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Un OGM est-il plus dangereux que le sourire du flamant rose?

La catégorie des OGM équivaut à un classement, comme les scientifiques se plaisent à en établir, visant à rassembler toute une collection d'objets biologiques selon des lignes de force privilégiées, sans que celles-ci ne soient nécessairement plus naturelles que d'autres.
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Chacun conserve le souvenir d'avoir joué à plusieurs, au moins une fois dans sa vie, au traditionnel jeu du Mikado dont le principe consiste à retirer une à une les fines baguettes de bois enchevêtrées, d'un ensemble laissé au hasard en amas sur le sol, sans toucher ou faire bouger les autres. Élevée au rang des plus anciennes pratiques ludiques de patience destinées à tester la maîtrise de son habileté dans les tâches les plus délicates, la partie de Mikado semble se rejouer en permanence lorsqu'il est question de produire des mesures visant à administrer la biodiversité.

Organisme "génétiquement modifié", coexistence entre les cultures, évaluation des risques ou maintien de la biodiversité sont des notions récurrentes du débat public. Elles ressortent comme tout autant de régularités formelles de la science, que les partisans du développement de ces biotechnologies de même que leurs pourfendeurs ont le devoir de s'approprier s'ils veulent argumenter, produire un discours audible pour tous et convaincre le citoyen, le scientifique ou le commentateur. Et pourtant, c'est là que le bat blesse. La consécration de ces catégories scientifiques dans les médias et les instances décisionnelles, de même que leur banalisation dans le langage courant, induisent de sérieux biais quant aux représentations collectives des écosystèmes et aux modalités de leur gestion. L'utilisation substantielle de ces catégories ne rend absolument pas compte des particularités de chacun des "terrains", ni de la complexité des situations, en partie liée à l'immense diversité des assemblages technologiques dits "génétiquement modifiés" propulsés d'un coup, sous le feu circonspect de l'enquête publique.

Un OGM est une commodité de langage destinée à mettre de l'ordre dans un ensemble dispersé d'organismes vivants marqués par certains procédés d'intervention, dont le périmètre et les techniques évoluent constamment. Aussi, le "génétiquement modifié" marque des objets biologiques hétérogènes réunis selon une même dimension tout en excluant d'autres modalités de constitution. Par exemple, les pratiques traditionnelles de sélection variétale amènent à des plantes "génétiquement modifiées" par l'intervention humaine sans que celles-ci ne créent de la controverse et ne soient assimilées aux OGM bien qu'elles soient également "génétiquement modifiées". Les mutations sont une composante essentielle du moteur de l'évolution biologique : pas de vie possible sans modifications génétiques continument remaniées par des circonstances fortuites. Surprises de l'histoire naturelle qui conduisent à des traits aussi divers que le sourire du flamant rose nous explique Stephen Jay Gould.

De même, le terme biodiversité se joue à différentes échelles, allant du gène aux services écosystémiques. Il faudrait donc plutôt parler des biodiversités et préciser à quel niveau il est fait référence dans les débats. On voit dès lors que l'utilisation raisonnée de ces catégories se conjugue nécessairement à un travail d'expertise, c'est-à-dire d'interprétations, de jugements sur le sens et d'appositions culturelles de démarcations ne faisant pas nécessairement consensus chez les débatteurs eux-mêmes. Et tout cela sans pour autant être nécessairement explicité puisque le contenu précis de ces catégories semble un acquis pour tous. Si les controverses fortement médiatisées surgissent souvent à partir de la raison d'être des développements technologiques, on oublie parfois que des malentendus peuvent porter sur les concepts eux-mêmes...

Cette imprécision sémantique est masquée par une reconnaissance aujourd'hui unanimement répandue de la complexité de nos écosystèmes. Tout le monde s'accorde sur l'idée que la culture de plantes génétiquement modifiées (PGM) correspond à l'inclusion d'un élément nouveau dans un écosystème biologique, système complexe marqué par une intensité importante de noeuds interconnectés. De là est déduit à juste titre que l'évaluation de la dangerosité d'un OGM ne peut pas être analysée isolément de ce qui compose son environnement immédiat. L'enjeu majeur consiste à maintenir les coévolutions et les dépendances réciproques en harmonie les unes aux autres afin d'éviter la survenue d'éventuels déséquilibres et de porter atteinte à "la biodiversité".

Mais cette réalité de terrain nous autorise-t-elle à anticiper la stabilité de nos écosystèmes en présupposant ce qui conduirait à leur instabilité, un peu comme le ferait un joueur de Mikado devant un tas de baguettes enchevêtrées ? L'erreur fréquemment observée dans les débats consiste à penser que l'art d'anticiper ce qui va se produire est comparable à la dextérité des joueurs de mikado à ajouter ou retirer des fines baguettes sans perturber l'ensemble du système en équilibre. C'est là oublier que la dénomination OGM ne s'apparente en rien à un découpage "méta-naturel" des productions biologiques. Il n'y a aucune raison de penser a priori que l'ajout ou le retrait de ces produits ne troublent ou ne renégocient, ni en bien ni en mal, l'homéostasie du système qui n'a lui-même de cesse de se transformer sans qu'il ne soit possible d'anticiper tous les aspects de cette dynamique. Le jeu de mikado n'a ici plus rien d'immobile, les baguettes enchevêtrées se déplacent toutes seules sans intervention humaine, leur forme n'est jamais stabilisée et leur individualité se trouve perpétuellement renégociée dans le changement.

La catégorie des OGM équivaut à un classement, comme les scientifiques se plaisent à en établir, visant à rassembler toute une collection d'objets biologiques selon des lignes de force privilégiées, sans que celles-ci ne soient nécessairement plus naturelles que d'autres. Dans cette veine, le caractère "génétiquement modifié" est le dénominateur commun faisant suite à une tentative d'ordonnancement d'objets sur la base de critères partiels pour inférer de possibles propriétés à ces produits. Comme le souligne le biologiste de l'évolution Michel Veuille, la corrélation dresse un bilan des indices, mais elle ne dénonce aucun coupable. En d'autres termes, affirmer que le braqueur d'une banque porte un blouson noir ne suppose pas que tous les individus affublés d'un blouson noir sont des braqueurs de banque potentiels.

Si l'on reste dans la droite ligne de ce constat, il est raisonnable de penser que l'acronyme OGM, qui désigne dans la directive européenne, les organismes biologiques issus d'actes de transgénèse - ne signifie pas que tous les produits résultant de cet acte, partagent des singularités les rendant plus menaçants que d'autres n'ayant pas subi cette préparation. Dire cela n'est pas donner une confiance aveugle en la Providence mais permet de soutenir que seule une évaluation des risques au cas par cas, peut trancher sur la dangerosité de chaque produit. À l'inverse, raisonner de façon générique conduit à l'irréalisable projet d'administrer un futur incertain à partir de la consécration formelle de grandes catégories avec pour effet pervers de reléguer à l'arrière-plan les spécificités de chacun des produits placés sous le projecteur de la critique. De là l'absurdité de mettre en place des procédures décisionnelles motivées par la seule incertitude, qui constitue pourtant une dimension créative et inextricable du vivant.

Brandir à tout crin la dangerosité des OGM sans procéder à une analyse au cas par cas, revient à se taper la tête contre l'inconnu, pourtant constitutif de toute vie, et qui à ce titre, ne cédera jamais devant nous...

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