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Non, l'université n'est pas accessible au Québec

Tu n'es pas considéré autonome même si tu paies ton loyer, ton épicerie, ton cellulaire. Tu lis quelque chose comme: «Selon nos informations, le salaire de vos parents est trop élevé pour que vous ayez accès aux prêts et bourses».
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Tu entres au secondaire. La compétition est déjà présente. Tu t'efforces d'avoir les meilleurs résultats pour être admis dans le programme de ton choix au cégep. On t'a toujours dit que tu étais capable, que tu pourrais faire ce que tu voulais. Le ciel est la limite. Tu es accepté. Tu travailles dix heures par semaine au Jean Coutu. Ce n'est pas assez pour économiser, mais tu apprends à développer ton autonomie. Tes parents paient tes sessions. Après tout, ce n'est que 120$. Tout va bien, tu as vraiment hâte d'entrer à l'université.

Suite à ton DEC, tu envoies une demande d'admission dans le programme universitaire dans lequel tu rêves d'étudier depuis toujours. C'est sûr que tu seras accepté, tu as étudié tellement fort. Tu le mérites. Tu reçois finalement une lettre; elle commence par «Félicitations!» écrit en gras. Enfin, la vraie vie va pouvoir commencer.

En juillet tu emménages en appartement avec tes amis. À quatre ça ne coûtera pas cher; à peine 350$ chacun tout inclus. Tu envoies une demande de prêts et bourses. Tu es confiant. Comme tes parents n'ont pas les moyens de payer tes études supérieures, c'est évident que ta requête sera acceptée. Tu n'as même pas fait 10 000$ l'an dernier; tu vis sous le seuil de la pauvreté.

Quelques semaines plus tard, tu reçois un courriel. Une décision a été prise quant à ta demande. Tu espères avoir droit à au moins 2 000$ par session. Ton cœur bat la chamade, tu consultes ton dossier en ligne. Refusé. Tu n'auras pas 2 000$ ni 200$, tu n'auras rien. Même si tu ne vis plus chez tes parents, tu es encore considéré à leur charge. Tu n'es pas considéré autonome même si tu paies ton loyer, ton épicerie, ton cellulaire. Tu lis quelque chose comme: «Selon nos informations, le salaire de vos parents est trop élevé pour que vous ayez accès aux prêts et bourses».

Salaire trop élevé. C'est vrai que tes parents font 75 000$ par année, mais ils sont imposés à plus de 30%. Ils ont trois enfants, une hypothèque, deux voitures, des broches à payer à ta petite soeur et des cartes de crédit pleines. Un chiffre écrit sur un T4 ne tient pas compte de la réalité. Durant l'année, tu ne peux travailler plus de quinze heures par semaine. En plus, tu es payé au salaire minimum. Tes paies sont de 322$ aux deux semaines, avant impôts. Après, il te reste à peine 275$, soit 548$ par mois. Une fois le loyer et les charges payés, il te reste 198$ pour l'épicerie, ta passe de bus, ton cellulaire, tes produits d'hygiène personnelle, etc. Comment payer 1 500$ aux six mois dans ce cas? (plus les manuels) Impossible.

Tu en veux un peu à tes parents. Pourquoi n'ont-ils pas mis de l'argent dans un fond d'études? À cause d'eux, tu ne pourras pas étudier. Tu réalises que ta réflexion est complètement tarée. Ce n'est pas de leur faute, surtout qu'ils ont toujours fait le maximum pour que vous ayez la meilleure vie possible.

Tu regardes les critères d'autonomie: être enceinte d'au moins 20 semaines, être chef de famille monoparentale, avoir cessé d'étudier durant au moins 24 mois, avoir acquis 90 crédits universitaires dans un même programme (ironique!), habiter avec un enfant, être atteint d'une déficience fonctionnelle majeure reconnue ou être célibataire et que tes deux parents soient décédés (on cherche toujours le lien). Tu peux aussi te marier.

En bref, il faut que ta condition favorise tout sauf les études pour être admissible au programme te permettant d'étudier. On te dit très sérieusement que tu as aussi le choix de poursuivre tes parents, puisque selon leur revenu et considérant que tu sois encore à leur charge, ils devraient payer. Tu n'as jamais entendu quelque chose d'aussi imbécile. Si ta situation familiale est conflictuelle, tu peux te dissocier de tes parents et être considéré autonome. Cependant, tu dois le prouver. Une travailleuse sociale doit effectuer un suivi. Bonne chance (surtout si tu ne parles plus du tout à tes parents).

Tu te retrouves donc au pied du mur. Que reste-t-il comme solution? Avoir une marge de crédit étudiante? T'endetter auprès des banques; ces institutions financières qui te promettent un taux d'intérêt à 5%, mais qui voudront être payées dès que ton diplôme sera décroché? À ce moment, le taux d'intérêt ne sera plus préférentiel.

L'angoisse te ronge. Comment feras-tu? On t'avait toujours dit que l'université était super accessible au Québec. On avait toujours comparé notre modèle à celui des États-Unis. «Ça leur coûte 50 000$ par année là-bas! Comment tu ferais?» 1 500$ n'est peut-être pas un montant très élevé, mais il est trop élevé pour tous ceux n'ayant pas accès à un programme d'aide, n'ayant pas des parents riches ou n'ayant pas un emploi très bien rémunéré.

Pourtant, tu voulais juste être instruit, payer des impôts et travailler au bon fonctionnement de la société. Être prof au cégep ou à l'université, faire une maîtrise. À la place, on te met des bâtons dans les roues, on veut que tu contribues au coffre-fort des banques. Si tu t'endettais auprès de celles-ci, tu terminerais ton bacc avec 20 000$ de dettes, ce qui n'encourage pas à poursuivre. On ne veut pas t'aider, on veut que tu laisses tomber. De toute manière, c'est toujours mieux qu'une population ne soit pas éduquée. Ça évite les contestations.

Tu ne sais pas ce que tu vas faire. Cesser d'étudier et travailler au Jean Coutu durant deux ans? Essayer de travailler trente heures en étudiant à temps plein? Quand trouveras-tu le temps d'étudier? Durant ce temps, certains écrivent dans les pages de La Presse que l'université est gratuite au Québec. La seule chose qui est gratuite, c'est le diplôme que tu n'auras pas.

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