l'effondrement du Royaume-Uni

L'Angleterre s'est accidentellement lancée dans une révolution. Personne ne s'attendait à la victoire des partisans du Brexit, encore moins les intéressés, qui n'en ont pas anticipé les conséquences pratiques.
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L'Angleterre s'est accidentellement lancée dans une révolution. Personne ne s'attendait à la victoire des partisans du Brexit, encore moins les intéressés, qui n'en ont pas anticipé les conséquences pratiques: la poursuite des relations avec l'Union européenne? Une séparation totale? Aucun plan d'action commun n'a été établi depuis le vote. Leur incapacité à désigner un autre candidat à la tête du Parti conservateur n'est que le reflet de leur inconséquence. La révolution est pourtant en marche, avec tous ses impondérables. Et quels qu'en puissent être les bénéfices à long terme, les révolutions écrasent tout sur leur passage. Elles finissent d'ailleurs souvent en catastrophe.

La logique économique attend du nouveau gouvernement britannique qu'il fasse passer l'accès au marché unique européen avant toute autre considération, y compris celle qui consiste à tenter de réduire l'immigration de façon draconienne. C'est pourtant bien cette politique que la droite nationaliste et anti-immigration place au-dessus de toutes les autres. Si cette faction a échoué à combiner victoire au référendum et prise de contrôle du parti conservateur, Theresa May, résolument pro-«Remain», ne doute pas un instant qu'elle devra lui donner un os à ronger.

La question est la suivante: jusqu'où estimera-t-elle devoir aller en matière de contrôle de l'immigration et de sortie de toutes les structures européennes pour assouvir l'appétit anti-européen de l'extrême-droite? Une telle politique pourrait entraîner -au mieux- une profonde récession économique ou -au pire- un nouveau krach financier. Il ne m'est jamais arrivé, au cours de ma carrière de commentateur économique, d'être aussi inquiet pour l'économie britannique.

L'idée selon laquelle tout est désormais gravé dans la pierre, même en cas de désastre, sous prétexte que le peuple s'est exprimé est absurde.

Depuis quelques jours, les marchés et les entreprises rendent leur verdict. Face à la panique des investisseurs, la moitié des fonds immobiliers commerciaux ont suspendu leurs retraits. La plupart des grandes entreprises ont gelé leurs projets d'investissement. D'autres ont décidé de quitter le pays. Après une chute de 13%, la livre sterling atteint son plus bas niveau depuis 31 ans, du jamais vu depuis que le Royaume-Uni est sorti du mécanisme de change européen en 1992.

Si les bénéfices réalisés en euros et en dollars, qui se traduisent par des bénéfices plus élevés en livres sterling, ont entraîné une hausse du cours des actions de la zone euro, la plupart des économistes considèrent que l'incertitude liée à la future architecture des échanges engendrera une augmentation dérisoire du volume des exportations, comme cela avait été le cas, dans des circonstances bien plus favorables, lors de la dévaluation de la livre en 2009. Face à la hausse du prix des produits importés, le pouvoir d'achat des consommateurs se réduira comme peau de chagrin, sans grand espoir d'amélioration.

Les structures économiques et financières de l'Angleterre, membre de l'UE depuis plus de 40 ans, sont profondément liées à celles de l'Union européenne, qu'il s'agisse des «passeports européens» qui permettent aux banques anglaises d'opérer dans n'importe quel pays de l'Union ou des subventions agricoles. De même, le déficit du pays représente plus de 5% de son PIB et ne peut être financé que par des flux de capitaux, jusqu'ici dépendants du commerce et de l'accès au marché européen, que ce soit pour investir dans l'immobilier ou dans les entreprises. La fin de ces relations ne s'effectuera pas sans risques majeurs. Pour paraphraser le futurologue Parag Khanna, «à l'image des œufs brouillés, qui ne sauraient reprendre leur forme première, les pays européens sont matériellement inséparables. Leur système monétaire, leurs voies de transport, leurs réseaux énergétiques et financiers, et leurs chaînes de fabrication et d'approvisionnement sont intimement mêlés».

Profondément vulnérables financièrement, les Britanniques doivent maintenant entreprendre de reprendre leurs œufs. Le prix des terres agricoles -- fixé par la politique agricole commune -- a doublé ces cinq dernières années. Celui de l'immobilier résidentiel et commercial s'est envolé, Londres étant de facto la capitale commerciale de l'Europe. Le tout est financé par un système bancaire tendu à l'extrême, dépendant d'une imminente réduction de créances sur fond de chute des prix, et doublement vulnérable aux liquidités dans un marché interbancaire londonien victime d'un gel des entrées de capitaux. Les Brexiteurs persistent cependant à ignorer le risque d'une crise bancaire majeure, pourtant bien réel, annoncé par la fermeture de fonds immobiliers la semaine dernière.

Le risque d'une crise bancaire majeure, annoncé par la fermeture de fonds immobiliers la semaine dernière, est bien réel.

