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La nécessaire sortie de Mohamed Morsi

L'Égypte est à nouveau secouée par des manifestations massives. Pouvait-on imaginer une pétition qui recueille 22 millions de signatures contre les Frères musulmans au pouvoir il y a encore quelques mois?
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L'Égypte est à nouveau secouée par des manifestations massives. Pouvait-on imaginer une pétition qui recueille 22 millions de signatures contre les Frères musulmans au pouvoir il y a encore quelques mois?

L'opposition se met en ordre de bataille contre le président Morsi. Après cette réponse positive massive à la campagne lancée pour le départ du chef de l'État islamiste, les grandes manifestations de dimanche ont été un nouveau signe. L'armée ne s'y est pas trompée, posant un ultimatum de 48 heures au président Morsi pour apporter une réponse aux manifestants.

Le président égyptien campe sur ses positions. Il a été démocratiquement élu et crie déjà au possible coup d'État. Mardi plusieurs dizaines de milliers de ses partisans viennent afficher leur soutien dans les rues du faubourg de Nasr City, ainsi que devant l'université du Caire. Dans le même temps, sur la place Tahrir, le camp opposé se réjouit des signaux positifs envoyés par l'armée. Deux ans après le déclenchement de la révolution égyptienne, on mesure à quel point l'apprentissage de la démocratie est long et souvent marqué de soubresauts. Les révolutions ne sont jamais linéaires: la France de 1789 à 1799 en est l'archétype, l'Égypte vient nous le rappeler.

Pour autant, par à-coups, les avancées se font. Moins naïve qu'en 2011, l'opposition, soucieuse de ne pas être éclatée en de multiples chapelles, s'est déjà choisie un chef de file, Mohammed ElBaradei. L'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est mis en avant par le tout jeune "Front du 30 juin" (en référence aux manifestations d'une ampleur inédite de dimanche). Il est chargé d'assurer l'exécution des revendications du peuple égyptien et de préparer un scénario visant à réaliser la feuille de route pour une transition politique".

Frappées de désespoir par ce que les médias ont un peu vite appelé les "hivers islamistes" l'année dernière, les opinions européennes ne peuvent que se réjouir du réveil démocratique du peuple égyptien, de la mobilisation massive de la rue contre le président Morsi qui n'a ni réussi à relancer l'économie de son pays, ni rassuré sur ses pratiques démocratiques (notamment lors de l'adoption de la nouvelle Constitution en décembre dernier). Cependant, l'observateur doit se poser plusieurs questions devant la situation actuelle:

  1. Alors que le général Abdel Fattah al-Sissi et les militaires prévoient de suspendre la Constitution et de dissoudre le Parlement dominé par les islamistes si aucun accord n'est trouvé d'ici demain soir entre Mohamed Morsi et l'opposition, quel processus l'armée va-t-elle privilégier pour étouffer la crispation actuelle sans qu'elle ne débouche sur un affrontement ouvert et violent entre les deux Égypte, celle de la place Tahrir et celle des islamistes? Peut-on envisager une campagne électorale dans un climat qui sera électrique, à n'en pas douter? Quelle crédibilité les Frères musulmans seraient-ils prêts à donner à un nouvel exercice électoral? Les salafistes d'Al-Nour ne pourraient-ils pas tirer parti de l'écroulement de leurs concurrents, les Frères musulmans?
  2. Si Mohamed Morsi ne se laisse pas déposséder du pouvoir, comme il le laisse entendre et que l'armée vient l'arrêter, quelle sera la réaction de ses partisans? Déjà, les appels au martyre et à un combat pro-islamiste parcouraient les rangs des manifestations de soutien au président ce mardi.
  3. Quelles seraient les conséquences régionales de la chute de Mohamed Morsi? Cette troisième et dernière question doit particulièrement inciter à ne pas se réjouir trop vite des ennuis du chef de l'État. En effet, l'un des enjeux majeurs depuis le début des révolutions arabes est d'amener la majorité des islamistes vers l'acceptation de la vie démocratique. Or, déposséder les Frères musulmans de leur victoire obtenue dans les urnes, même si elle peut apparaître à de nombreux observateurs occidentaux comme satisfaisante, est sans doute dangereux. Même si les contextes sont très différents, gardons en mémoire l'interruption du processus électoral en Algérie en 1991 après la victoire au premier tour du Front islamique du Salut (FIS)? Elle mena à la décennie noire de la guerre civile, ses massacres et ses 200.000 morts.

Un scenario noir : la réactivation d'une puissante frange djihadiste

Plus que le risque de guerre civile qui pourrait sans doute être circonscrite par l'armée égyptienne, la tentation d'une frange des islamistes de reprendre la voie djihadiste serait catastrophique. L'impasse dans laquelle semble se diriger le parti islamo-conservateur de l'AKP en Turquie pourrait renforcer ce sentiment chez les islamistes. Un nouveau vivier de volontaires pour la Syrie pourrait ainsi s'ouvrir. La Libye voisine en ressentirait également les conséquences, elle ne parvient pas à démanteler ses milices armées comme l'ont rappelé les violents affrontements à Benghazi il y quelques semaines. Benghazi où les djihadistes sont bien implantés! Les qatibas se reforment. Parmi elles, la brigade des martyrs d'Abou Salim est dirigée par Soufiane Ben Qoumou, passé par l'Afghanistan, l'Irak et Guantanamo.

Dans la région d'Oubari, les combattants islamistes disposeraient désormais d'environ 400 hommes. Ils s'organiseraient au sein de la brigade 315 fondée par un Touareg salafiste, cheikh Ahmed. Ils auraient servi de sanctuaire à Mokhtar Belmokhtar, l'auteur du raid meurtrier sur le complexe gazier d'In Amenas en Algérie et le commanditaire supposé des attentats d'Agadez et Arlit au Niger en mai 2013. Enfin la stabilité de la Tunisie ne tient également qu'à un fil. Tiraillé comme le président Morsi au Caire entre l'opposition démocratique et laïque et l'activisme de plus en plus visible et violent des salafistes d'Ansar el-Charia, Ennahda au pouvoir a choisi la répression des djihadistes (écrasement des combattants du Jebel Chaambi et répression musclée lors du congrès d'Ansar el-Charia à Kairouan). Mais, là encore, l'aile conservatrice du parti n'adhère que du bout des lèvres à cette politique.

Il reste donc à espérer que l'alliance objective qui se dessine entre l'armée et l'opposition désormais incarnée par Mohammed ElBaradei soit assez soudée et habile pour offrir une porte de sortie honorable à Mohamed Morsi et laisser une chance à la voie démocratique de l'islamisme. Le second vœu à formuler est que le prochain gouvernant, Frère musulman, laïc ou autre, apporte des solutions rapides à la situation économique de l'Égypte. Désespoir social et calendrier révolutionnaire ont toujours été associés.

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