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La fin du tripotage des notes, vraiment?

Si le ministre souhaite réellement donner un coup de barre en matière de transparence et de rigueur dans l'évaluation des résultats, il ne pourra pas se contenter de reprocher aux écoles, aux directions et aux commissions scolaires leurs pratiques : il devra aussi poser un regard lucide sur ce qui se passe dans son propre ministère.
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On voudrait se réjouir d'apprendre que le ministre de l'Éducation a décidé de mettre fin au tripotage des notes. Il a sorti l'artillerie lourde pour ce faire : les nouveaux pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la loi 105, le droit de donner des directives aux commissions scolaires, les risques de mise en tutelle en cas de désobéissance...

Bref, la totale. «Il n'y en a pas, de compromis», a-t-il martelé sur les ondes de Radio-Canada.

Ah bon.

Heureuse de l'entendre.

Donc j'imagine qu'à compter de maintenant, le ministère ne va pas se contenter de veiller à taper sur les doigts des directions d'école qui toucheraient aux notes des enseignants. Il va aussi s'assurer de mettre fin au grand camouflage induit par la fusion des taux de diplomation et de certification au secondaire : certes, les taux de réussite ont bondi de manière spectaculaire ces dernières années à la suite de l'invention de ce tour de prestidigitation, mais il y a là comme un aveuglement volontaire auquel il faudra bien mettre un terme un jour si nous voulons connaître le nombre d'élèves qui sortent réellement de nos écoles secondaires diplôme en main. Une attestation ou une certification, c'est assurément une bonne façon de scolariser des adolescents qui ont des difficultés d'apprentissage et qui ont besoin d'une formation de courte durée leur permettant d'avoir rapidement accès au marché du travail, mais ça ne doit en aucun cas être confondu avec un diplôme d'études secondaires ou avec un diplôme d'études professionnelles. Si le ministre est sérieux dans sa volonté de donner l'heure juste aux familles et aux enseignants, comme il l'a dit et redit cette semaine, il lui faudra faire rapidement revenir à un taux de calcul des diplômés qui ne prend en considération... que les diplômés!

Par ailleurs, une fois sur sa lancée, j'imagine que le ministre va aussi s'assurer que les examens de français que son ministère fait passer, au secondaire comme au collégial, et qui sont conditionnels à l'obtention d'un diplôme, sont corrigés avec toute la rigueur qui s'impose : ici aussi, il serait dommage de découvrir qu'un autre tour de magie permet de diplômer massivement des élèves qui maîtrisent à peine l'orthographe, les critères de correction de ces épreuves étant si lâches qu'ils permettent à des étudiants qui ont de graves lacunes en français écrit de passer au cycle supérieur. N'importe quel prof de français du secondaire ou du cégep pourra vous le dire, copies d'étudiants à l'appui : la catastrophe nationale que constitue la faible maîtrise du français écrit chez une vaste proportion d'étudiants fait l'objet d'un camouflage systématique auquel concourent les épreuves ministérielles. À quoi bon une épreuve nationale si elle n'est qu'un cirque servant à épater la galerie, et quel service rend-on aux élèves en leur permettant d'accéder au cégep ou à l'université en traînant des lacunes qui deviendront vite de véritables boulets?

À quoi bon une épreuve nationale si elle n'est qu'un cirque servant à épater la galerie, et quel service rend-on aux élèves en leur permettant d'accéder au cégep ou à l'université en traînant des lacunes qui deviendront vite de véritables boulets?

En somme, si le ministre souhaite réellement donner un coup de barre en matière de transparence et de rigueur dans l'évaluation des résultats, il ne pourra pas se contenter de reprocher aux écoles, aux directions et aux commissions scolaires leurs pratiques : il devra aussi poser un regard lucide sur ce qui se passe dans son propre ministère. Il devra aussi s'interroger sur le sens même de la notation chiffrée. Comme le rappelait justement Luc Papineau, un enseignant du secondaire, cette semaine : «Lorsque, pour des raisons politiques dans les années 1980, on a voulu montrer qu'on était plus exigeants dans nos écoles québécoises, on a décidé de hausser le seuil de réussite de 50 à 60 %, il a fallu seulement un an pour que tout le monde de l'éducation s'ajuste à celui-ci. Les élèves sont-ils alors devenus soudainement meilleurs? Si oui, qu'attend-on aujourd'hui pour le hausser à 70, ou même à 80 %? Dans les faits, on comprend bien que ce sont les exigences qui ont été revues à la baisse et que ce seuil est bien relatif.»

Ainsi, par-delà les «planchers» de notes, les logiciels qui bonifient automatiquement, les pressions qui peuvent être exercées sur les enseignants, la modération effectuée au ministère... par-delà toutes ces façons de jouer dans les données, il ne faudrait pas perdre de vue que ces chiffres ne sont qu'une façon parmi d'autres d'entrer en contact avec l'élève et la famille pour assurer un suivi en lien avec les apprentissages qui sont réalisés en classe.

En réalité, pour éviter le caractère fortement anxiogène des notes et l'effet démotivant qu'elles peuvent avoir sur l'élève, plutôt que d'avoir recours à des stratégies d'évitement (comme les «planchers» de notes, par exemple), ne vaudrait-il pas mieux remettre en question, pour le primaire du moins, l'existence même d'un système de notation chiffrée? Des pays comme la Finlande n'ont pas recours à la notation chiffrée pour les élèves de moins de 13 ans. Il y a fort à parier qu'ici aussi, on pourrait très bien se passer des notes, au primaire à tout le moins, si on avait des exigences claires et clairement communiquées aux élèves et à leurs parents. Il y a bien d'autres façons de parler à l'élève et à sa famille qu'à travers une logique chiffrée trois fois par année.

Ainsi, tant qu'on n'aura pas ouvert la boîte de Pandore, regardé bien au fond, fouillé les combles de nos lâchetés, mis au jour les stratagèmes que nous utilisons pour diplômer au rabais, compris pourquoi des étudiants peuvent passer onze années sur les bancs d'école sans maîtriser les règles d'accord du participe passé... tant qu'on n'aura pas le courage de regarder, par-delà les notes, la question des exigences que nous posons, il y a tout lieu de croire que nous demeurerons bien en superficie du problème, quelque part dans la zone des exercices de relations publiques destinés à nous donner l'impression que nous venons de nous sortir la tête du sable, quand la tête, elle y est encore, et bien enfoncée.

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