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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (suite et fin)

Ne sachant pas quand je reverrais Monsieur Parizeau, et si seulement je le reverrais, je lui donnai l'accolade... et ne pus m'empêcher de l'embrasser, ce que je n'avais jamais fait avec mon père. C'est vous dire jusqu'à quel point j'ai aimé cet homme, le plus considérable des hommes politiques de notre temps. Monsieur Parizeau, un grand, un très grand patriote... le plus grand.
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Ce jour-là de juillet 1998, alors que Monsieur Jacques Parizeau, Madame Lisette Lapointe et moi, nous assistions au tournage de « Bouscotte » sur les hauteurs du Bic, nous fûmes bénis de tous les ciels: sous ce soleil qui faisait de la mer Océane une incandescence de luminosité et des îles comme immergeant de l'eau en véritables perles aux couleurs flamboyantes de l'arc-en-ciel, nous baignions dans une telle énergie (celle du commencement harmonieux du monde), que nous étions comme des enfants lâchés lousses au pays des merveilles.

Trois ans après le référendum et sa démission comme premier ministre du Québec et chef du Parti québécois, Monsieur Parizeau était de belle humeur: je ne l'avais encore jamais vu aussi rieur, aussi bien dans ses yeux pétillant de malice que dans ses mots pleins de cet humour, comment dire? (pour le paraphraser), bon enfant, car tels des gamins nous nous amusions - quelle éjouissance! aurait dit Friedrich Nietzsche! Et quelle complicité! aurait ajouté, un brin narquois, Jacques Ferron.

À dire vrai, nous étions si bien, Monsieur Parizeau, Madame Lapointe, ma jumelle cosmique, et moi, que nous décidâmes de passer la journée et la soirée ensemble. Nous soupâmes au « Grenier d'Albertine » en compagnie de quelques amis. Parmi eux, un notable qui aimait bien tirer du grand comme on dit. Je ne me souviens plus quel fut le sujet de la conversation qui amena le notable à dire à Monsieur Parizeau: « Ces jeunes-là qui sont avec nous ne peuvent pas comprendre ce que c'est que d'être bourgeois. » Monsieur Parizeau lui rétorqua: « Moi, je suis bourgeois. Mais vous, vous apprenez à le devenir. »

Quelle belle façon de dire que la « vraie » bourgeoisie québécoise est une affaire de famille s'étendant sur plusieurs générations et non pas l'histoire de quelqu'un qui, parce qu'il est devenu riche du jour au lendemain, croit avoir passé le seuil de la bourgeoisie alors qu'il n'est encore qu'un parvenu. La bourgeoisie québécoise a d'abord été le symbole des grands propriétaires - ceux du régime seigneurial. Pour exemple, ce fut le cas de la famille Casgrain dans le Bas-du-Fleuve: près d'une centaine de personnes travaillaient pour eux, on mangeait dans de la vaisselle d'argent, on possédait une bibliothèque bien garnie... et, qui plus est, on lisait les ouvrages qui s'y trouvaient: cela allait de Rabelais et de Ronsard à tous ces grands écrivains de ce siècle qu'on appela celui des Lumières, Voltaire, Diderot, Rousseau et alii. Ce fut un désastre pour le peuple quand on mit fin au régime seigneurial en 1854. Les seigneurs en allés avec leurs avoirs et leur culture, le peuple fut laissé à lui-même, il devint la proie de tous ces spéculateurs sans histoire ni culture, Canayens français, Britanniques et Américains faisant bloc pour détruire tout ce que nos grands seigneurs avaient bâti: une société tissée serré, mais ouverte sur le monde et sur ses enjeux.

Monsieur Jacques Parizeau était un grand seigneur, comme son père avant lui et comme le père de son père l'avait aussi été.

Après cette belle leçon de choses que Monsieur Parizeau nous donna sur la terrasse du « Grenier d'Albertine », nous allâmes assister à la représentation de la pièce de théâtre à l'affiche du Caveau-Théâtre.

La représentation de la pièce terminée, nous nous retrouvâmes au « Grenier d'Albertine ». Quelle autre leçon sur la politique, l'économie et la culture nous fit alors Monsieur Parizeau jusqu'aux petites heures du matin! Et quel regret j'eus de ne pas avoir demandé à quelqu'un d'enregistrer cette extraordinaire performance!

J'invitai Madame Lapointe et Monsieur Parizeau à dîner chez moi. Je lui dis un brin ironiquement: « Vous êtes un grand bourgeois, et moi un va-nu-pieds, et c'est ainsi que je vous accueillerai. Ça vous va? »

De fait, le lendemain midi, quand Madame Lapointe et Monsieur Parizeau arrivèrent chez moi, je les attendais sur la dernière marche de l'escalier, vêtu d'un vieux t-shirt, d'un short magané dans ses coutures... et pieds nus. Cet énorme rire de Monsieur Parizeau, comment l'oublier? Il y avait en lui un côté blagueur et c'est dommage que, comme homme politique, il s'en servît peu souvent - comme le peuple québécois l'aurait encore aimé davantage, tant il est vrai que nous avons tous protégé en nous cette part riante de nos ancêtres les Gaulois.

