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Esquisse du Forum social mondial de Tunis

Portrait du FSM de Tunis en quelques thèmes, parmi tout un foisonnement d'idées et d'expériences.
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Ce billet du blogue Un seul monde a été rédigé par Amélie Nguyen, analyste à l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Une version antérieure de ce texte est parue dans la revue À bâbord ! le 12 juin dernier.

«Je te dis la vérité sur la Tunisie, parce que si on ne dit pas la vérité, il est impossible de changer.» - Marsi, volontaire FSM de Tunis 2015.

Après les débuts enthousiastes des Forums sociaux mondiaux (FSM) à Porto Alegre en 2001, cet espace de dialogue et de réflexion a été cycliquement remis en question, et ce de manière de plus en plus pressante. Ses détracteurs en critiquent l'absence de résultats «concrets» ou plus «politiques», ce qui voudrait pourtant souvent dire «contredire» la démarche et les principes fondamentaux des Forums, notamment: des espaces ouverts, non hiérarchiques, ancrés dans la diversité des luttes, basés sur l'auto-organisation et l'autogestion, pour s'opposer en particulier au néolibéralisme et à l'impérialisme.

Difficile d'avoir un message unifié dans ce cadre, puisque ce n'est pas son objectif. Difficile, comme dans d'autres initiatives de sensibilisation ou d'éducation, de prouver les résultats de manière quantitative et linéaire. Ce qui ne signifie pas qu'au niveau individuel et des communautés, en termes de prise de conscience, de réseautage et de mobilisation, il n'y ait pas de résultats bien tangibles.

Portrait du FSM de Tunis en quelques thèmes, parmi tout un foisonnement d'idées et d'expériences.

Le terrorisme

Depuis l'agression militaire en Libye, la région du Maghreb est complètement déstabilisée par les flux d'armes et de combattants qui y transitent. L'absence de gouvernement effectif en Libye ne permet pas de stabiliser la situation. La Tunisie est maintenant vue comme le premier pays exportateur de jeunes terroristes, augmentant le potentiel de discrimination contre les populations arabes - notamment en Occident, discrimination aujourd'hui utilisée pour contrôler et surveiller de plus en plus les populations.

On oublie de dire que les dits terroristes qui vont notamment vers la Syrie transitent par un pays allié de l'OTAN, la Turquie, qui facilite leur passage et leur exfiltration en vue d'aller combattre le régime de Bachar Al-Assad aux côtés de divers groupes djihadistes financés par les pétrodollars des monarchies du Golfe, grands argentiers et sous-traitants de l'axe de l'OTAN dans la sous-région.

Cette violence prend notamment sa source dans la militarisation de plus en plus arbitraire (c'est-à-dire, en-dehors des normes du droit international, bien qu'il ne soit pas toujours garant de l'absence d'arbitraire) des relations internationales entre pays dominants et dominés. Par exemple, les interventions «chirurgicales» par drones sont de plus en plus courantes sous les démocrates américains; les interventions dites humanitaires faussent, sous des dehors moraux, l'interprétation de normes internationales visant depuis leur origine à restreindre l'usage de la force et à maintenir la stabilité des rapports interétatiques dans un ordre international grandement inégal.

C'est dans ce contexte que, quelques jours avant le FSM, l'attaque du musée du Bardo, à Tunis, en a complètement changé l'organisation et l'ambiance. Les Tunisiennes et Tunisiens étaient sous le choc, ne voulaient pas être vus comme étant «tous des terroristes», nous remerciaient «d'être venus quand même». Fouilles des sacs et détecteurs de métal ont retardé la tenue des événements à chaque jour, teintant aussi les débats, au grand dam de certains qui se sont sentis confinés au terrain discursif des pays dominants du monde. Tout cela a laissé planer la porosité des influences, malgré le caractère non gouvernemental du FSM, en principe.

