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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (4/8)

En 1968, quand René Lévesque fonda le mouvement souveraineté-association, puis le Parti québécois, qui amena le sabordement du RIN, j'en voulus beaucoup à l'exécutif du parti. Et pourquoi donc? Parce que je ne croyais pas que René Lévesque ferait quoi que ce soit pour que change cette Rhodésie « souveraine » dans l'ouest du Grand Morial.
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Petit retour dans le passé, celui que dans mon roman Jos Connaissant j'ai appelé « le passé plus loin que l'enfance ». Pour moi, ce passé plus loin que l'enfance remonte à 1960. J'avais 15 ans. Mes parents et moi, nous habitions toujours Montréal-Nord, rue de Castille. À une dizaine de rues de chez nous, existait un îlot de pâtés de maisons, toutes pareilles quant à leur architecture: on les reconnaissait à leurs toits pointus et à leurs lambris - on aurait dit qu'elles sortaient tout droit de « Hansel et Gretel » et de la fameuse maison en pain d'épices qu'on y trouve.

Ces maisons avaient été bâties par le gouvernement fédéral pour les vétérans anglophones de la Deuxième Grande Guerre. Les anglophones qui y vivaient le faisaient en restant totalement fermés sur eux-mêmes et nous détestaient profondément, nous qui étions pour eux des « Canayens français » - aussi bien dire une sous-humanité rien de moins que méprisable.

Nous ne pouvions pas nous promener dans leur quartier impunément, et d'autant moins si on y allait en solitaire. Je m'y suis aventuré un jour, bien innocemment, et j'y reçus de leur part une raclée dont je garderai le souvenir sanglant jusqu'à la fin de mes jours.

Aussi, je devins dès sa fondation membre du Rassemblement pour l'indépendance nationale (le RIN) dont Pierre Bourgault était le tribun redoutable. C'est grâce à lui que je découvris ce qu'il appelait la Rhodésie - tous ces anglophones qui faisaient bande à part dans Westmount et ses environs. Ils étaient comme les vaches sacrées de l'Inde, des intouchables. Avec quelques camarades, nous allâmes dans Westmount et ses environs vérifier les dires de Bourgault. Comme nous avions été bien élevés, nous saluions les gens que nous croisions sur les trottoirs, mais ceux-ci, loin de répondre à nos saluts, passaient à côté de nous comme s'ils ne nous voyaient pas. Et tous ces châteaux, dieux de tous les ciels... alors que nous « Canayens français » devions vivre à 10, 12, 15 et même 22 personnes (comme c'était le cas de la famille Gagné) dans un logement de carton-pâte de cinq pièces!

Je raconte ceci pour que vous sachiez qu'en 1968, quand René Lévesque fonda le mouvement souveraineté-association, puis le Parti québécois, qui amena le sabordement du RIN, j'en voulus beaucoup à l'exécutif du parti. Et pourquoi donc? Parce que je ne croyais pas que René Lévesque ferait quoi que ce soit pour que change cette Rhodésie « souveraine » dans l'ouest du Grand Morial. Pourquoi?

René Lévesque est né à Chandler, une petite ville dont les grands bourgeois étaient tous anglophones. Les Canadiens français qui y formaient la majorité travaillaient presque tous pour eux. René Lévesque a toujours dit qu'Anglais et Canadiens français y vivaient en harmonie. Il n'a jamais compris, encore moins admis, que les grands bourgeois anglophones, isolés en Gaspésie, loin de leur « mère-patrie », la Rhodésie de Westmount et ses environs, devaient jouer du violon pour que les porteurs d'eau à leur service ne se rebellent pas.

Quand on se mit à parler du projet de loi 101, René Lévesque, croyant toujours que les Rhodésiens de Montréal étaient tout pareils aux grands bourgeois de son enfance, déclara: « Pas question de toucher à la minorité anglophone. » Camille Laurin dut se battre bec et ongles pour que le projet de loi 101 ne meure pas au feuilleton de la chambre d'assemblée du Québec. Mais écharognée comme elle le fut par René Lévesque, cette loi fut loin d'être ce qu'elle aurait dû être au grand dam du docteur Laurin, l'auteur de ce livre admirable qu'il publia aux Éditions du Jour avant son entrée en politique: « Ma traversée du Québec ».

Je militai tout de même fort activement au Parti québécois, animant entre autres avec Jean Garon ces fameux dîners spaghetti de financement, si populaires en ce temps. Ainsi, fus-je absolument consterné quand, au lendemain de la victoire du PQ en novembre 1976, René Lévesque mit une croix sur cette victoire référendaire et déclara-t-il: « Au cours de notre premier mandat, nous allons nous contenter d'être un bon gouvernement provincial. »

Inutile que je vous dise qu'après cette déclaration, il ne resta plus guère d'atomes crochus entre René Lévesque et le militant que j'étais. Je ne croyais plus guère en lui, persuadé qu'il avait, par peur, fait dans son pantalon le lendemain du 16 novembre 1976. Donc, pas besoin de chercher de midi à 14 heures pour comprendre la politique que suivit après le chef du Parti québécois: du beau risque à l'étapisme, mais surtout, son refus d'utiliser la clause « nonobstant! qui aurait rendu intouchable la loi 101. C'est quoi le problème quand on a des armes et qu'on refuse de s'en servir?

Une anecdote, rien que pour le plaisir de vous la raconter. Avant de me rendre au Salon du livre de Québec où René Lévesque devait se livrer à une séance de signature par-devers un ouvrage qu'on avait écrit sur lui, ma femme Francine, ardente militante péquiste elle aussi, me demanda de lui rapporter l'ouvrage en question... autographié par René Lévesque. Je fis donc la file et arrivai enfin à René Lévesque; "Accepteriez-vous d'autographier l'ouvrage qu'on a écrit sur vous... mais ce n'est pas pour moi... c'est pour ma femme." René Lévesque ne prit pas le temps de me dire "Bonjour" et me demanda: "Elle se nomme comment, votre femme?" Quand je le lui dis, il griffonna quelques mots, puis me tendit l'ouvrage. Je ne pus résister à la tentation de lire l'autographe. Ça disait: "À Francine... en dépit du mari!"

Porteur de la sagesse de toutes les nations, Jacques Ferron m'aurait sûrement dit qu'il ne s'agissait là que d'ironie, mais je ne suis pas certain qu'il m'en aurait convaincu.

Je cessai de militer au PQ et sans doute ne l'aurais-je plus jamais fait si, en 1993, je n'avais pas fait la connaissance de Madame Lisette Lapointe.

Après ce petit détour auquel je ne pouvais échapper, nous serons tantôt dans le vif du sujet.

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