Le dîner terminé, nous nous installâmes à la longue table de pommier. Nous y passâmes tout l'après-midi dans un coq à l'âne très convivial, comme ils l'écrivent dans les gazettes. Il était inévitable qu'on finirait par parler de Claude Morin - ce ministre et beau-frère de René Lévesque qui, après avoir convaincu le PQ « de devenir étapiste », entretenait de troubles relations avec la Gendarmerie royale du Canada - relations pour lesquelles il se faisait payer comme s'il avait été pire qu'un agent double, mais un traître à la patrie. Ah! cet infâme Claude Morin! Monsieur Parizeau était loin de le porter dans son cœur, celui-là! C'est la première et seule fois que je le vis dans un tel état de fâcherie.

Je me levai donc de table, me dirigeai vers ma bibliothèque, y pris les 15 tomes de ce journal que son père retraité avait écrit de 1969 à 1978, qu'il publiait à 50 exemplaires et qu'il distribuait à ses amis. Il m'avait fait don lui-même du premier tome et le bouquineur que je suis réussit à mettre la main sur les 14 autres tomes au fil des ans. « Vous les avez tous, me dit Monsieur Parizeau. Moi, je n'ai même pas la collection au complet. »

De feuilleter par-ci par-là le journal de son père émut Monsieur Parizeau au point qu'il ne put empêcher quelques larmes de lui venir aux yeux. J'osai lui demander de signer le premier tome. Au-dessus de sa signature, il écrivit: « À VLB avec l'assurance que le fils de l'auteur a de l'admiration que son père aurait eue et que lui-même aurait éprouvée pour le chemin parcouru et l'œuvre accomplie. »

Ce fut à mon tour d'essuyer quelques larmes, mais c'est la joie qui les faisait venir.

En 2011, je reçois la médaille de l'Assemblée nationale, initiative notamment de Madame Lisette Parizeau, de Pierre Curzi et de Jean-Martin Aussant, devenus députés indépendants: ils n'en pouvaient plus d'être membres d'un parti devenu trop électoraliste pour seulement oser prononcer le mot « indépendance ». Je manquai bien proche de ne pas pouvoir entrer au Parlement: en fouillant mon baise-en-ville, on trouva dedans un couteau et l'agent de service me demanda: « Pourquoi avez-vous ça dans votre serviette? » Je lui répondis à la blague: « J'aimerais bien repartir d'ici avec une couette des cheveux de Monsieur Jean Charest! » Heureusement, l'agent avait le sens de l'humour et, tout rieur, me confisqua mon arme que je ne savais même pas avoir dans mon baise-en-ville.

La remise officielle de la médaille de l'Assemblée nationale eut lieu à la Bibliothèque du Parlement. Lorsqu'on m'y emmena, quelle surprise fut la mienne de voir Monsieur Parizeau qui m'y attendait. Malgré des ennuis de santé, il avait fait le voyage de Montréal à Québec expressément pour assister à l'événement. Avec Madame Lapointe, Pierre Curzi et quelques amis, nous dînâmes joyeusement au Café du Parlement. Mais ils furent peu nombreux les députés et les ministres libéraux qui y dînaient aussi qui vinrent saluer Monsieur Parizeau et mon moi haïssable.

Ils devaient avoir un peu honte de ce qu'ils avaient fait quelques heures plus tôt: quand Madame Christine Saint-Pierre, ministre de la Culture et des Communications, avait fait mon « éloge » au Parlement, Monsieur Jean Charest et presque tous les ministres et députés libéraux avaient déserté leurs banquettes - et c'est sans doute la seule fois que j'eus de la commisération pour Madame Saint-Pierre!

Le dîner au Parlement terminé, et ne sachant pas quand je reverrais Monsieur Parizeau, et si seulement je le reverrais, je lui donnai l'accolade... et ne pus m'empêcher de l'embrasser, ce que je n'avais jamais fait avec mon père. C'est vous dire jusqu'à quel point j'ai aimé cet homme, le plus considérable des hommes politiques de notre temps. Monsieur Parizeau, un grand, un très grand patriote... le plus grand. Je me considère béni de tous les ciels d'avoir vécu ce que j'ai vécu à ses côtés. Ainsi que je vous disais ci-dessus, j'en ai retenu cette grande leçon de choses, que Victor Hugo, en exil à Guernesey, a exprimée ainsi, magnifiquement: « Je suis patriote. Et s'il ne devait en rester qu'un, je serais celui-là! »

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2 février 1982

Jacques Parizeau en photos

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