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Être gai et grandir en Russie

Je devais avoir 12 ou 13 ans. C'était une époque de changement et de joie. Pourtant à l'école, j'étais régulièrement agressé. Aux États-Unis, les homophobes doivent défendre et expliquer leur point de vue depuis des décennies. En Russie, l'égalité et les droits de l'homme n'ont jamais existé.
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Courtesy of Wes Hurley

Je devais avoir 12 ou 13 ans. C'était une époque de changement et de joie. Ma famille avait des tendances anti-communistes depuis des années et quand l'Union Soviétique s'est écroulée, nous étions euphoriques. Mes camarades de classe ont arrêté de porter le foulard rouge et le badge de Lénine. De mon côté, je les avais abandonnés bien avant que cela soit acceptable. Les gens ont commencé à assumer leurs croyances religieuses, à adopter ouvertement la culture occidentale et à rêver à de meilleurs revenus dans la nouvelle société capitaliste. Pendant une courte période, la liberté et l'espoir étaient palpables.

Puis, est apparu le revers de la médaille.

Les leaders communistes, qui s'étaient si longtemps opposés aux réformes, étaient soudainement pressés de les adopter, mais gardaient en tête la même vieille rengaine: s'accaparer de tout! Par une pratique abjecte appelée "privatisation", ils ont commencé à mettre la main sur (pour ne pas dire voler) des propriétés publiques et à les considérer comme les leurs. Ces monuments de l'élite politique transformaient des magasins d'État, des stades, des cimetières et des parcs en leurs biens propres et en faisaient des entreprises privées. Essayez d'imaginer Barack Obama s'emparer soudainement de la bibliothèque du Congrès et l'offrir à son cousin. Ou encore la sénatrice Patty Murray construire son parking privé sur un mémorial de la Seconde Guerre mondiale. En Russie, ce type de pratique était quotidien.

Les administrations régionales et municipales volaient les fonds publics jusqu'au point où les fonctionnaires (y compris les professeurs et la plupart des médecins) ne pouvaient être payés plusieurs mois d'affilée. Les professeurs de mon école se plaignaient de ne pas avoir été payés depuis un an. Les pénuries d'eau et les coupures d'électricité faisaient partie de notre quotidien. Je me dépêchais de finir mes devoirs juste après l'école, car tous les après-midis se passaient dans le noir. Le soir, on se divertissait en regardant au télescope le bâtiment de l'autre côté de la rue, où vivait un gros bonnet qui s'était assuré que le courant ne soit jamais coupé dans son appartement. Pour prendre un bain, je devais marcher un kilomètre avec deux grands seaux d'eau, les remplir à la station-service, les rapporter, les chauffer sur un réchaud, m'asseoir dans la baignoire et verser l'eau sur moi.

À l'école, j'étais régulièrement agressé. Beaucoup d'élèves de ma connaissance avaient arrêté de venir après avoir été violemment attaqués plusieurs fois par jour. Toutes les semaines, on pouvait voir une ambulance devant l'école. Les toilettes de l'école étaient devenus le repère permanent d'adultes membres de gangs. Le monde paraissait de plus en plus dangereux, injuste et brutal. Je ne vivais qu'à trois pâtés de maisons de l'école, mais tous les jours je pouvais compter plusieurs carcasses de chiens et de chats, torturés, mutilés et exposés par des enfants de mon âge. Je n'arrivais pas à comprendre cette cruauté aveugle. Ma famille faisait partie des plus pauvres et je connaissais des gens qui avaient encore moins que nous, mais le désespoir et la misère ne m'avaient jamais poussé à faire du mal aux autres. Certains des enfants les plus violents faisaient partie des plus épargnés.

Il est assez difficile de déterminer le jour exact où j'ai pris conscience, où j'ai enfin réalisé que je ne voulais pas passer le restant de mes jours dans ce pays, dans cette culture. Je me souviens cependant d'un cours d'Histoire sur l'holocauste. Quand la professeure a abordé le thème des camps nazis, les élèves ont commencé à l'interrompre avec des phrases du type "Hitler aurait du finir le boulot!". Avant que je réalise ce qui se passait, la classe entière scandait "à mort les youpins!" et frappait des poings sur les bureaux. Je les fixais, terrifié. Survêtements Adidas, blousons de cuir et croix en or avaient remplacé l'uniforme communiste, mais les autres enfants avaient toujours le même regard vitreux, la même colère frénétique et le même élan qu'une foule vengeresse, intolérante et monolithique.

