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L'aide canadienne et la coopération internationale: au-delà des constats

Le gouvernement Harper a entrepris une réorientation importante de l'aide, spécialement depuis sa réélection en 2011.
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Ce billet du blogue Un seul monde a été écrit par Dominique Caouette, professeur agrégé de science politique et coordonnateur du Réseau d'études des dynamiques transnationales et de l'action collective (REDTAC) à l'Université de Montréal.

Vendredi 7 novembre, 18h : préoccupé par la dérive de l'aide canadienne au développement, un groupe diversifié s'est réuni à l'UQAM pour écouter et débattre avec trois analystes de l'avenir de la coopération internationale au Québec et au Canada. Les constats sont nombreux et le plus souvent plutôt préoccupants.

En effet, le gouvernement Harper a entrepris une réorientation importante de l'aide, spécialement depuis sa réélection en 2011 : financement étatique drastiquement coupé, voire aboli, pour plusieurs ONG, intégration de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, etc. Aujourd'hui, cette aide semble être au service plus que jamais de la sécurité, de la diplomatie, et du commerce visant avant tout la défense et la promotion des intérêts canadiens.

Toutefois, une discussion plus large sur la manière d'interpréter ces changements et le « Zeitgeist » (l'esprit du temps - la mentalité) qui marque le moment actuel m'apparaît salutaire.

Au-delà des constats : trois niveaux d'analyse pour comprendre ces changements

À mon avis, trois niveaux d'explication, qui tout en n'étant pas exclusifs, constituent d'importants axes d'engagement et de dialogues nécessaires pour comprendre et possiblement influer le cours des politiques d'aide au développement.

Ces trois niveaux, en ordre de croissance en termes d'abstraction et d'ampleur, sont : 1) l'émergence et la mise en place d'une nouvelle phase dans la technocratisation de l'aide et de la coopération internationale ; 2) la constitution de nouvelles normes et principes internationaux qui marquent l'instauration d'un nouveau régime d'aide au développement ; et 3) un changement identitaire dans la manière dont le Canada se conçoit, appréhende le monde et agit au niveau international.

Une nouvelle phase dans la technocratisation de l'aide

Le premier niveau serait marqué par une nouvelle conception de l'aide organisée et structurée autour de pratiques de gestion dites efficaces. Celles-ci seraient alors guidées par les principes mis de l'avant dans la Déclaration de Paris (2005) et le programme d'action d'Accra (2008).

Ici, les changements actuels s'expliqueraient par des choix d'administration et de politique publique. L'accent est mis sur les éléments de mesure, d'efficacité bureaucratique et de la gestion axée sur les résultats. Les coupures de certains postes budgétaires ou de financements de certains programmes ou ONG seraient alors la résultante d'une baisse de rendement ou d'une gestion non efficace. Plutôt qu'à des décisions politiques ou idéologiques, nous ferions face au zèle des fonctionnaires et des gestionnaires du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD). Ainsi, la pression et le dialogue pour renverser ces tendances se feraient à ce niveau et s'organiseraient autour de débats sur les « bonnes pratiques » de gestion, de mesures de résultats et des impacts des projets.

Un nouveau régime d'aide au développement

Si par contre, nous assistons à une transformation du régime de l'aide, un régime étant, selon Stephen Krasner, « un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de décision autour desquels les attentes des acteurs convergent dans un domaine donné », il devient alors essentiel de comprendre les principes, idées et normes sous-jacentes aux décisions et politiques mises en place depuis 2006.

Cette transformation du régime de l'aide serait marquée par un passage du libéralisme internationaliste vers un néolibéralisme conservateur déjà amorcé dans les années 1990 avant l'arrivée au pouvoir des conservateurs.

Le premier, le libéralisme internationaliste était organisé autour de politiques néokeynésiennes, qui impliquaient que les gouvernements créent diverses institutions multilatérales et programmes d'aide internationale capables de fournir aux pays en développement les capitaux nécessaires à leur industrialisation. Liés à cet internationalisme libéral, on vit aussi apparaître la mise en place et l'appui aux processus de paix, à la démocratie, au déploiement des Casques bleus ainsi que le renforcement d'organisations internationales, et d'ONG capables de faciliter et de réduire les difficultés associées à ce processus.

Le nouveau néolibéralisme conservateur cherche plutôt à structurer des réformes en consonance avec le marché (perçu comme seul mécanisme capable d'éradiquer la pauvreté). Il devient alors essentiel de favoriser l'essor de l'entreprise privée et l'intégration à l'économie mondiale tout en limitant le rôle de l'État.

Ainsi, si nous assistons à une transformation du régime de l'aide, les défis prennent plus clairement une nature d'économie politique où il importe de considérer les types et les réorientations des politiques économiques, budgétaires et financières mises de l'avant par le gouvernement canadien, au-delà des mécanismes de gestion et d'administration de l'aide. Selon cette logique, un nouveau gouvernement pourrait permettre le renouvellement du régime de l'aide.

Une nouvelle identité de l'État canadien

Le troisième niveau de changement possible, celui d'une plus grande ampleur, serait un changement identitaire dans la manière dont l'État canadien se perçoit et se définit. Selon l'approche sociologique mise de l'avant par le spécialiste des relations internationales, Alexander Wendt, l'État, la sécurité nationale ou encore les intérêts nationaux sont des constructions sociales. Ainsi, la perception du monde international et les actions menées par un État sont à la fois la résultante de cette construction identitaire de soi et de l'autre.

Lorsque le monde est perçu comme menaçant et dangereux, on peut parler d'une anarchie Hobbesienne (philosophe anglais Thomas Hobbes), un monde dans lequel les États se conçoivent comme ennemis. L'État insiste alors notamment sur le renforcement des frontières, les contrôles migratoires, la modernisation et l'expansion des forces et des opérations militaires. Par contre, si l'on perçoit les autres États tels des compétiteurs et des rivaux, il devient important d'établir les règles du jeu et de mettre en place des mécanismes de contrôle internationaux (institutions internationales, traités internationaux, etc.).

Enfin, si les autres États sont considérés comme des amis, le monde sera perçu comme marqué par une culture et des idées partagées capables de mener à une paix kantienne (inspirée du philosophe Emmanuel Kant). Il est alors possible de mettre en place des communautés de sécurité fondée sur le non-recours à la violence et l'aide mutuelle. L'Union européenne en est un exemple.

Si l'on accepte qu'un tel changement identitaire corresponde au moment actuel, modifier ou réviser les processus d'aide, de coopération ou encore de solidarité internationale implique non seulement un changement de gouvernement, mais aussi une redéfinition de la manière dont le Canada perçoit le monde qui l'entoure, le rôle qu'il entend y jouer et la place qu'il cherche à y occuper. Quoi qu'il en soit, le premier pas reste de comprendre la nature et la profondeur des changements actuels.

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