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L'éléphant gazouillant

ENSEIGNER AU 21e SIÈCLE - Eux n'auront peut-être que l'impression de participer à un jeu puéril sans aucune utilité valable. Moi, je sais que je serai au beau milieu d'une véritable expérience...
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Plusieurs grands chercheurs affirment que le déclencheur, en enseignement, reste un incontournable à utiliser. À chacun son style, mais la visée primaire demeure la même: capter l'attention pour créer un petit déséquilibre cognitif. Ce jeu de déstabilisation, teinté d'un soupçon réflexif, saura certainement créer la signifiance de l'activité à venir pour l'élève. En clair: le déclencheur doit créer le besoin d'apprendre. Savoir manier la matière première de l'éducation, soit le cerveau, est un art qui passe toujours par ce moment charnière, à instaurer à chaque début de cours.

Imaginez donc l'impact que nous pouvons avoir, nous, enseignants, lors de la toute première minute de rencontre au début de chaque année scolaire. Ce moment qui nous fait frémir, qui nous donne des papillons dans le ventre... Car oui, les enseignants sont aussi nerveux à la rentrée scolaire. Comment établir un bon contact? Comment créer le sentiment de confiance? Sans ces éléments primordiaux, les apprentissages tarderont à venir. L'expression "une main de fer dans un gant de velours" prend ici tout son sens. Comment créer ce moment, allumer les étincelles de l'apprentissage? Voici le récit d'un de ces instants décisifs.

La cloche sonne. La même depuis des années. Ce son criard, strident... Mais il produit l'effet escompté puisque les élèves entrent. Les places du fond trouvent preneur les premières, évidemment. Ils sont là, me regardent. Ils attendent. Déjà, je sais qu'ils ont leur petite idée. C'est que sœurette est peut-être passée la première dans ma classe! Tout de même, ils fixent, ils attendent. Le premier mot fera foi de tout et donnera le ton à l'année scolaire entière.

Mais enseigner se fait dans le plaisir. Je compte bien inculquer rapidement cette valeur à mes élèves. Je débute donc leur apprentissage hédoniste immédiatement en utilisant, avec un enthousiasme certain, assumé et assuré, «bonbon» comme premier mot. Cela me vaut de drôles de regards. Si certains semblent inquiets de ma santé mentale, d'autres doutent carrément déjà de mes capacités. J'ai assurément créé l'impact désiré: leur attention est détournée, le dernier week-end n'est plus le principal centre d'intérêt de leur cerveau.

Après les avoir rassurés avec un traditionnel «bonjour», je leur explique qui je suis, d'où je viens, à quoi je m'attends, etc. Le départ classique, quoi! Mais je n'aime pas prendre la parole trop longtemps. D'ailleurs, je ne sais que trop bien qu'après seulement vingt petites minutes, leur petite attention partira déjà en petite fumée.

«Eux n'auront peut-être que l'impression de participer à un jeu puéril sans aucune utilité valable. Moi, je sais que je serai au beau milieu d'une véritable expérience.»

Le temps est donc venu d'afficher immédiatement mes couleurs, d'apprendre à connaître mes élèves. J'enchaîne alors avec mon activité «déclencheur». Je sais que dix minutes me seront amplement suffisantes pour bien amorcer le décodage derrière leur fragile façade. Pour mieux les cerner, j'animerai, certes, mais je saurai surtout observer attentivement et écouter avec mes «radars» d'intervenante.

Les consignes de base restent très simples. J'utilise, en quatrième secondaire, les rudiments d'un jeu basé sur les apprentissages du préscolaire: le son «an». Je prends le temps de créer l'ambiance. Je tamise les lumières comme je peux (autant dire que je les ferme), j'enlève mes chaussures et je souris. Intérieurement, extérieurement. Car moi, maître à bord, je sais ce que je m'apprête à leur faire vivre. Eux n'auront peut-être que l'impression de participer à un jeu puéril sans aucune utilité valable. Moi, je sais que je serai au beau milieu d'une véritable expérience sociale excessivement enrichissante.

Je leur explique tout de même un des buts du jeu, question de créer une certaine signifiance. L'autre, je le garde pour moi. Je leur mentionne donc que je souhaite faire tomber les barrières, créer la cohésion dans l'équipe dès maintenant. Leur classe devra fonctionner ensemble. Si s'écouter sera essentiel, collaborer demeurera le leitmotiv derrière les apprentissages. C'est dans cet esprit que la première consigne est lancée: «Montez à quatre pattes sur votre bureau. Seules en sont exemptées les filles, en jupe.» Elles, doivent y monter simplement à genou. Dans la classe, c'est la galère! Tous les visages semblent afficher le même étonnement: mais que peut bien vouloir cette étrange, voire inquiétante, enseignante? Je répète alors calmement ma consigne. Presque tous obéissent.

Deuxième consigne: «Lorsque je dis "l'éléphant gazouillant", vous devez remuer délicatement les fesses. Si je dis autre chose, qui rime tout de même avec "an", mais qui n'est pas "l'éléphant gazouillant", personne ne bouge. Compris?» Alors là, vraiment, le déséquilibre cognitif est fichtrement bien installé.

Ce petit exercice, apparemment très singulier, saura m'en apprendre énormément sur mes élèves.

Qui s'exécute haut la main sera mon allié participatif et collaboratif de l'année. Ceux qui refusent de prendre part au jeu auront toute mon attention. Je devrai créer un lien solide avec eux. Ils ont besoin de parler. Ceux qui dandineront leurs fesses exagérément représenteront mes petits clowns de service. Je me servirai de cette force chez eux pour faire avancer les discussions plus difficiles. Certains suivront la parade, mais leur entrain sera assez limité. Ce sont les plus timides. Ils auront besoin de temps pour s'acclimater. Les revendicateurs aboieront presque en classe. Ils scanderont de solides «Mais pourquoi nous faire faire ça?» Dans les débats, ils seront excellents. Il y aura bien aussi ceux qui tenteront de tricher, d'une manière ou d'une autre. Je devrai les avoir près de moi; je les sais déjà très influençables. Cette magie opérera ainsi toute l'année!

Les apparences sont souvent trompeuses. On découvre étonnamment beaucoup en regardant l'envers du miroir. Il y a de grands apprentissages derrière de simples et petits gestes. De grands constats sont souvent à tirer derrière les méthodes peu orthodoxes, souvent jugées inutiles, inappropriées ou démesurées au premier regard. Utiliser sa créativité en classe prouve le désir d'agir et de faire autrement. C'est démontrer l'intelligence, l'utilisation de la plus merveilleuse machine humaine qui soit: le cerveau. Chaque personne debout devant une classe sait expliquer les fondements de ses stratégies, démontrer les bienfaits de ses actions, de ses motivations. Et vous, que faites-vous différemment?

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Mai 2017

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