Elon Musk vient de révéler au grand public les contours de son vaisseau spatial à même d'emmener 100 personnes sur Mars et dont le premier vol habité, si tout fonctionne comme prévu, devrait partir fin 2024 pour se poser sur la surface martienne début 2025 (voir la vidéo de simulation).
Si l'on peut douter de ce calendrier, il serait bien présomptueux de considérer pour autant que la tâche est impossible compte tenu du rythme des progrès techniques accomplis à ce jour par SpaceX.
On peut pinailler sur le quand et comment, mais il est très probable que tôt ou tard, l'Homme aura la possibilité d'aller fouler Mars.
Mais une question reste entière : est-ce souhaitable ?
Voilà pourquoi il ne faut pas qu'Elon Musk envoie des hommes sur Mars :
- Nous avons beaucoup à perdre : Envoyer des hommes sur Mars accroîtrait démesurément les risques de contamination de la surface par nos milliers de milliards de microbes, ce qui compliquerait drastiquement la recherche de formes de vie martienne passée, présente, ou en devenir. Pourquoi endommager cette opportunité unique d'étudier Mars ?
- Aller sur Mars pour garantir la survie de notre espèce n'est ni nécessaire ni suffisant : Elon Musk redoute qu'une catastrophe vienne éradiquer notre espèce sur Terre, mais en y regardant de plus près, soit ces catastrophes, bien que destructrices, ne sont pas en mesure de nous tuer jusqu'au dernier (guerre nucléaire, épidémie, météorite, éruption volcanique), soit elles sont d'une nature telle (Intelligence artificielle) qu'il n'y aucune raison de penser qu'une colonie sur Mars serait épargnée.
Dans cet article, nous allons nous concentrer sur le premier point
On ne peut exclure à ce jour que des "habitats", c'est-à-dire en biologie des espaces à même d'héberger la vie, existent en surface de Mars. De nombreuses formes d'habitats sont envisagées. Ces habitats recèlent alors peut-être la vie, ou de fragiles traces de vie passée, ou encore une chimie d'avant la vie. Tout ceci serait fascinant à étudier pour mieux comprendre possiblement comment apparaît la vie, et mieux saisir notre place dans l'univers.
Par ailleurs, il faut bien comprendre qu'il est impossible d'envoyer des hommes sur Mars sans emmener avec eux des milliers de milliards de microbes. Notre corps est un assemblage d'environ dix mille milliards de cellules, et vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'il héberge aussi près de dix fois plus de microbes, soit cent mille milliards, répartis en une dizaine de milliers d'espèces! Notre peau elle-même abrite environ mille milliards de microbes ! L'air que nous respirons est aussi rempli de nombreux et invisibles micro-organismes.
Près des deux tiers de la quarantaine de missions envoyées vers Mars à ce jour se sont soldés par des échecs.
Les occasions de contamination sont légion : fuites d'air du vaisseau vers l'extérieur via le sas, fuites d'air à travers la combinaison des marsonautes, accidents (comme illustré dans le film The Martian/Seul sur Mars).
Mais le plus gros des risques est celui de crash au sol du module lors de "l'amarsissage". Poser un appareil à la surface de Mars est un exercice des plus périlleux. Près des deux tiers de la quarantaine de missions envoyées vers Mars à ce jour se sont soldés par des échecs. Dans ce scénario du pire, des centaines de milliers de milliards de microbes se retrouveraient à la surface même de l'astre rouge aux abords des lieux du crash.
On a longtemps pensé qu'une telle contamination serait brève et réversible, du fait des conditions martiennes hostiles à la vie. Mais la recherche a montré que certains micro-organismes pouvaient résister bien plus que prévu. Alors qu'on croyait qu'ils ne survivraient pas plus de 1 minute, 1 sur 1 million était toujours viable après un an et demi d'exposition à l'équivalent des rayons solaires reçus par Mars. Si les micro-organismes s'étaient retrouvés à l'ombre, alors 70 à 75% seraient toujours en vie après 18 mois.
Mais ce n'est pas tout, du fait des tempêtes de poussière qui balaient régulièrement Mars, nos microbes auraient vite fait de se retrouver disséminés aux quatre coins de la planète. La poussière pourrait les protéger des rayons cosmiques et des UVs. Il suffit que certaines spores se retrouvent à l'ombre pour pouvoir survivre jusqu'à plusieurs années aux radiations solaires et cosmiques. Une partie de ces microbes finirait par arriver par le hasard des vents dans les espaces éventuellement encore habitables, et certains d'entre eux, ceux qu'on appelle les extrêmophiles, pourraient alors sortir de leur hibernation et réactiver leur métabolisme.
Une telle contamination serait pour ainsi dire irréversible
Nous avons vu plus tôt qu'il paraissait très difficile de postuler l'absence d'habitats en surface de Mars. Et si habitats il y a, ils ne manqueraient donc pas d'être contaminés tôt au tard par nos extrêmophiles en cas de missions humaines. Le risque n'est donc pas si insignifiant, et en tout cas extraordinairement plus élevé qu'avec de simples missions robotisées. Pourquoi le prendre ?
Trois objections sont couramment opposées par les partisans d'une mission habitée sur Mars à ce raisonnement sur les risques de contamination. Si elles sont intéressantes, elles ne résistent pas à la critique. Vous pouvez les retrouver ainsi que leur réfutation ici: Présentation et réfutation des trois principales objections des partisans d'une mission humaine sur Mars face au risque de contamination.
L'exploration humaine de Mars ne semble donc pas justifiée face à ce que l'on risque de perdre au change, à savoir la chance unique de comprendre grâce à nos robots ce qu'il s'est passé sur une planète qui pendant un milliard d'années a eu des océans.
La vie y est-elle apparue ? Que la réponse soit positive ou non, dans tous les cas, elle sera fascinante et éclairante quant à notre place dans l'univers.
Que d'hardis explorateurs souhaitent prendre des risques avec leur propre vie, admettons, c'est leur choix.
Musk et consorts risquent surtout d'être maudits par nos descendants pour avoir sacrifié la science sur l'autel de la gloire, de l'hubris et de la déraison.
Mais par contre, compromettre sans retour une opportunité scientifique unique aussi importante, c'est une décision qui ne peut être laissée à l'appréciation de quelques individus, aussi fortunés, audacieux et ingénieux soient-ils ! Il appartient à la communauté mondiale de se prononcer après un vif et long débat bien informé.
À croire rendre service aux générations futures en s'empressant d'aller fouler Mars, à vouloir devenir les Christophe Colomb du troisième millénaire, Musk et consorts, biberonnés toute leur jeunesse au lait euphorisant de la science-fiction, risquent surtout d'être maudits par nos descendants pour avoir sacrifié la science sur l'autel de la gloire, de l'hubris et de la déraison.
Et ne pas envoyer l'Homme sur Mars ne doit pas nous empêcher de continuer à prospérer dans l'espace où tant reste à faire. Peut-être déjà avec un retour de l'homme sur la lune ?
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