La marche d'ouverture allant jusqu'au Bardo, sacrée marche «antiterroriste» par les organisateurs et organisatrices, a donc semé la controverse, plusieurs dénonçant la verticalité de cette décision, qui allait à l'encontre du principe de non-hiérarchie du Forum et de la reconnaissance de l'ensemble des mouvements et causes présents. Tout au long de la marche et du Forum, la présence de policiers fortement armés a paradoxalement repositionné symboliquement le Forum, dit espace citoyen, dans l'espace de l'appareil sécuritaire de l'État.

Une jeunesse déçue, mais toujours mobilisée

Qu'est devenue la Tunisie d'après-révolution, qui a inspiré des milliers de personnes, chômeuses et chômeurs, femmes, paysans, toutes les tranches de la société, à contrer l'autoritarisme pour se mobiliser de la fin de 2010 à 2011, à travers le pays, à grand risque, pour une plus grande justice sociale et pour un élargissement démocratique?

Aujourd'hui, les inégalités y sont toujours criantes, les jeunes cherchent toujours où canaliser l'enthousiasme un peu flétri d'il y a quelques années et à réaliser les idéaux portés alors. Et le gouvernement, et la structure sociale bien ancrée, les ont laissé tomber, semble-t-il, faute de leur laisser une place dans les débats politiques et d'agir contre le chômage et les multiples injustices du parti.

Certes, on ne change pas si vite un mode de fonctionnement social, mais le mouvement, porté par un grand nombre de jeunes instruits et sans-emploi (plus de 30% des Tunisiennes et Tunisiens ont moins de 30 ans, les taux de chômage varient de 16 à 37% selon les régions en 2013), ne perd pas ses forces non plus.

Ainsi, le FSM a mobilisé plus d'un millier de volontaires affables, motivés et politisés qui ont permis à l'événement d'être un succès malgré les dits risques sécuritaires, la température maussade et leurs mauvaises conditions de travail. Signe de ce blocage de l'échelle sociale pour eux, ils ont dû manifester pendant le Forum-même, n'ayant pas eu accès au logement et à l'allocation promise en compensation par la coordination de l'événement (3$ environ par 4 heures, pour compenser leurs dépenses). Même au sein du Forum, le manque de reconnaissance des capacités et de la voix des jeunes était ainsi palpable.

La justice transitionnelle et l'impunité

On en parle peu, mais plus de 80 étudiantes et étudiants qui ont été blessés lors de la révolution ne parviennent pas à se défaire de leur casier judiciaire, malgré le changement de gouvernement. Ces étudiants chômeurs, en grande partie affiliés à l'Union générale des étudiants tunisiens (UGET), ne peuvent toujours pas postuler dans la fonction publique, ce qui limite incroyablement leurs opportunités. Ils étaient même en grève de la faim depuis plus d'un mois, puis en grève de la faim tournante pendant le Forum pour demander le retrait des accusations portées contre eux.

Selon Farah Hached, une juriste, enseignante et militante tunisienne qui est présidente du Labo démocratique, il existe deux étapes fondamentales pour bâtir la confiance des Tunisiens et Tunisiennes en leur système de justice. À court terme: rétablir la vérité, obtenir justice et réparation quant aux tueries ayant eu cours pendant la révolution; à long terme, établir une transition démocratique. Sans parler de mettre fin à l'impunité plus générale de l'ancien régime ayant régné sans partage pendant plusieurs décennies.

En ce moment, ces deux premiers objectifs entrent en contradiction. «Comment rendre justice si le cadre n'a pas été changé? Les victimes ne peuvent se permettre d'attendre.» Elle souligne que l'absence de réforme du système de justice et de sécurité bloque la transition démocratique en maintenant l'impunité et en minant la confiance des citoyens en leurs institutions.

La lutte n'est pas finie, plusieurs des membres de l'appareil gouvernemental étant toujours les mêmes, ce qui bloque l'établissement d'une réelle justice de transition, condition incontournable d'une remise en question des hiérarchies sociales tunisiennes et d'une redistribution de la richesse.

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Mai 2017

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