La professeure était restée sans voix et, somme toute, amusée. En fait, elle souriait, un sourire innocent et faussement pudique, comme si quelqu'un venait de lâcher un vent. Elle avait essayé de calmer leur antisémitisme en leur disant: "Vous ne devriez pas être aussi durs, seulement parce qu'ils sont intelligents et ont beaucoup d'argent".

Ce jour-là, j'avais raconté à ma mère ce qui s'était passé à l'école. En colère, mais loin d'être surprise, elle avait répondu: "Il faut qu'on parte d'ici!".

Je ne sais pas pourquoi j'étais brutalisé par mes camarades. Les crachats, les coups de poing, les couteaux à cran d'arrêt, les menaces de mort et les coups avec des chaises ont duré quelques années. J'allais à l'école et personne ne voulait s'asseoir à côté de moi, puis tous se jetaient sur moi. Je n'étais pas la seule victime. Certains obtenaient grâce et d'autres étaient déchus. C'est la foule qui décidait. J'en suis venu à apporter un couteau de boucher à l'école.

Être gai était également quelque chose que je ne comprenais pas. Le mot "pédé" était le plus utilisé. C'était un synonyme de "tapette" mais signifiait également "pédophile". Au vu du contexte dans lequel les autres l'utilisaient, j'ai compris rapidement qu'être pédé était la pire chose au monde. J'entendais les enfants de mon âge ainsi que les adultes dire que les pédés étaient plus ignobles que les tueurs en série et que toute personne admettant en être un méritait de mourir d'une mort atroce. À l'école et avec les copains, le mot "pédé" était dans toutes les conversations pour rabaisser ou déshumaniser quelqu'un que nous n'aimions pas. Avec toutes ces références aux pédés, j'avais l'impression qu'ils n'existaient pas vraiment. Je n'en connaissais pas un seul.

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Manifestation à Londres contre la Russie et ses lois anti-gai

De temps en temps, des rumeurs filtraient sur l'homosexualité de certaines célébrités étrangères, mais ces rumeurs étaient rapidement étouffées. Freddie Mercury en est un exemple. Homme le plus populaire de Russie pendant toute mon enfance (imaginez les fans d'Elvis, de Madonna et des Rolling Stones combinés), Freddie Mercury a rapidement été lavé de tout soupçon d'homosexualité par les médias russes et l'opinion publique. Ils soutenaient que les rumeurs étaient infondées ou que ses tendances homosexuelles étaient le résultat de l'usage de drogue. C'était un bon garçon; il ne pouvait pas être un de ces pédés qu'ils détestaient tant.

Être gai en Russie, c'était comme être atteint d'une maladie en phase terminale. Je n'arrivais pas à croire que ça m'arrivait à moi. Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça? Je n'étais qu'un enfant. Et voilà que j'en étais un, un pédé inavoué, un de ces monstres, dont j'avais tant entendu parler et dont je savais si peu. Convaincu d'être le seul homosexuel de Russie, je me sentais complètement exclu de la race humaine. Je me regardais dans le miroir et imaginais une créature reptilienne cachée sous ma peau. Déjà que j'étais très mal vu, sans raison apparente, que m'arriverait-il s'ils savaient?

J'étais obsédé par l'idée de cacher mon secret. Mais comme je ne savais pas à quoi ressemblait un homosexuel, j'étais totalement perdu. Je suis devenu très anxieux et complexé, au point que parfois j'oubliais comment marcher. Chaque pas était un véritable calvaire. Est-ce que cette allure fait pédé? Est-ce que ces mots font pédés? Mieux vaut rester assis sagement et fermer ma bouche. J'avais quelques amis proches avec qui j'avais grandi et qui étaient comme des frères. Quand ils ont commencé à s'intéresser aux filles, j'ai arrêté de les fréquenter. Je ne voulais surtout pas qu'ils se rendent compte que ce n'était pas aux filles que je pensais.

