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Certaines ONG et autres organisations ont autant, sinon plus, de stagiaires non rémunérés et de bénévoles (la frontière est d'ailleurs assez floue), que d'employés. Face à cette dure réalité, certains se scandalisent et d'autres justifient la pratique avec divers arguments.
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Ce billet a été écrit par Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde et chargé de projets au Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS). Il écrit toutefois ce billet à titre personnel.

D'accord, le titre est un peu provocateur, mais la question mérite d'être posée, surtout lorsqu'on sait qu'il y aurait près de 300 000 stagiaires non rémunérés au Canada.

Dans le domaine de la coopération internationale, les stages non rémunérés sont très fréquents et cela pourrait s'expliquer entre autres par les ressources limitées de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) et autres organisations œuvrant dans le domaine, par un marché du travail de plus en plus compétitif et par une dévalorisation des diplômes. Ce contexte réduit considérablement le spectre de choix pour les jeunes diplômés au point tel que les stages non rémunérés apparaissent souvent comme la seule option.

Mais cette pratique généralisée dans le domaine de la coopération internationale est-elle seulement due à la fatalité du marché et des ressources relativement limitées et inférieures à d'autres domaines, tels que le secteur de la santé ou de l'ingénierie où les stagiaires sont généralement rémunérés? Ou s'agit-il également d'un choix animé par des intérêts (organisationnels ou individuels), par une philosophie propre au domaine (celle de « la cause avant tout ») et par un rapport particulier à l'argent (qui se traduit par une culture du bénévolat)?

Pratique illégale?

Nombreux sont ceux et celles qui s'interrogent quant à la légalité des stages non rémunérés.

Dans plusieurs provinces (car ce sont les provinces qui ont juridiction sur la question), les stages non rémunérés sont légaux s'ils respectent certaines conditions telles que de faire partie d'un programme académique ou d'une formation ou encore d'être effectués par des étudiants travaillant pour des organisations à but non lucratif au service de la communauté.

Toutefois, le flou est bel et bien réel. Selon l'avocat du droit de travail Andrew Langille interviewé par La Presse en 2011, 95 % des stages non rémunérés en Ontario seraient « probablement illégaux ».

De la légalité à l'éthique

Certes, la question de la légalité est essentielle, mais il y a une question que je vois malheureusement très rarement soulevée : les stages non rémunérés sont-ils moraux?

Si la question de la légalité est complexe, la question de l'éthique l'est d'autant plus étant donné la subjectivité qui lui est inhérente. En effet, comment juger s'il est moral d'engager un stagiaire non rémunéré? Et à qui revient cette tâche ardue? Contrairement à la légalité qui relève des institutions gouvernementales, la question de l'éthique, elle, relève de l'employeur lui-même.

Les ONG œuvrant en coopération internationale, y compris celles ayant une politique claire sur le sujet, devraient prendre le temps de se questionner sur le message qu'elles transmettent en recrutant des stagiaires non rémunérés (y compris dans le cadre d'un programme d'études).

La plupart des ONG recrutant des stagiaires non rémunérés ont des campagnes, au Canada ou à l'étranger, pour la justice sociale, la lutte contre la pauvreté ainsi que le droit au travail, à une rémunération et à des conditions de travail décentes. Le paradoxe est flagrant, même si bien sûr les conditions de travail au Canada sont loin d'être aussi désastreuses que celles de plusieurs pays en Asie, en Amérique latine ou en Afrique.

L'éléphant dans la pièce

Certaines ONG et autres organisations ont autant, sinon plus, de stagiaires non rémunérés et de bénévoles (la frontière est d'ailleurs assez floue), que d'employés. Face à cette dure réalité, certains se scandalisent et d'autres justifient la pratique avec divers arguments. En voici quelques-uns dont j'ai moi-même été témoin :

  • « Il s'agit d'une belle opportunité pour les stagiaires d'acquérir une expérience personnelle et professionnelle et de rencontrer des gens fantastiques. » (valorisation)

  • « Les ONG subissent plusieurs coupures et n'ont pas les moyens de payer tous leurs employés. » (victimisation)
  • « La cause que ces organisations défendent est noble et devrait être le principal leitmotiv des stagiaires qui s'y consacrent - l'argent est secondaire. » (vocation)

Il s'agit en effet d'arguments qui se valent, mais les « gens fantastiques » qui recrutent des stagiaires non rémunérés et qui proviennent généralement d'une autre génération, celle pour laquelle un baccalauréat universitaire suffisait la plupart du temps pour obtenir un emploi pour ensuite monter les échelons, comprennent-ils réellement la nouvelle réalité des jeunes d'aujourd'hui, pour qui une maîtrise, une série de stages et un réseau de contacts sont loin de garantir un emploi rémunéré?

Les coupures fédérales ont certes des conséquences pour les ONG, mais qu'en est-il des conséquences pour les stagiaires qui doivent alors y travailler bénévolement? Certes, si les stagiaires sont rémunérés, cela pourrait sous-entendre moins d'argent pour les programmes d'engagement du public au Canada et les programmes internationaux, ce qui n'est pas à négliger. Mais la question se pose tout de même : ne vaut-il pas mieux rémunérer les stagiaires recrutés et être cohérent avec ce que l'on défend ici comme ailleurs (la justice sociale, la lutte contre la pauvreté, le droit des travailleurs, etc.), quitte à avoir un peu moins d'argent pour certaines activités de l'organisation ou encore pour les salaires de la haute direction qui sont parfois relativement élevés pour certaines grandes ONG?

Parler d'argent dans le domaine de la coopération internationale est généralement assez mal vu, car « la cause est tellement plus grande et vise à changer le monde ». C'est d'ailleurs une des raisons qui pourrait expliquer que très peu de stagiaires non rémunérés dans le domaine revendiquent le droit à la rémunération. Car après tout, soyons honnêtes, même les plus dévoués à la cause ne vivent pas d'amour et d'eau fraîche...

Toutes ces questions non posées, ces malaises, ces dilemmes... Voilà les éléphants dans la pièce.

À bas les stages?

Pour être clair, suis-je contre les stages en général? Non, certainement pas. J'ai d'ailleurs moi-même effectué plusieurs stages intéressants, dont un dans le cadre de mes études et un autre m'ayant permis d'obtenir un emploi. Plusieurs stagiaires apprécient également des programmes de stages comme Québec sans frontières et le Programme de stages internationaux pour les jeunes (dont l'appel de propositions a été officiellement lancé mercredi après avoir connu une période d'incertitude).

Suis-je contre les stages non rémunérés? Disons que j'ai mes réserves et que je crois que les ONG et autres organismes œuvrant en coopération internationale (pour ne parler que de ce secteur) devraient non seulement se questionner sur la question de la légalité, mais aussi sur la question de l'éthique en ayant un débat ouvert (entre employés et avec les stagiaires) et en ne craignant pas de montrer du doigt les éléphants dans la pièce.

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Avril 2018

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