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Série Noire: cessez de surfer sur la vague acide de la téléréalité!

Connaissez-vous la goutte? Vous savez, celle qui fait déborder le vase? Le vase rempli d'émissions de téléréalité et autres convergences du genre? Ce soir-là, je l'ai croisée. Je suis une personne patiente, mais quand je goûte à la goutte, plus rien ne passe.
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Dimanche au soir, le 9 février 2014. Je suis assise devant mon ordinateur, consultant le site de tou.tv afin de relaxer un peu, question de prendre des forces pour la semaine qui vient.

Je suis comédienne professionnelle depuis 18 ans et, pendant cette période, j'ai travaillé sans relâche pour me faire connaître. Oui, vous avez bien lu: travailler. Pour ceux qui l'ignorent, «jouer» ne rime pas toujours avec plaisir. Avant d'arriver jusqu'à une scène, j'ai dû apprendre à jouer, apprendre à gérer ma carrière, apprendre à me faire dire non, apprendre l'humilité, apprendre qui je suis, apprendre à me vendre, apprendre à garder confiance en moi quand on ne m'achète pas. Apprendre, apprendre, apprendre.

Mais pendant cette période, j'ai aussi appris que j'aime profondément mon métier. Malgré les rejets et les déceptions, j'ai refusé de tomber dans la frustration. J'ai fait mille et une choses pour continuer de cultiver le plaisir dans mon métier. J'ai bâti des projets de créations artistiques avec des jeunes afin de les valoriser en passant par l'art. J'ai fondé ma propre compagnie de production de théâtre; faisant ainsi travailler mes amis comédiens. J'ai même appris différentes techniques connexes à mon métier, comme le doublage, l'écriture humoristique, la création de séries web, etc. J'ai également bâti ma propre entreprise de fitness qui se porte à merveille tout comme moi depuis que j'ai la liberté de choisir mes auditions.

Comme nous étions heureux lorsque l'Union des artistes a négocié avec différents médias des ententes collectives décrétant que les 25 premiers figurants d'une production devaient obligatoirement être membres de cette même union. Mais entre vous et moi, n'est-ce pas la moindre des choses?

Me revoici donc, en ce beau dimanche au soir, sur le site de la nouvelle émission Série Noire, une série géniale, délicieuse, intelligente et différente lorsqu'une publicité capte mon attention. «Courez la chance de décrocher un rôle dans la deuxième saison de Série Noire en participant aux auditions. (...) Une fois votre audition en ligne, vous aurez jusqu'au 14 février 23h59 pour obtenir le plus grand nombre de votes du public. Parmi les 10 candidats qui passeront à la deuxième ronde, trois seront choisis par le public et sept par la production. (...) Les participants faisant partie d'un ordre professionnel tel que l'Union des Artistes ont le droit de participer; aucune restriction à cet effet. Aucun achat requis.»

Insérez ici un soupir de découragement.

Connaissez-vous la goutte? Vous savez, celle qui fait déborder le vase? Le vase rempli d'émissions de téléréalité et autres convergences du genre? Ce soir-là, je l'ai croisée. Je suis une personne patiente, mais quand je goûte à la goutte, plus rien ne passe. Parce qu'en ce beau dimanche, on venait de m'enlever le pain et le vin de la bouche.

Ces rôles appartiennent aux comédiens qui travaillent avec sérieux pour y accéder. Ce genre de concours transforme le processus d'audition en un concours de popularité insipide élu à coup de «J'aime» et cela contribue à nourrir le stéréotype que le métier d'acteur en est un d'apparence, qui ne requiert aucune formation.

Je me sens dépassée. Pour trouver des réponses à mes questions, j'ai joint Joanne Forgues, des Productions Casablanca: «Ben, madame, vous avez juste à vous inscrire, me répond-elle d'un ton agacé, c'est écrit: les professionnels ont le "droit" de participer». Oui, j'ai lu vos règlements. Je sais que ceux-ci sont autorisés à participer à votre concours, mais il est là le problème; cette permission leur manque allègrement de respect. Vous devez bien vous douter que cette initiative réveille la rage des comédiens. Vous constaterez d'ailleurs que la grogne commence à se faire entendre sur les réseaux sociaux!

De toute évidence, vous ne comprenez pas ma réflexion, car vous tentez d'apaiser mon indignation en me servant: «Toute l'équipe est d'accord, c'est très généreux et original de notre part; c'est pour découvrir de nouveaux talents qu'on ne voit pas en audition et, de toute façon, c'est juste un petit rôle.» À l'ère où les vedettes instantanées fusent de toutes parts, promues par des émissions voraces et lucratives, ce que vous décrivez comme étant «original et généreux» me semble de toute évidence être une stratégie publicitaire usée et opportuniste. Vous souhaitez découvrir de nouveaux talents? Le bottin de l'UDA compte 12 300 membres. Vous y trouverez certainement la perle rare. C'est juste un petit rôle? Un 3e rôle, ça met du pain sur la table des comédiens même si ce n'est pas encore assez pour acheter le vin qui va avec.

Aucun de vos arguments n'a su nourrir ma réflexion ou répondre à mes questions, madame.

Je m'attendais à recevoir une réponse plus compatissante de la part de Jean-François Rivard, auteur et réalisateur de la série. Or, M. Rivard a refusé de répondre à mes «frustrations infondées», déplorant que la portée de sa réponse se frapperait aux limites de ma boite courriel. M. Rivard, maintenant que je vous offre le porte-voix que vous exigez, dites-moi, je vous en prie: de quelle façon ce concours sert et respecte le métier de comédien?

Je comprends que ce concours vise à faire connaître la série, à y impliquer son public et je n'ai rien contre l'expérience web ni contre une démarche interactive. Je trouve cependant frustrant que cette dernière soit un processus d'audition réduit à un concours de popularité. Mon métier en est un de passion et d'acharnement. Je vous en prie, cessez de surfer sur la vague acide de la téléréalité!

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