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Impunité et corruption au Guatemala: lutte et obstacles

L'administration Morales et le Congrès font la promotion d'un agenda régressif en matière de droits humains qui pourrait renforcer l'impunité.
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Réunion de partisans de Jimmy Morales, Huehuetenango.
Ojoconmipisto, CC
Réunion de partisans de Jimmy Morales, Huehuetenango.

Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Marc-André Anzueto, chercheur postdoctoral à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa, boursier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec en Société et culture (FRQSC) pour la période 2018-2019.

Obstacles à la lutte contre l'impunité et la corruption au Guatemala

Un mandat d'arrêt a été émis le 18 mars dernier contre l'ancienne procureure générale du Guatemala (2014-2018) et candidate à l'élection présidentielle du 16 juin prochain, Thelma Aldana. Dénonçant une campagne de discrédit à son égard, Aldana a affirmé en entrevue à CNN que le président du Guatemala Jimmy Morales était «à la tête du pacte de corruption» bloquant sa participation à l'élection présidentielle.

De concert avec la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG), Aldana a réussi à faire tomber l'ancien président Otto Pérez Molina en 2015 avant de s'attaquer au président Morales et son entourage, soupçonnés de corruption. L'ancien comédien devenu président du Guatemala ne fait plus rire, car les quelques avancées pour la justice et la démocratie après 36 ans de conflit armé interne (1960-1996) sont désormais en péril.

L'impunité guatémaltèque avant et après 2015

Les violations massives des droits de la personne commises durant le conflit armé interne (1960-1996), dont des actes génocidaires réalisés par l'armée guatémaltèque envers les populations autochtones mayas, ont laissé de profondes séquelles sur l'ensemble de la société guatémaltèque. En dépit des conclusions de deux commissions de vérité et de la présence onusienne sur le terrain entre 1994 et 2004, la justice pour les victimes du conflit armé guatémaltèque ainsi que le processus de réconciliation ont tardé à se matérialiser en raison de l'impunité post-conflit.

L'ancien Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires de l'Organisation des Nations Unies (ONU), Philip Alston, affirmait en 2007 que «le Guatemala est un bon endroit pour commettre un meurtre, car il est presque certain de s'en tirer sans peine».

Qui plus est, au début du XXI siècle, les militant-e-s des droits de la personne, qui appuyaient les victimes du conflit armé, subissaient une recrudescence d'attaques par des «groupes illégaux et appareils clandestins de sécurité» liés aux anciens militaires et membres de «l'État mafieux» guatémaltèque. C'est dans ce contexte qu'est née la CICIG.

Depuis 2007, la CICIG aide le gouvernement guatémaltèque à démanteler les structures criminelles qui ont infiltré l'État depuis l'époque du conflit et lutter contre la corruption.

Ce nouveau mécanisme hybride et sui generis, combinant l'expertise internationale en collaboration avec le système judiciaire national, a favorisé un changement de culture politique au Guatemala. En effet, le travail de la CICIG a permis de renforcer l'indépendance du travail des procureur-e-s généraux-ales, en particulier Claudia Paz y Paz Bailey (2010-2014) et Thelma Aldana (2014-2018), afin d'inculper des personnes considérées intouchables compte tenu du climat d'impunité.

Deux décennies après la signature des Accords de paix, plusieurs militaires ont été jugés pour des crimes commis durant le conflit armé, notamment pour disparitions forcées en 2009 (la cause Choatalum), pour le massacre de communautés paysannes en 2011 et 2012 (Las Dos Erres et Plan de Sánchez), pour génocide en 2013 et finalement, pour esclavage et violence sexuelle en 2016 (Sepur Zarco).

Avec la présence du juriste colombien Iván Velásquez à la tête de la CICIG et de la procureure générale Thelma Aldana au Ministère Public, l'année 2015 fut un moment décisif dans la lutte contre la corruption au Guatemala avec l'affaire La Línea. Entre avril et septembre 2015, des mobilisations citoyennes historiques se sont succédé dénonçant les scandales de corruption et menant progressivement à la démission des haut-e-s dirigeant-e-s du gouvernement dont le président Otto Pérez Molina. C'est dans ces circonstances que Jimmy Morales a charmé les Guatémaltèques par son slogan populiste «Ni corrompu, ni voleur» et remporté l'élection présidentielle de 2015.

Rejet de la CICIG et projets d'amnistie

Il est important de rappeler que Jimmy Morales avait déclaré pendant sa campagne électorale que la CICIG devrait renouveler son mandat jusqu'en 2022. Cependant, son parti politique, le Front de convergence nationale (FCN) a été fondé en 2008 par des militaires ultraconservateurs préoccupés par les enquêtes menées par la CICIG et le Ministère public.

Ainsi, comme le soulignait récemment le journaliste guatémaltèque Martín Rodríguez Pellecer deux projets de société s'opposent au Guatemala depuis 2015. D'une part, une alliance entre l'oligarchie, les militaires, le crime organisé, les politiciens conservateurs qui cherchent à maintenir le statu quo. D'autre part, les organisations de la société civile, le milieu journalistique, une minorité de l'élite économique guatémaltèque, une minorité du Congrès et la CICIG qui cherchent à réformer le système. Le président Morales représente le premier camp, la candidate Thelma Aldana a choisi l'autre option.

En août 2017, le président Morales a déclaré le Commissaire Iván Velásquez persona non grata deux jours après que la CICIG révéla une enquête sur les fonds illicites de sa campagne électorale de 2015. Un an plus tard, le 31 août 2018, c'est avec un décorum rappelant l'époque des dictatures militaires que le président Jimmy Morales a annoncé qu'il ne renouvèlerait pas le mandat de la CICIG. En outre, l'impunité fut ravivée en septembre 2017 par un «pacte de corrompus» au Congrès guatémaltèque qui empêcha de retirer l'immunité au président Morales en vertu des soupçons sur le financement de sa campagne électorale de 2015.

De plus, des initiatives législatives menacent sérieusement les avancées en matière de droits de la personne et de démocratie. Selon Amnesty International, la Loi sur la Réconciliation nationale (N.5377) «accorderait l'amnistie aux personnes accusées de crimes graves commis durant le conflit armé interne du pays — tels que le génocide, la torture et la disparition forcée» alors que la Loi sur Organisations non gouvernementales de développement (No.5257) «constitue une menace pour les droits à la liberté d'expression et d'association au Guatemala».

L'administration Morales et le Congrès font la promotion d'un agenda régressif en matière de droits de la personne qui pourrait renforcer l'impunité.

Droits et démocratie en 2019

Alors que les Nations Unies, la Cour interaméricaine des droits de l'homme et plusieurs pays donateurs de la communauté internationale ont exprimé leurs préoccupations aux initiatives législatives menées au Congrès guatémaltèque, l'élection du 16 juin 2019 sera à surveiller. À ce sujet, Thelma Aldana déclarait en janvier au quotidien Le Monde: «Mon éventuelle candidature dérange les membres du "pacte de corruption" mené par le président Jimmy Morales et que la CICIG et moi avons dénoncés. Ils savent que je continuerai inlassablement à lutter contre la corruption».

En effet, le tribunal suprême électoral (TSE) a annulé le 1 avril dernier la participation de Aldanaaux élections guatémaltèques pour des raisons procédurales. L'ancienne procureure qui est actuellement à l'extérieur du Guatemala par mesure de sécurité, a annoncé sur son compte twitter qu'elle porterait son cas devant la Cour Constitutionnelle afin de participer aux élections en juin.

En somme, la participation des voix qui s'opposent au statu quo est impérative pour la survie de la démocratie au Guatemala.

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