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De l'Himalaya au Qatar, l'exode mortel des travailleurs Népalais pour la Coupe du monde 2022

Lorsque le vote de 2010 avait désigné ce petit pays qu'est le Qatar pour organiser le deuxième plus grand évènement sportif de la planète, ce qui m'avait le plus intrigué était les forts soupçons de corruption pesant sur la FIFA.
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L'attribution de la coupe du monde de football 2022 à l'émirat du Qatar avait et continue toujours de faire débat. Il y a quelques temps de ça, lorsque le vote de 2010 avait désigné ce petit pays qu'est le Qatar pour organiser le deuxième plus grand évènement sportif de la planète, ce qui m'avait le plus intrigué était les forts soupçons de corruption pesant sur la FIFA. Aujourd'hui, ces derniers ont été quasiment vérifiés même s'il persiste un flou total au-dessus des membres de la FIFA concernés.

Ce billet n'aura donc pas pour objectif de revenir sur les différentes procédures en cours afin de déterminer les coupables de ce vaste scandale. Intéressons-nous plutôt aux conséquences directe de cette coupe du monde sur le terrain, dans la péninsule-même.

Le Qatar étant un pays peu peuplé (un peu plus de deux millions d'habitants) et extrêmement riche grâce à sa production pétrolière, il n'a pas lésiné sur les moyens pour s'offrir une coupe du monde à la hauteur de ses espérances. Les projets aussi futuristes qu'onéreux s'accumulent, entre stades démontables, climatisés et villes montées de toutes pièces. Mais si le coût financier ne présente pas de problème pour les chéquiers bien remplis de l'émirat, reste à trouver de la main d'œuvre peu chère et encline (un grand mot) à venir travailler sous 50°C pour quelques dollars par mois.

En effet, depuis que les chantiers ont officiellement commencé, ce sont plus de 1,4 million de travailleurs qui ont été mobilisés pour construire aéroports, routes et stades. Parmi cette population, 90% est étrangère. Le Qatar a en effet la part de travailleurs migrants rapportée à sa population la plus importante au monde. Cette population de travailleurs étrangers est composée pour plus de moitié par des Népalais, qui voient en l'émirat et ses chantiers titanesques leur unique chance de survie. L'idée d'un Qatar eldoradesque aux belles conditions de vie est à bannir d'entrée ; les Népalais qui partent vers Doha savent ce qui les attend. Seulement, ils n'ont pas le choix.

"Si vous ne pouvez trouver de travail et si vous ne pouvez nourrir votre famille, alors vous feriez n'importe quoi" explique Sharan Burrow, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) qui est à l'origine de bien des révélations sur les conditions de travail sur place.

1700 travailleurs quittent le Népal chaque jour. Pendant qu'ils patientent à l'aéroport international de Tribhuvan à Katmandou pour remplir leurs formulaires de départ, ils croisent ces quelques boites rouges qui arrivent continuellement en provenance de Doha. Entre deux et quatre cercueils de travailleurs reviennent chaque jour pour être remis à leurs familles. Un ballet de la mort qui ne fait pas changer d'avis les Népalais qui s'apprêtent à embarquer avec la peur de connaître le même sort. 1200 personnes sont déjà mortes sur les chantiers au Qatar. Parmi eux, des Népalais en majorité, mais également des Indiens, des Philippins ou des Sri Lankais.

Jeremy Schaap, reporter américain, a réalisé un documentaire choc pour ESPN. Durant 17 minutes, il s'intéresse aux conditions inhumaines dans lesquelles vivent les travailleurs. Bien loin des gratte-ciels de Doha, ces derniers habitent dans des camps qui leur sont réservés. Une bonne dizaine de personnes par dortoir avec quelques cuisines ou sanitaires délabrés qui ne leur permettent de vivre dignement. Des conditions de vie dures à décrire -tant elles choquent- mais qui symbolisent pour les travailleurs l'aboutissement de plusieurs mois de démarches pour arriver dans le pays tant espéré. Tout démarre souvent au sein du village ; bon nombre de personnes sont intéressées pour quitter le Népal et envoyer ainsi un peu d'argent à leurs familles.

Mais il faut ensuite financer son billet d'avion et payer tous les intermédiaires -il y en a beaucoup entre les sommets de l'Himalaya et les buildings de Doha. Ça va donc du courtier du village qui accorde un petit prêt aux organismes de recrutement basés à la capitale: tous en profitent pour faire de généreuses commissions et perpétrer le business. Dans la théorie, tous les dossiers sont examinés par le Department of Foreign Employment qui délivre ou non les autorisations de départ et qui est censé s'occuper de la gestion d'assurances qui aideraient la famille en cas de problème.

La réalité est tout autre: les employés de cette administration sont pour la plupart en arrangement direct avec les sociétés qataries. Pour ne pas dire corrompus. Nicolas Kssis-Martov et Matteo Fagotto ont enquêté pour So Foot sur le sujet. Surya Koirala, directeur adjoint de l'agence leur déclare impuissant: "Il y a une connivence entre les agences népalaises et les sociétés au Qatar, mais nous n'y pouvons rien." Il reprend: "On est un pays pauvre, on ne peut pas s'imposer face à ces nations riches".

Les travailleurs s'accordent souvent à dire que le problème ne vient pas du Qatar mais plutôt du Népal, où les autorités ne leur proposent rien ou presque. D'où cet exode perpétuel qui ne va surement pas s'arrêter une fois la coupe du monde 2022 finie.

Sauf que tout cela associé aux conditions dantesques de travail au Qatar nous mène à un cocktail mortel: environ 12 heures de travail par jour sous des températures atteignant couramment les 50°C. Rapidement les travailleurs sont exténués: des blessures, mais aussi des suicides et des morts de fatigue. Souvent les familles reçoivent un avis de décès par "arrêt cardiaque", cachant souvent en réalité des chutes sur des chantiers, des maladies contractées sur place et des décès d'épuisement. La crise cardiaque ayant bon dos, les entreprises n'ont aucune indemnité à payer aux familles puisque la mort n'a aucun lien avec le travail effectué.

Et si l'on qualifie souvent cette situation d'esclavage moderne, c'est que les entreprises peuvent littéralement s'approprier leurs travailleurs. Un principe répondant au nom de Kafala permet aux employeurs de confisquer les passeports et visas de sortie des travailleurs sans motif particulier. Ainsi aucune possibilité de faire marche arrière sur place. Ce système fait scandale, le Qatar a donc annoncé dans de vagues termes que la constitution allait être révisée sur ce point, sans communiquer de date particulière.

Se posent alors beaucoup de questions. Jusqu'à quand ces chantiers de la mort vont continuer? On parle officiellement de 1200 morts sur place, mais certains en évoquent même 4000. Rajoutez à cela le fait que le Qatar compte continuer de recruter de la main d'œuvre: jusqu'à 1,5 million de travailleurs supplémentaires pourraient affluer sur les chantiers. Stades, routes et aéroports n'auront jamais tué autant de personnes. Un massacre qui risque de continuer jusqu'en 2022 si les institutions concernées ne s'activent pas sur le dossier.

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