C'est avec une grande surprise que j'ai assisté à la dernière controverse quant à la privation des droits des homosexuels en Russie. Non, je ne suis pas surpris par l'homophobie des Russes. Je suis seulement surpris de l'intérêt soudain des États-Unis envers le traitement inhumain des minorités sexuelles en Russie. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Cela fait bien longtemps que c'est le cas. Et à tous les apologistes libéraux condescendants: s'il vous plaît, arrêtez de comparer les problèmes des États-Unis à ceux du reste du monde. Vous n'en savez strictement rien. Vous êtes extrêmement chanceux de vivre là-bas.

J'aimerais être optimiste quant aux progrès possibles dans le domaine des droits des homosexuels, des droits de l'homme même, en Russie. Mais c'est difficile.

C'est difficile, car les Américains considèrent comme acquises certaines évidences telles que la liberté, l'égalité et la justice. Certains principes et idéaux ont toujours existé pour être défendus. Des abolitionnistes aux suffragettes en passant par les militants des droits civiques des années 60 ainsi qu'Act Up et HRC, les progressistes américains se battant pour les droits de l'homme ont réussi à changer les mentalités en encourageant le public américain à défendre ces idéaux. L'égalité est considérée comme normale, alors que l'inégalité, bien que courante, est constamment débattue et analysée. Les homophobes américains doivent défendre et expliquer leur point de vue depuis des décennies. En Russie, l'égalité et les droits de l'homme n'ont jamais existé.

Soutenue par l'église orthodoxe de Russie, la monarchie répressive a encouragé et renforcé l'esclavage et l'oppression violente des minorités. Cette monarchie a été remplacée par le communisme, qui est une autre forme d'esclavage. Tous ceux qui ont eu le courage de dénoncer des injustices ont systématiquement été assassinés ou envoyés dans les goulags pour y mourir. Et aujourd'hui, sous l'apparence de la démocratie et du libre échange, les mêmes vieux crétins du KGB dirigent le pays comme un grand réseau de crime organisé, sans aucune moralité, ni justice. Il est difficile de parler d'homophobie dans ce milieu. Les sectaires de Russie n'ont pas à s'expliquer. Les violences faites aux homosexuels ne sont pas vues d'un mauvais œil, car la violence est omniprésente.

Par exemple, un grand nombre de journalistes et de leaders d'opposition qui ont posé des questions sur la corruption en Russie ont été assassinés depuis la chute de l'Union soviétique. Si la même chose se produisait aux États-Unis, ce serait la guerre civile!

Les droits des homosexuels ne sont pas apparus par magie en Occident. Ils existent dans le cadre de mouvements humanistes, des siècles entiers où des gens se sont battus pour une société plus juste, que ce soit pour l'abolition de la ségrégation ou pour l'égalité des sexes. La Russie n'a jamais connu d'équivalent à ces mouvements. Les minorités russes, y compris les Juifs, sont tout autant méprisées aujourd'hui qu'elles l'étaient à l'époque des tsars. Le féminisme, qui est un important précurseur des droits des homosexuels, est inconnu de tous en ex Union soviétique. Les femmes ne se voient pas comme égales et se demandent rarement si c'est une bonne chose ou non. En général, une femme russe travaille d'arrache-pied et rentre à la maison pour s'attaquer à toutes les tâches ménagères pendant que son mari lit le journal et boit. Le 8 mars, journée internationale de la femme, est très populaire en Russie, mais a été complètement récupéré par la culture sexiste pour ne devenir qu'une ode à la beauté de la femme et une raison pour lui offrir des fleurs. Les violences domestiques sont courantes et la misogynie est aussi russe que la vodka. Et sans le principe que les femmes et les hommes sont égaux, le concept des droits des homosexuels n'a aucune chance de prévaloir.

Existe-t-il un espoir pour les homosexuels de Russie? S'il y a bien une chose que j'ai apprise aux États-Unis, c'est qu'il faut rester optimiste. Quand j'essaie de voir les choses du bon côté, je pense à ma mère.

