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Crise des réfugiés en Europe : remettre l'humain au centre des politiques

Les humanitaires le savent bien, c'est l'émotion et l'empathie qui motivent avant tout la mobilisation publique et la mise en branle de l'action politique.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Joan Deas, doctorante en sciences politiques à Sciences Po Grenoble en France.

La diffusion d'une photo montrant le corps d'un enfant syrien, échoué sur une plage turque alors que sa famille tentait de rejoindre l'Europe, a sorti soudainement de leur sommeil l'opinion publique et les décideurs politiques occidentaux face à la pire crise migratoire connue par l'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

La compassion comme moteur politique

L'image du corps d'Aylan Kurdi a cela de puissant qu'elle permet une identification universelle aux souffrances de cette famille, déclenchant un mécanisme de compassion. Les humanitaires le savent bien, c'est l'émotion et l'empathie qui motivent avant tout la mobilisation publique et la mise en branle de l'action politique.

Or, la compassion est capricieuse. Elle sera plus ou moins accordée en fonction de critères subjectifs tels que la proximité de la crise, la nationalité des victimes, ou la couleur de leur peau. Ce « protocole compassionnel » comme le décrit Pierre Micheletti, aussi humain qu'il soit, est dangereux. Il conditionne les réactions de l'opinion publique à une crise donnée - et en filigrane la réponse politique apportée - en fonction de critères irrationnels et versatiles. Ainsi, il « déplace sur le registre émotionnel le champ de la décision politique, lui conférant un caractère optionnel, volontariste, à géométrie variable, laissé à la libre volonté des gouvernements ».

Cette dynamique aux relents populistes vient pérenniser une politique de « l'à-coup », privilégiant le calcul électoraliste aux politiques de long terme. Elle rend également les organisations humanitaires prisonnières du sensationnalisme, dans l'espoir de créer suffisamment d'émotion pour faire émerger une mobilisation sur des problématiques publiques données.

Mais ne nous y trompons pas, cette inflexion soudaine des positions gouvernementales concernant l'accueil des réfugiés en Europe n'est pas animée par un quelconque élan de générosité. Les logiques de fortification et de contrôle ont en effet toujours primé sur les politiques de protection.

Contrôler plutôt que protéger : l'essence des politiques européennes

On peut donner en exemple la stratégie d'expulsion systématique des migrants adoptée par la mairie de Paris jusqu'à ce jour dans l'indifférence quasi-générale, récemment édulcorée à la hâte par une campagne de relations publiques surfant sur l'émotion ambiante, où toute voix dissonante tentant de dénoncer cette hypocrisie fut étouffée manu militari.

À l'échelle européenne, Frontex, l'agence censée coordonner les opérations des gardes-frontières des 28 États membres, fut également créée en 2004 suite à la pression éphémère de l'opinion publique européenne émue du sort de migrants subsahariens. L'échec de cette agence en matière de protection a depuis été dénoncé par nombre d'experts.

« Alors que l'on a souhaité les frontières ouvertes aux flux financiers, on les rêve toujours étanches à l'humain. »

Ces errements et retournements politiques sont caractéristiques de l'impasse dans laquelle les politiques migratoires européennes se sont progressivement enfoncées. En contradiction avec ses valeurs de base, l'Union européenne a en effet privilégié l'étanchéisation de ses frontières via des systèmes de surveillance et de blindage sophistiqués pour contrôler les flux d'« indésirables ».

Ainsi, les fonds alloués à certains États membres pour le contrôle des frontières extérieures ont été jusqu'à 32 fois supérieurs aux fonds dédiés à la protection et l'intégration des réfugiés. C'est là l'un des grands paradoxes de la mondialisation. Alors que l'on a souhaité les frontières ouvertes aux flux financiers, on les rêve toujours étanches à l'humain. À l'heure de la libre circulation des biens, du développement des organes de gouvernance supranationaux et de l'« instantanéisation » des communications, l'accès aux frontières reste toujours régi par des règles profondément arbitraires, où nous ne naissons pas tous « libres et égaux en droits ».

Politisation de la solidarité

Ces politiques de contrôle ont de plus nourri la crispation identitaire ambiante en alimentant les mythes entourant le « migrant », affublant le champ sémantique de la migration d'une connotation de plus en plus péjorative et encourageant des processus rhétoriques déshumanisant l'individu migrant. Celui-ci devient alors « envahisseur », « infiltré », « indésirable » - un étranger opportuniste aux objectifs dignes de suspicion.

Ainsi a-t-on progressivement politisé et conditionné le principe de solidarité. Plutôt que d'en faire un droit universel, on en a progressivement fait un objet de débat et de partitionnement politique. La solidarité serait ainsi un principe « de gauche », et donc optionnel, fonction de nos inclinaisons politiques. Les « dérapages » racistes s'accumulent, aussi bien du côté des élus que de la population. On tend, dans un élan d'islamophobie à peine dissimulé, à « confessionnaliser » la générosité. Certains élus, comme le maire de Roanne en France, souhaitent ainsi s'arroger le droit de sélectionner les réfugiés en fonction de leur religion au nom des prétendues « racines chrétiennes de l'Europe ».

Des politiques coûteuses et inefficaces

Le respect de la règlementation internationale en matière de droit d'asile a été profondément complexifié par ces politiques de fortification. Le contrôle des frontières a été externalisé, et l'examen des demandes d'asile relégué aux portes de l'Europe, parfois même sous-traité à des pays tiers dont les standards en matière de respect des droits humains diffèrent sensiblement de ceux en vigueur au sein de l'Union européenne.

Ainsi, « entrer et s'établir en Europe est un véritable parcours du combattant », où le droit d'asile est régulièrement bafoué dû aux nombreuses restrictions d'accès et au non-respect du principe de « non-refoulement ». La question de la protection a également été trop souvent laissée au soin des organisations internationales, comblant comme elles le peuvent le vide étatique malgré des problèmes récurrents de financement et un manque de coordination et de consultation avec les instances décisionnelles européennes.

Ces politiques de contrôle sont non seulement coûteuses, mais également inefficaces. Les barrières ont échoué à endiguer les flux d'individus fuyant les conflits ou la misère économique. Le durcissement de la surveillance et la fortification ont au contraire rendu encore plus périlleuses les conditions d'accès aux pays d'asile, forçant les réfugiés à emprunter des voies illégales, enrichissant ainsi les passeurs et multipliant les drames en mer comme sur la terre. Le coût humain de la politique migratoire européenne s'élève à plusieurs milliers de morts par an.

Il est ainsi urgent de changer de paradigme et sortir à tout prix de cette logique compassionnelle sélective pour construire de véritables politiques d'accueil cohérentes et respectueuses du droit international. L'Europe doit remettre l'humain au centre de ses préoccupations. Des solutions concrètes existent et sont à sa portée économique, elles peuvent être consultées ici, ici, ici, ou . Il est urgent que les décideurs européens trouvent la volonté politique de les mettre en place.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles.

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