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Le salaire des PDG: quel scandale?

Cette année encore, il est nécessaire de déboulonner les non-sens, les sophismes et les erreurs commises par ceux qui soulignent ces chiffres.
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Au début de chaque année, certains groupes de pression soulignent le ratio de la rémunération des PDG des grandes entreprises canadiennes relativement à la rémunération du travailleur moyen. À chaque année, l'objectif est le même : dénoncer cette incroyable inégalité. Cette année, le chiffre cité veut que le salaire des PDG soit 193 fois supérieur à celui du travailleur moyen. À chaque année, je me sens forcé de devoir expliquer. Ainsi, cette année encore, il est nécessaire de déboulonner les non-sens, les sophismes et les erreurs commises par ceux qui soulignent ces chiffres.

Une comparaison malhonnête

À chaque année, ces groupes utilisent le palmarès des 100 plus grandes entreprises au Canada. Aux États-Unis, les groupes qui produisent des palmarès similaires utilisent les 400 plus grandes entreprises - soit environ 0.005% de toutes les entreprises dans le pays. Puisqu'il y a 1,1 million d'entreprises au Canada, on parle donc d'un échantillon représentant 0.009% de toutes les entreprises au Canada.

Il s'agit là d'un échantillon qui n'est pas du tout représentatif. Les plus grandes firmes au Canada ont des milliers d'employés et sont présentes généralement dans plusieurs pays. Étrangement, il est rarement souligné que les employés de ces entreprises (500 employés et plus) ont des revenus hebdomadaires 24% supérieurs à ceux des entreprises ayant entre 0 et 4 employés. Et ceci n'inclut pas les bénéfices non-monétaires généralement présents pour les employés des grandes entreprises. Si ces firmes sont capables d'offrir une rémunération supérieure au travailleur moyen, c'est parce qu'elles sont très productives et peuvent se permettre de rémunérer plus généreusement. Par définition, on ne choisit pas une comparaison honnête.

Lorsqu'on prend la rémunération de tous les PDG, le ratio de 193 chute à ... 3,4. En fait, lorsqu'on considère tous les PDG du Canada, on remarque qu'ils ont une rémunération inférieure à celle des ingénieurs pétrochimiques et des juges - deux professions qui attirent bien moins d'attention.

Des calculs mal foutus

Ensuite, il faut souligner que les PDG considérés par ces enquêtes utilisent souvent les actions détenues par ceux-ci. Le problème c'est qu'un revenu, c'est un « flux » alors qu'une action est un « stock ». Tant que vous n'avez pas vendu le stock qu'est une action, elle n'entre pas dans le flux qu'est le revenu. Les conseils d'administration offrent des actions aux PDG afin d'aligner leurs incitations avec les intérêts de la firme. Fréquemment, lorsqu'un PDG quitte ses fonctions, c'est parce que le conseil d'administration l'a renvoyé à la suite d'une performance décevante. En conséquent, ils vendent leurs actions lorsque la valeur de celles-ci sont au bas de l'échelle.

À cet égard, il suffit de regarder le roulement des PDG dans le top 100 pour voir cette réalité. À l'intérieur de moins de dix ans, la majorité des PDG dans le top 100 ne sont plus dans le top 100. C'est pour cela que l'économiste Steven Kaplan a démontré que la rémunération véritable était nettement inférieure à celle estimée dans les palmarès.

Une rémunération méritée (très souvent)

La critique avancée parfois par les plus sophistiqués parmi ceux qui dénoncent la paie éhontée des PDG, c'est que ceux-ci ne méritent pas la rémunération obtenue. Il s'agit là d'une critique très étrange. En énonçant ce point, ceux qui critiquent affirment implicitement avoir mieux compris la juste rémunération d'un employé que le conseil d'administration d'une entreprise.

Voyez-vous, on vit dans un monde avec des innovations technologiques qui apparaissent (et qui sont remplacées) rapidement. Avec un tel roulement des idées et des concepts, une firme peut rapidement être victime du processus de destruction créatrice. Après tout, le PDG des hôtels Hilton est maintenant en compétition avec AirBnB au lieu d'être en compétition avec les hôtels Marriott. Dans un tel environnement, une erreur peut être fatale pour une firme. Alors autant essayer d'attirer les meilleurs PDG possible.

Et d'ailleurs, c'est ce que Steven Kaplan a observé. Grâce à une base de données permettant de comparer les PDG selon plusieurs caractéristiques importantes avec les candidats qui ont été rejetés par les conseils d'administration, Kaplan constate qu'il y a une forte relation entre la rémunération et la compétence.

Personnellement, je ne sais pas quelle est la bonne rémunération à offrir, mais je présume qu'un conseil d'administration possède toutes les incitations à découvrir cette information. Contrairement à eux, moi-même ainsi que les critiques n'avons aucunement l'information ni les incitations nécessaires afin de découvrir le bon niveau de rémunération.

(Mais pas toujours)

Cependant, il faut reconnaître qu'il y a des cas qui méritent un peu d'indignation. Par exemple, lorsque les Bombardier se votent leurs salaires ou lorsque les administrateurs de General Motors et Ford se votent des augmentations salariales. Mais savez-vous ce que ces exemples ont en commun? Ils ont obtenu des aides financières colossales de la part des gouvernements. En sus, la performance d'une firme peut parfois dépendre de facteurs politiques. Par exemple, lorsque des entrepreneurs réussissent à convaincre les gouvernements de restreindre la concurrence (taxes à l'importation, quotas à l'importation, quotas de production, barrières réglementaires), ils profiteront aux dépens des nouveaux entrepreneurs qui auraient pu les remplacer dans le palmarès des grandes entreprises.

Dans de tels cas, la faute réside entièrement sur les gouvernements. Après tout, en offrant des aides et des restrictions contre les concurrents, les gouvernements incitent les conseils d'administration à choisir des administrateurs qui sont politiquement intelligents et qui sont capables de gérer l'entreprise. Si les gouvernements n'offraient pas des « nananes » pour plaire et couper des rubans, ces incitations n'existeraient pas et les firmes se concentreraient sur l'embauche des meilleurs PDG possibles. Blâmer les PDG dans un tel cas, c'est blâmer le symptôme d'une perte de vision alors qu'on a une tumeur au cerveau.

Conclusion

Au lieu d'attiser les flammes de l'envie sans raison, il serait peut-être plus honnête d'établir une comparaison fiable avec une interprétation plus solide. Dans un tel cas, il devient plus facile d'établir des remèdes et de savoir s'ils sont nécessaires.

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