Élevée dans une famille et une communauté très sectaire, elle avait réussi à s'en sortir indemne et fidèle à elle-même. Elle m'a élevé dans la croyance que tous les gens sont égaux et méritent amour et compassion. Elle m'a montré le ridicule du racisme et de l'antisémitisme. Elle remettait souvent en question les rôles et les attentes des sexes, que tout le monde tenait pour acquis. Pendant notre dernière année en Russie, nous avons regardé un épisode d'un soap brésilien qui traitait des droits des homosexuels. C'était passionnant de voir ce sujet traité à la télévision de manière positive. J'étais également terrifié à l'idée de le regarder avec ma mère. Je me demandais: "Va-t-elle deviner? Va-t-elle deviner un jour que je suis l'un d'entre eux?"

À la fin de l'épisode, elle m'a avoué à quel point elle était outrée par les gens qui haïssent les homosexuels. Elle a ajouté que si elle avait un enfant gai, elle l'aimerait tout autant et le soutiendrait sans condition. J'ai pleuré cette nuit-là. Je ne lui ai pas confié mon secret, car je savais qu'elle s'inquiéterait pour moi, à cause de tous les dangers potentiels. Mais je ne pouvais pas être plus fier qu'elle soit si différente de tous ceux que je connaissais en Russie. Alors, quand je pense à ma mère, je sais qu'il y a de l'espoir. Les êtres humains sont résistants. L'amour, la compassion et le courage finissent toujours par triompher.

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Les pays qui ont légalisé le mariage gai

Les pays qui ont dit oui

Comment les Américains peuvent-ils aider? De nombreuses manières, mais une chose reste très importante: garder le débat actif dans la conscience publique. Continuez de parler des homosexuels en Russie. Continuez de penser aux homosexuels de Russie. Parlez-en à vos amis, écrivez, tweetez, postez sur Facebook. Si vous avez des amis russes, parlez-en avec eux. Appelez vos sénateurs et le Département d'état et dites-leur que vous êtes inquiet par la situation en Russie et qu'il faut faire quelque chose. Une chose à savoir sur l'élite russe, même le plus rétrograde des sectaires aime être considéré comme civilisé, sophistiqué et cosmopolite. Ils veulent être respectés et pris au sérieux. Si des fonctionnaires russes impliqués dans l'adoption de lois anti-gais ou contribuant à une propagande homophobe se voient interdire l'entrée aux USA et officiellement attribuer l'étiquette de violateurs des droits de l'homme, ils seront furieux (même s'ils affirment le contraire).

Et ce n'est pas que politique. Par exemple, le Festival international du film de Seattle devrait se rendre compte que Nikita Mikhalkov, dont le travail est acclamé en Occident, est un fanatique nationaliste d'extrême droite, qui promeut une propagande pro-Poutine et homophobe depuis des années. Il a même tourné un film homophobe qui prend pour cible un artiste efféminé populaire. Ses mains sont tachées du sang de certains homosexuels russes.

Dans un monde parfait, les Jeux olympiques auraient lieu dans une autre ville. Comment peut-on légitimer un tel régime proto-fasciste? Certains évoquent la victoire de Jesse Owens sous l'Allemagne hitlérienne comme si son triomphe pouvait laver la mort de millions de juifs et d'autres communautés. Je ne suis pas dupe. Je m'apprête à contacter les sièges de tous les sponsors des Jeux pour leur faire savoir ce que je pense de leur soutien à cet événement.

Boycottons les produits russes, et expliquons pourquoi. Les entreprises russes sont toutes étroitement liées au gouvernement . C'est dans la nature du système. Voilà qui est très différent des États-Unis, où les petites entreprises et corporations sont libres de suivre ouvertement leurs propres lignes de conduite. La société Stoli avance comme excuse que seule une partie de sa vodka est produite en Russie. Dans ce cas, qu'ils transfèrent l'intégralité de leur production à l'étranger. Localement, on devrait inciter Boeing et Microsoft à arrêter de sous-traiter en Russie et de s'associer avec des entreprises basées là-bas.

Cela peut sembler compliqué à l'heure qu'il est, mais c'était aussi le cas du mariage gai il y a dix ans.

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