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Financement du développement: un impôt sur la guerre pour construire la paix?

Nous ne pouvons plus compter sur un système économique qui détruit notre monde pour financer éventuellement sa reconstruction.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Molly Kane, coordonnatrice de L'Entraide missionnaire et chercheure en résidence au Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS). Ce texte s'appuie sur sa présentation lors de la conférence du blogue Un seul monde le 18 avril 2016 intitulée « Le financement du développement et les objectifs de développement durable : quel modèle, pour qui, et par qui? » (enregistrement audio disponible ici).

Plusieurs organisations ont participé à l'élaboration des Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les États membres de l'ONU en septembre dernier pour «éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous» d'ici 2030.

Il faut avouer qu'ils sont l'objet d'un consensus presque hégémonique chez des gouvernements et des institutions internationales importantes. Mais nous pouvons toujours nous demander : comment résonnent-ils avec les houles de personnes à travers le monde qui demandent la justice et la liberté et qui luttent pour la décolonisation et la transformation démocratique de leur société? Quelles résonances peuvent-ils avoir pour ceux et celles qui résistent le pillage et la destruction environnementale de leurs territoires qui accompagnent la croissance économique de nos jours? Dans quel sens ce consensus autour des objectifs est-il vraiment «transformateur» de nos sociétés et des relations internationales?

Malgré les grandes déclarations et publicités officielles, le modèle de développement qui sous-tend les ODD demeure contesté. On doit interpeller la nature de ce qui est vraiment «durable» dans cette approche qui dresse une liste de buts à long terme sans les stratégies de transformation profonde nécessaires pour répondre aux défis auxquels fait face l'humanité.

© Nicolas Raymond

L'aspect «durable» des ODD serait plutôt la persistance de certains éléments fondamentaux de l'ère néolibérale, soit la marchandisation de la nature, la privatisation des biens publics, la libéralisation des marchés et la licence aux sociétés transnationales. En fait, ce consensus ne met pas de frein à la soumission des gouvernements au pouvoir des sociétés transnationales. Au contraire, on les encourage et on les subventionne avec les ressources financières du public pour trouver les solutions sociales et politiques de l'humanité.

Pourtant, le bilan des sociétés transnationales ne peut nous donner confiance.

Il n'est pas dans leur logique, leur raison d'être, de résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. Face aux résultats déplorables de la libéralisation et de la privatisation au cours des dernières décennies, on peut constater que :

«La grande transformation espérée (des ODD) n'est pas appuyée par une claire analyse des raisons profondes qui sont à l'origine des inégalités qu'ils prétendent éliminer : le commerce inégal, la financiarisation échevelée, les pertes en biodiversité. [...] Derrière le discours sur les effets ambivalents de la mondialisation [...] et sur la «transformation» nécessaire portée par les ODD, il n'y a pas véritablement d'interrogation sur les mécanismes du modèle d'accumulation et de régulation dominant qui pourtant ont conduit les hommes à subir tant d'inégalités, et la planète à supporter tant de risques systémiques. Les ODD sont politiquement compatibles avec une mondialisation inégalitaire, sous réserve d'en corriger certains excès et certaines déviances.» (Pierre Jaquemot, IRIS-France)

Plusieurs critiques estiment que les ODD ne seront pas accomplis, qu'ils sont «trop ambitieux». Il nous semble évident, effectivement, que l'atteinte des objectifs, telle qu'annoncée, n'est pas possible. Mais, il faut se demander si leur échec ne résultera pas plutôt d'un manque d'ambition à reconnaître la nécessité urgente d'un vrai changement de paradigme.

Quand on parle de l'accès à l'éducation et aux services de santé, on oublie que, suite à l'indépendance des pays colonisés, le progrès sur toutes ces questions était très impressionnant. L'imposition de «l'austérité», il y a plus de 30 ans, pour les pays «en voie de développement» par l'ajustement structurel a compris la privatisation de ces mêmes services et droits sociaux, une privatisation qui a renversé les gains d'accès qui émergeaient dans la mouvance sociale et politique des luttes pour la liberté.

Le progrès, tel que défini par les ODD, ne partage pas cette histoire de luttes menées par les citoyens et citoyennes qui cherchaient à transformer les conditions économiques et sociales de leurs pays et à créer un nouvel ordre économique international.

Pour financer les ODD, la logique du système néolibéral en place requiert une distribution des surplus de croissance économique, soit des investissements pour un développement durable qui dépendent, ironiquement, des systèmes économiques et financiers qui causent et aggravent justement les problèmes sociaux et environnementaux que l'on tente de «régler».

La volonté politique des pays donateurs (créanciers) à contribuer au financement des ODD dépend du succès de ce même système économique à générer un surplus de profits à «partager» - une logique qui renforce le mythe selon lequel le système économique et financier mondial offre la possibilité à ceux qui en profitent d'aider les gens qui en souffrent.

C'est la logique d'une spirale descendante, aussi absurde qu'un impôt sur la guerre pour financer la paix.

Contre le constat qu'un nouveau paradigme - un vrai changement de direction - s'impose, les promoteurs des ODD nous rappellent qu'il faut être «réaliste» et tenir compte du consensus international sans précédent qui a été obtenu, en dépit de ses imperfections.

De quelle réalité devons-nous bâtir nos espoirs pour un avenir qui pourrait favoriser la justice, la paix et même la vie sur notre planète? Est-il vraiment réaliste de compter sur un modèle de privatisation et de liberté pour les transnationales, ancré dans les ententes commerciales négociées en cachette, pour faire face aux crises économiques et environnementales?

Une lecture de l'histoire indique que les grands changements nécessaires pour faire avancer l'humanité comme, par exemple, la fin de la traite des femmes et des hommes du continent africain, ne sont pas réalisés par des projets avec des cibles à mesurer, comme c'est le cas pour les ODD, mais par des mouvements des peuples, des luttes pour la liberté.

Les ODD et leurs cibles arrivent tard et sont inadéquats quand on regarde l'urgence des problèmes mondiaux. L'atteinte des ODD est non seulement impossible, mais aussi dangereuse dans la mesure où elle nous distrait de l'urgence de repenser le paradigme néolibéral en place, qui paraît souvent impossible à contourner.

La COP21 à Paris en décembre a souffert du même problème : les chefs d'État sont partis des négociations avec une entente sur les objectifs, mais sans entente sur les stratégies nécessaires pour y parvenir. Les cris de gens dans la rue à Paris étaient «Changez le système et non pas le climat». Nous ne pouvons plus compter sur un système économique qui détruit notre monde pour financer éventuellement sa reconstruction. Des changements plus ambitieux et plus réalistes sont nécessaires et possibles.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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