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Le financement humanitaire international: épuisement ou redressement?

Entre 2013 et 2014, le nombre de crises internationales a conduit les organisations et les États à solliciter des financements de plus en plus importants.
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Ce billet du blogue Un seul monde a été écrit par Yvan Conoir, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (UQAM) et consultant international. Il a œuvré dans une soixantaine de pays pour le compte des Nations Unies, d'ONG internationales et de firmes de consultation. Il enseigne aux Universités Laval et de Montréal, dirige les Écoles d'été de la Faculté de science politique et de droit de l'UQAM (Humanitaire, Maintien de la paix et Consolidation de la paix) et est l'auteur de plusieurs publications thématiques sur ces sujets.

Le niveau du financement humanitaire international a atteint en 2013 des niveaux historiquement jamais égalés.

Composé des contributions volontaires des États membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de « donateurs émergents » non membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE ainsi que des contributions volontaires privées, le financement des opérations humanitaires internationales tente difficilement de répondre à l'ampleur croissante des besoins humanitaires générés par des crises nationales ou régionales en augmentation significative.

Entre 2013 et 2014, que ce soit la prolongation de la crise syrienne, la guerre civile en République centrafricaine, le typhon Haiyan aux Philippines et, plus récemment, le conflit autour de la bande de Gaza ou le rebondissement de la guerre civile en Irak, le nombre de crises répondant au niveau le plus élevé (« Niveau 3 ») a conduit les organisations et les États à solliciter des financements de plus en plus importants.

La conséquence logique de la croissance du nombre de crises est l'augmentation des « Appels » des Nations Unies (et de la Croix-Rouge) lancés auprès des donateurs. Au mois d'août 2014, le Financial Tracking System (FTS) mis en place par les Nations Unies depuis l'an 2000 pour suivre l'évolution quantitative et les déterminants du financement humanitaire international recensait 29 « Appels » (à financement) des Nations Unies, ce qui est un record - les appels se distinguent entre les appels « consolidés » (annuels) et les appels « Flash » en réponse à une crise immédiate.

Les besoins estimés (2014) étaient alors de 17,1 milliards de dollars et le financement connu de 7,5 milliards, soit un taux de couverture de 44 %, ce qui représente, même si l'année n'est pas finie, un taux très bas qui peine à satisfaire les besoins fondamentaux d'un grand nombre de bénéficiaires dans plusieurs pays. Les disparités de traitement en matière de financement entre « crises oubliées », méconnues ou peu exposées, et crises « médiatisées » sont flagrantes.

En 2014, la Gambie, le Congo ou encore le Cameroun bénéficient tous les trois d'un taux de réponse inférieur à 25 % alors que la récente crise en Irak a rendu les donateurs soudainement très généreux (181 % du financement demandé, avec une contribution exceptionnelle de 500 millions de dollars de l'Arabie Saoudite) en contributions. Pourtant, 24 des 29 appels ne dépassent pas à ce jour le seuil du 50 % du financement souhaité.

Comprenons-en les conséquences : pour chaque action sous-financée, ce sont des rations alimentaires qui diminuent, des services de santé, d'abris ou d'eau potable qui ne répondent plus aux « standards minimums » humanitaires et des programmes sociaux qui écopent pour les plus vulnérables, lesquels sont rarement compensés par les efforts privés des organisations non gouvernementales et des États hôtes.

Les appels consolidés des Nations Unies visaient à couvrir les besoins de 78 millions de personnes en 2013. Mais, paradoxalement, si la couverture financière moyenne diminue (elle se situe habituellement aux alentours des deux tiers d'un Appel « normal »), la contribution des donateurs (CAD, « émergents » et privés) reste soutenue en termes absolus.

Suite aux débuts du FTS (2000), il faudra attendre le Tsunami de 2004 pour voir les contributions au financement humanitaire international dépasser la barre des 10 milliards annuels de contributions. Depuis 2008, le financement humanitaire dégageait bon an mal an un chiffre de contributions oscillant entre 16,5 à 19,5 milliards de dollars. En 2013, un niveau sommet a été atteint : 22 milliards de dollars. L'année 2014 risque de dépasser ce seuil de contributions volontaires.

Or, cette demande exceptionnelle en besoins et en demandes de financement humanitaire ne fait apparemment pas faiblir les donateurs : les pays membres du CAD/OCDE ont augmenté leurs contributions de 24 % depuis 2012 pour la porter à 16,4 milliards; les donateurs « émergents » (Arabie Saoudite et Koweït étant les plus importants en termes financiers, la Turquie étant la plus généreuse en termes de contributions budgétaires dédiées à l'effort humanitaire sur son propre sol) représentent 14 % du total de toutes les contributions gouvernementales, soit le double de 2011; enfin, les contributions privées (individus, fonds, entreprises, etc.) ont elles aussi connu une augmentation en pourcentage très significative : 35 % de hausse par rapport à 2012 pour un total estimé à 5,6 milliards en 2013.

Derrière ces chiffres qui donnent le vertige, quelles leçons tirer?

Premièrement, les bénéficiaires des opérations humanitaires demeurent largement inégaux devant la réponse humanitaire internationale. Le Bureau de l'aide humanitaire de la Communauté européenne (ECHO) a désormais un « Index des crises oubliés » et le Central Emergency Response Fund (CERF) des Nations Unies cherche à cibler les crises les plus sous-financées pour compenser l'absence d'intérêt des bailleurs vis-à-vis de ces dernières. La multiplication des « appels » lancés par les Nations Unies tend sans doute aussi à « disperser » la réponse des financements, et donc à diminuer l'investissement consenti à chaque crise.

Deuxièmement, malgré le rôle croissant des États, les contributeurs privés, avec plus du quart du financement humanitaire international, continuent de jouer un rôle primordial dans la réponse humanitaire. Les Médecins Sans Frontières (MSF), Médecins du Monde et CARE de ce monde, soutenus par des millions de donateurs privés, requièrent notre appui, au même titre que nos impôts contribuent à la réponse humanitaire globale. À cet égard, le Canada n'est pas en reste avec une augmentation de plus de 20 % de son financement humanitaire public entre 2012 et 2013 (590 millions de dollars).

Enfin, troisièmement, la croissance du nombre de crises, leur ampleur (Syrie - 10 millions de réfugiés et de déplacés!) et leur durée continueront de forcer le système international à investir des sommes de plus en plus conséquentes dans des opérations humanitaires de plus en plus complexes. Ce ne sont pas les crises « ponctuelles » (catastrophes naturelles) qui grugent la part la plus importante du financement humanitaire international, mais largement les « crises durables » : 25 % des contributions humanitaires partent au seul profit de cinq pays, soit l'Afghanistan, la Somalie, le Soudan, l'Éthiopie et les Territoires palestiniens occupés. En clair, la meilleure façon de diminuer la croissance de la demande budgétaire passe par la gestion politique des causes à l'origine des crises humanitaires.

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