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La Plus Haute Autorité: Monsieur Jacques Parizeau (7/8)

Je m'attendais qu'à cause de toutes les fraudes qu'on savait déjà que le gouvernement fédéral avait commises, Monsieur Parizeau allait refuser de reconnaître le résultat du référendum et en appeler un autre.
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1995. Un mois d'octobre de grand deuil aussi, celui de ce référendum sur l'indépendance du Québec. Là encore, on me demanda en haut lieu d'être le vice-président du comité du oui pour la circonscription de Rivière-du-Loup et pour tout le Bas Saint-Laurent. Monsieur Jacques Parizeau en était évidemment le président en tant que premier ministre du Québec. Être vice-président consistait donc à le remplacer auprès de la population quand il ne pouvait être présent aux assemblées que nous devions tenir partout dans le Bas Saint-Laurent.

Je ne vous dis que cela: avec mes acolytes Harold Lebel et le député bloquiste Paul Crête, nous en fîmes tout un tas d'assemblées de cuisine, de petits rassemblements de toutes sortes - et je me souviens bien que plusieurs y venaient sans trop savoir de quoi il s'agissait. En bon vice-président, je devais prendre note de leurs doléances: l'un avait des ennuis avec la CSST et voulait qu'on s'occupe de son problème; l'autre ne trouvait pas à se faire embaucher parce qu'il était handicapé et devait se déplacer en fauteuil roulant; et il exigeait de nous la promesse que tous les lieux publics soient munis de rampes d'accès ou d'ascenseurs. Pour ma part, je compris très tôt que pour atteindre le monde, il fallait lui parler en mettant pour ainsi dire «ses tripes et son cœur sur la table» - l'émotion, comme celle que Pierre Bourgault savait si bien atteindre quand il était le chef du RIN.

J'étais avec mon ami Jean-Claude Germain quand nous apprîmes que Lucien Bouchard entrait dans la mêlée, Monsieur Parizeau acceptant au nom de la cause d'en faire le tribun principal de cette course vers le référendum. Jean-Claude Germain me dit alors: «Dans toute orchestre, il faut un ténor. Et ce ténor, nous l'avons maintenant.»

Étant donné que vous savez tous comme moi ce que l'entrée en scène de Monsieur Bouchard apporta à la cause référendaire,nul besoin ici de m'éjarrer sur le sujet.

L'une de mes fonctions en temps que vice-président du Comité du Oui était évidemment celle de dire un mot aux journalistes nationaux qui suivaient la campagne, de «réchauffeur la salle» et de présenter le tribun lorsqu'il y avait un grand rassemblement. L'arrivée de Monsieur Bouchard changea complètement la donne. Je dus mettre de côté les courts discours que j'avais préparés et accepter de jouer comme figurant dans un film pour lequel j'avais mis tant d'énergie.

Par un bel avant-midi d'automne, la caravane Bouchard, comme on l'appelait, s'arrêta devant le cégep de Rivière-du-Loup. Monsieur Bouchard devait y faire une conférence de presse avant de se rendre à Rimouski pour y tenir un grand rassemblement. Je manquai l'arrivée de Monsieur Bouchard, un journaliste (il fut le seul) m'interviewant sur la campagne. Quand je le quittai, je me trompai de porte afin d'aller rejoindre les autres «officiers» de la campagne et celle que j'ouvris me mis face à face avec Monsieur Bouchard. Entre chaque conférence qu'il faisait d'une ville à l'autre, il devait se reposer, suite à l'amputation de sa jambe - et la guérison mettait tout son temps à se faire, de sorte que Monsieur Bouchard en souffrait beaucoup. Je lui dis que j'admirais son courage, lui serrai la main et vins pour sortir de la petite pièce où il se trouvait. Il me demanda plutôt de m'asseoir et engagea la conversation avec moi, me demandant de lui parler de mon coin de pays. Un échange chaleureux dont je retins surtout cette phrase de Monsieur Bouchard juste avant que je ne le quitte: «Voyez-vous, c'est là notre problème à nous comme politiciens: nous traversons le pays mais sans le voir vraiment.»

Puis survint ce jour où les Anglais, financés illégalement par le gouvernement fédéral, envahirent Montréal pour nous dire jusqu'à quel point ils nous aimaient. Il fallait répondre à ce qui n'était qu'une infâme tricherie. Je proposai aux «officiers» de la campagne de leur répondre à notre façon: que de toutes les régions du Québec, on entreprenne une marche vers Québec et que rassemblés devant le Parlement, Messieurs Parizeau et Bouchard nous livrent les discours de leur vie. Quel symbole de notre force et de notre fierté cela aurait été! Évidemment, je ne fus pas entendu et je le regrette encore aujourd'hui.

Le jour du référendum, Harold Lebel et moi étions si surexcités que pour nous détendre un peu, nous allâmes jouer aux quilles! Nous nous rendîmes après à Rivière-du-Loup pour regarder avec une foule nombreuse les résultats du référendum sur grand écran. Le cœur de toutes et de tous étaient à la fête: le OUI ayant dès le dépouillement des urnes pris une belle avance sur le NON. Mais nous fûmes peu nombreux à remarquer que mettaient du temps à sortir les résultats de tous les comtés anglophones de Montréal. D'un naturel soupçonneux, je me dis qu'il y avait là anguille sous roche. Comme ils le faisaient toujours aux élections, les Anglophones allaient voter à 97% pour le NON et cela suffirait peut-être à renverser l'ordre des choses... ce qui arriva comme vous savez. On ne posa pourtant aucune question là-dessus - un coup monté de toute évidence!

Puis ce fut cette fameuse allocution de Monsieur Parizeau, dont on ne retint que cette phrase que je cite de mémoire: «Nous avons été battus par l'argent et des votes ethniques.» Pour avoir bien connu Alice Parizeau, je savais bien que Monsieur Parizeau ne s'adressait pas aux immigrants devenus citoyens du pays ni aux allophones, mais à la communauté anglophone. Aussi, dès ce soir-là, je lui fis parvenir un télégramme à Québec pour lui dire que je lui donnais entièrement raison.

Le lendemain, quand Monsieur Parizeau annonça sa démission comme premier ministre et chef du Parti québécois, j'en pleurai de rage et de tristesse. Moi, je m'attendais qu'à cause de toutes les fraudes qu'on savait déjà que le gouvernement fédéral avait commises, Monsieur Parizeau allait refuser de reconnaître le résultat du référendum et en appeler un autre.

Sa démission annoncée, je restai là devant mon téléviseur, mon corps pleurant par tous les pores de la peau, et jamais la solitude dans laquelle je vivais me fut aussi difficile à assumer - sept jours à rester là, estourbi, décontresaintciboirisé, sans même me substenter - ce mort-vivant comme nous devions tous l'être au Québec: encore et toujours dans ce damné pays-pas-encore-pays!

Un huitième jour pouvait-il être encore possible? Ce sera l'objet de mon ultime texte sur Monsieur Jacques Parizeau, la plus haute autorité.

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