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L'extraction minière responsable à Palawan : sophisme ou vœu pieux?

Située aux limites occidentales de l'archipel philippin, l'Île de Palawan est reconnue pour son époustouflante biodiversité, mais aussi pour la richesse de ses ressources naturelles.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Marjolaine Martel-Morin et Dominique Caouette, respectivement, diplômée en économie et politique et professeur agrégé de sciences politiques à l'Université de Montréal. Le réseau international REINVENTERRA, mis sur pied par le CIRDIS en partenariat avec le CÉTASE, organise une conférence tricontinentale sur la mise en valeur des ressources naturelles à l'UQAM les 13, 14 et 15 octobre prochains.

Située aux limites occidentales de l'archipel philippin, l'Île de Palawan est reconnue pour son époustouflante biodiversité, mais aussi pour la richesse de ses ressources naturelles. Celles-ci ne manquent pas d'ailleurs d'attirer les investisseurs tant étrangers que locaux. Afin de réaliser le double objectif de promotion du développement socioéconomique et de sauvegarde de la biodiversité de Palawan, de nombreuses lois environnementales ont été mises en place dans les années 1990.

Un cadre réglementaire strict pour les minières?

Mis sur pied en 1993, le Plan stratégique pour l'environnement de Palawan et son agence gouvernementale, le Conseil pour le développement durable de Palawan (PCSD), proposent de mettre en place une panoplie de programmes visant à contrôler l'usage des ressources naturelles de Palawan. On y retrouve entre autres un système de classification du territoire (zonage ECAN) interdisant l'implantation de projets miniers dans les zones considérées critiques.

Qui plus est, la Loi sur l'exploitation minière de 1995 et diverses législations subséquentes établissent des protocoles en apparence très stricts auxquels les minières doivent se plier. Par exemple, les compagnies minières doivent présenter plusieurs rapports qui détaillent les impacts environnementaux potentiels, les mesures de prévention, les plans de développement social, de réhabilitation du site, etc.

À ces exigences s'ajoute la nécessité d'obtenir l'acceptabilité sociale du village hôte et une série de permis émis par différents paliers de gouvernement. Par exemple, le Département de l'environnement et des ressources naturelles (DENR) est responsable de mettre sur pied des équipes dont la mission est de surveiller les activités des minières sur une base régulière.

Une tout autre réalité sur le «terrain»

En fait, la réalité se révèle tout autre. La faiblesse du système politique et ses caractéristiques pernicieuses aux Philippines créent une situation qui permet aux compagnies minières de concevoir leurs propres règles. Si les scénarios varient d'une minière à l'autre, le cas du développement minier à Narra, situé à quelques dizaines de kilomètres au sud de la capitale de l'île, Puerto Princesa, est un exemple éloquent des défaillances du modèle actuel.

En 2005, quand une association de producteurs locaux a appris l'existence du projet de la compagnie minière Narra Nickel, elle a d'emblée su qu'elle s'y opposerait parce que le site que Narra Nickel convoite est en plein cœur des bassins qui servent à irriguer les champs des fermiers. De fait, le projet de Narra Nickel, né de la création d'un consortium entre trois partenaires de la compagnie canadienne MBMI Resources Inc, convoite un territoire classé par le système de zonage ECAN comme une zone critique et interdite au développement extractif. Or, des documents récupérés sur le terrain démontrent que le zonage a été modifié par le PCSD, lequel a déclassé la zone d'un rang afin d'y permettre l'activité minière.

Diviser pour mieux régner

Dès 2005, les représentants du projet Narra Nickel ont entamé des visites à Calategas. La consultation publique qu'ils ont organisée se voulait un processus de gouvernance participative et démocratique visant l'acceptabilité sociale du projet. Cependant, cette consultation semble plutôt polariser la communauté. En raison notamment des craintes liées aux impacts environnementaux, l'association des producteurs locaux a commencé à s'organiser, enchaînant les pétitions et autres moyens de pression.

« Aujourd'hui encore, les membres de la communauté poursuivent leurs démarches judiciaires face à la compagnie minière pour les dommages environnementaux et moraux qu'elle a engendrés. »

Une militante environnementale reconnue dans le village se souvient d'ailleurs que la compagnie minière a directement divisé les gens en fonction de leur position lors de cette consultation : les opposants à la mine attendaient debout, sous un soleil de plomb, sur un terrain de basketball, alors que ceux favorables au projet étaient assis à l'extrémité la plus ombragée du terrain. Même si, selon la militante, les opposants au projet minier étaient plus nombreux que leurs rivaux, la compagnie a fait valoir qu'elle avait l'appui de quatre des sept Kagawads (représentants élus par la communauté) siégeant au conseil du village. Seuls deux des sept Kagawads se sont opposés publiquement au projet de Narra Nickel, l'un d'entre eux affirmant avoir refusé à maintes reprises des sommes - avoisinant les 200,000 PhP (environ 5 000 $) - offertes par la compagnie minière en échange d'un appui au projet.

La catastrophe environnementale : le flou de la « responsabilité »

Le 21 avril 2006, le projet Narra Nickel obtient trois permis, un pour chacune des compagnies du consortium, le tout lui permettant d'opérer sur un territoire de 60 hectares. Aux dires d'un représentant de Narra Nickel, la compagnie n'a réellement opéré que durant 8 mois, entre 2007 et 2008, en raison d'une chute dans la valeur du nickel (entretien réalisé le 1er août 2015). À Calategas, les groupes qui s'opposent à la mine affirment que la compagnie a cessé les opérations suite à l'intensification des protestations, dans la foulée de nombreuses violations légales et des promesses non tenues par la compagnie.

Nombreux résidents locaux affirment que les déversements de latérite (produit résiduel de l'extraction du nickel) dans les eaux ont réduit de moitié les récoltes de centaines de fermiers et les prises des pêcheurs. Faute d'avoir pu opérer tel que prévu, la compagnie minière affirme ne pas détenir les moyens financiers pour payer les compensations dues aux fermiers de Calategas. Aujourd'hui encore, les membres de la communauté poursuivent leurs démarches judiciaires face à la compagnie minière pour les dommages environnementaux et moraux qu'elle a engendrés.

Sept ans après la fin des opérations, le site n'a toujours pas été réhabilité et les fermiers subissent toujours les déversements de latérite dans leurs terres. Pour certains, la situation s'est légèrement améliorée au fil des années. Pour ceux qui demeurent à la frontière du site par contre, les récoltes sont toujours deux fois moins abondantes qu'avant le début des opérations et l'endettement est une solution courante pour arriver à subvenir aux besoins de tous les jours.

Pendant ce temps, des recours collectifs sont toujours bloqués à la cour d'appel, ce qui signifie qu'aucun processus de réhabilitation n'a encore été mis en place. De plus, MBMI a vendu ses actions à la très médiatisée compagnie DMCI en 2012 et personne ne semble réellement comprendre à qui revient la responsabilité de réhabiliter le site. Si le village de Calategas nous semble bien loin et tout petit sur une carte du monde, les enjeux et les problèmes auxquels il est confronté ont une portée bien plus large. En effet, ils illustrent la complexité et les pièges d'un développement axé sur l'extraction minière dans un contexte où l'État et ses contrôles restent faibles et trop souvent aléatoires.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles.

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