L'option la moins désastreuse serait d'intégrer l'Espace économique européen (EEE) selon «l'option norvégienne», grâce à laquelle le Royaume-Uni conserverait pleinement son accès au marché unique, mais sans plus avoir voix au chapitre sur sa gouvernance. Cela permettrait au moins aux flux commerciaux, financiers et de capitaux de continuer, évitant le risque d'une crise bancaire. En contrepartie, le gouvernement de Mme May serait obligé d'accepter la liberté de circulation des personnes, ce qui va à l'encontre du résultat du référendum.

À ce jour, les gouvernements européens n'ont montré nulle disposition à transiger sur cette liberté fondamentale. Néanmoins, avancer dans cette direction est la seule option rationnelle qui se présente à la Grande-Bretagne, comme à l'UE. Celle-ci doit faire une proposition qui permette au Royaume-Uni de sauver la face, afin de faire passer la pilule auprès des Britanniques, peut-être en acceptant que les citoyens européens aient l'obligation de trouver un travail avant de s'installer outre-Manche. Le Royaume-Uni devra accepter ce compromis, malgré les difficultés politiques inhérentes: une partie de la population est à présent ouvertement anti-immigrants et tient des propos quasiment racistes. C'est l'une des plus néfastes conséquences de la campagne malhonnête menée par le camp du «Leave».

Pour sceller cet accord -avant lequel le Royaume-Uni sera dans l'obligation de rester membre de l'UE-, il faudra peut-être en passer par un second référendum ou une élection. L'idée selon laquelle tout est désormais gravé dans la pierre, même en cas de désastre, sous prétexte que le peuple s'est exprimé est absurde. Il est démocratiquement insensé d'affirmer que le peuple ne peut pas revenir sur une décision s'il est évident que celle-ci engendrera une catastrophe économique. Un tel accord pourrait même faire mieux que cela: après les premières turbulences, l'EEE pourrait constituer un stade intermédiaire permettant au Royaume-Uni de conclure des accords commerciaux avec d'autres pays, le temps de s'en sortir. Cette situation pourrait même présager un éventuel retour du pays au sein d'une UE plus dynamique, suite à de réelles réformes, surtout si les dirigeants européens tirent les leçons de cette débâcle.

Dans le cas contraire, le Royaume-Uni devra opter pour une sortie totale, en négociant un accord bilatéral avec l'UE, comme l'ont fait la Suisse ou le Canada, ou en se contentant d'accéder aux marchés européens en se conformant aux règles de l'OMC. Selon les estimations du ministère des Finances, les deux possibilités coûteraient, à long terme, très cher au pays: la perte de production sur 15 ans serait quasiment deux fois plus élevée que celle qu'impliquerait l'option norvégienne.

À l'image des œufs brouillés, les pays européens sont matériellement inséparables.

Pourtant, le ministère des Finances - et d'autres pronostiqueurs, comme le FMI et l'OCDE - s'est montré extrêmement optimiste dans ses prévisions, qui partent du principe que l'économie pourrait rapidement repartir et qu'il n'y aurait pas de crise financière, deux possibilités aussi improbables l'une que l'autre. Dès le premier signe de contraction du crédit, le pays sera de nouveau confronté aux difficultés qu'il avait rencontrées en 2008-09, mais sans bénéficier de la stabilité d'une structure économique et financière plus vaste.

Il semblerait que ni le nouveau gouvernement ni les dirigeants en grande difficulté du Parti travailliste ne mesurent l'ampleur du danger. Les réductions fiscales pour les entreprises promises par George Osborne, le ministre des Finances, offrent au Royaume-Uni la perspective d'un avenir de paradis fiscal. Mais cela n'apportera rien aux communautés et aux électeurs désabusés qui ont fait le choix du Brexit.

london bank

Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre, s'exprime au cours d'une conférence de presse, le 5 juillet, à Londres. (Dylan Martinez/Pool via AP)

Des fermetures en série s'annoncent. Les milieux scientifiques et universitaires britanniques craignent d'être marginalisés et de subir des coupes budgétaires. Il en va de même pour les industries créatives. Les fermiers britanniques ne connaîtront jamais plus la même prospérité. L'industrie automobile, remise sur pied, mais dépendante de son accès aux autres pays de l'Union européenne, devra se limiter au marché intérieur. Les parties pauvres du pays, dont la majorité a voté pour la sortie de l'UE, découvriront que les subventions perdues ne seront jamais remplacées.

Les historiens qui se pencheront sur notre époque auront bien du mal à expliquer la folie qui s'est abattue sur notre pays, la facilité avec laquelle les partisans du «Non» à l'UE ont répandu tant de mensonges, et l'incapacité du camp du «Oui» à les dénoncer. Le fait de mentir a des conséquences. Nous sommes sur le point d'en découvrir la gravité, et les ramifications, qui s'étendront bien au-delà de nos frontières. Méfions-nous du nativisme, et prions pour que Mme May parvienne à trouver des compromis et des accords susceptibles d'éviter une catastrophe.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Catherine Biros, Guillemette Allard-Bares et Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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