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La renaissance des Sciences politiques dans la Tunisie de l'après Ben Ali

À l'instar de quelques autres États dans le monde, l'une des principales difficultés de la jeunesse tunisienne réside dans son incapacité à faire front commun pour coordonner efficacement son action sur des enjeux rassembleurs et porteurs. Cette difficulté est typique des démocraties naissantes.
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Présent sur le Web et dans la rue, Takriz (en colère) est l'une des nombreuses associations où les jeunes expriment leur volonté de changement.

(Photo: Mohamed Rami Dridi)

Voilà déjà un mois que les cours à la faculté ont débuté! Pour mes camarades de première année et moi, le commencement d'un parcours académique dans un nouvel établissement universitaire est toujours source d'anxiété. Heureusement, le caractère méditerranéen de la personnalité des Tunisois m'a permis de m'intégrer rapidement à la communauté universitaire. D'ailleurs, la présence d'un étudiant occidental à l'Université de Carthage n'est pas passée inaperçue. Dès la première journée, plusieurs collègues m'ont questionné sur mes motivations d'avoir quitté le Québec, considéré en Tunisie ni plus ni moins comme un Eldorado, et m'être inscrit dans leur université en période d'instabilité. (Je vous invite d'ailleurs à consulter mon billet d'introduction afin de connaître ces motivations)

Selon moi, la personne qui a le mieux répondu à l'interrogation de mes camarades est mon professeur de sociologie politique, M. Hatem M'rad. Lors du cours d'introduction, celui-ci a expliqué que la compréhension d'une situation politique s'effectue en deux phases, c'est-à-dire, celle de la théorie et celle du terrain. Il est impossible de comprendre réellement la transition politique qui s'est opérée (et s'opère encore) en Tunisie en se référant uniquement à l'analyse d'un cadre théorique. Il est nécessaire de « quitter sa tour d'ivoire » pour rencontrer les personnes concernées, c'est-à-dire le peuple tunisien.

Le milieu universitaire est d'ailleurs le milieu par excellence favorisant le bouillonnement intellectuel et le militantisme. Dès la première journée de cours, j'ai eu l'opportunité d'assister à un discours enflammé de l'un des porte-paroles de l'Union Générale des Étudiants Tunisiens (UGET), syndicat étudiant identifié comme étant à gauche de l'échiquier politique tunisien.

À l'image de la centaine de partis politiques ayant participé aux élections de l'assemblée constituante de 2011, il existe une quantité phénoménale d'associations au sein desquelles les étudiants essaient de faire valoir leurs idées. Les moyens utilisés vont de la mobilisation citoyenne et l'expression par les arts (tels que le cinéma amateur, le théâtre, la musique, etc.) à la désobéissance civile.

Toutefois, les défis sont grands. Au dire de plusieurs de mes collègues de la faculté, la jeunesse tunisienne, autrefois porteuse des idées révolutionnaires, s'est faite en quelque sorte expulser du jeu politique afin de laisser place à la vieille chasse gardée dont les figures de proue sont Rached Ghannouchi (72 ans) du mouvement conservateur Ennadha ainsi que Béji Caïd Essebsi (86 ans), du parti néo-destourien Nidaa Tounes.

À l'instar de quelques autres États dans le monde, l'une des principales difficultés de la jeunesse tunisienne réside dans son incapacité à faire front commun pour coordonner efficacement son action sur des enjeux rassembleurs et porteurs. Cette difficulté est typique des démocraties naissantes. L'opposition, autrefois écrasée sous Ben Ali, aura besoin de temps ainsi que d'une phase transitoire afin de s'organiser et d'intégrer efficacement le jeu démocratique.

Comme l'a souligné mon professeur de sociologie, avant la révolution, l'enseignement des Sciences politiques était interdit. Le contenu des cours relié au domaine des sciences sociales et juridiques était strictement surveillé par l'ancien régime. On dit même (peut-être est-ce un mythe) que certains étudiants étaient payés pour rapporter les propos des professeurs. Heureusement, selon ce qu'il m'est possible d'observer sur place, les pratiques semblent avoir évolué pour le mieux, car je n'ai pas l'impression d'assister à des cours censurés ou détournés par une quelconque autorité obscure.

Depuis 2011, l'Université de Carthage offre une maîtrise et un doctorat en Sciences politiques, ce qui constitue une grande avancée pour la démocratie tunisienne. L'enseignement des sciences politiques est essentiel pour outiller non seulement la future classe politique, mais aussi les futurs journalistes, leaders syndicaux et lobbyistes, lesquels seront issus de la jeunesse d'aujourd'hui.

En définitive, je perçois ce bouillonnement intellectuel en milieu universitaire d'un bon œil. Toutefois, cette effervescence politique comporte aussi ses côtés plus sombres alors que les confrontations politiques peuvent parfois s'exercer sur fond de violence. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit à ma faculté où les tensions politiques ont donné lieu à un certain brasse-camarade entre les membres de l'UGET et ceux du syndicat étudiant proche du parti conservateur religieux Ennahda. La Fédération générale de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, relevant de l'Union générale tunisienne des travailleurs (UGTT) se préoccupe elle aussi de cette situation. Celle-ci a déclenché la grève le 28 septembre dernier. L'un des enjeux de cette grève d'un jour était l'encadrement de la neutralité politique du milieu universitaire.

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