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Julian Assange ou la persécution de l'e-anarchisme

Quand bien même l'alliance d'intérêt des États et des grandes firmes parviendrait à neutraliser Julian Assange, il est très probable que cela n'affaiblirait pas les réseaux e-anarchistes.
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Le combat de Julian Assange est mal compris par le grand public. À tort, le fondateur et porte-parole de Wikileaks est perçu tantôt comme un pirate nihiliste du web, tantôt comme un hippie diffusant des secrets diplomatiques par anti-américanisme irresponsable. La même erreur de perception vaut d'ailleurs pour la structure Wikileaks elle-même, ou encore pour le réseau Anonymous.

Ni irresponsables ni nihilistes, il s'agit en réalité d'e-anarchistes. De fait, ils mènent sur la "toile aux dimensions du monde" des combats inspirés par les concepts des grands penseurs anarchistes du XIXe siècle. Plus près de notre temps, leurs intellectuels de référence contemporains sont d'ailleurs eux aussi des anarchistes : notamment George Orwell, Noam Chomsky et Hakim Bey.

Il faut d'emblée préciser que les deux navires principaux de l'e-anarchisme contemporain, Wikileaks et Anonymous, n'ont ni la même nature ni la même structure. D'un côté, Wikileaks est un média e-anarchiste, militant de la liberté d'expression et d'information, doté d'un leader charismatique en la personne de Julian Assange. De l'autre, Anonymous est un réseau d'anarchisme appliqué : tous ceux qui s'y trouvent s'y font appeler "Anon" ; il n'y a pas de chef ; il n'y a aucune cause commune hormis celle de l'anonymat sur Internet. Les médias mainstream s'y trompent souvent : quand des Anons font un coup d'éclat ou un communiqué, ils l'imputent à Anonymous dans son ensemble.

Or, par définition, dans ce réseau totalement anarchique, le message, le coup d'éclat, n'engage que sa poignée d'auteurs, et jamais Anonymous dans sa totalité. Du reste, l'écrasante majorité des Anons n'a aucune activité militante. Le principal impact d'Anonymous sur Internet est en réalité artistique et culturel : c'est de cette nébuleuse que surgit une colossale production graphique anonyme qui, de filtre en filtre, atterrit sur les réseaux sociaux mainstream.

Cela rappelé, les e-anarchistes, dont Julian Assange est aujourd'hui la figure emblématique, militent pour qu'Internet soit un espace totalement anarchique : c'est-à-dire organisé, certes, mais sans propriété, ni restrictions, ni hiérarchie. Leur vision d'Internet est donc l'exact contraire du modèle propriétaire, hiérarchisé et soumis à censure incarné, par exemple, par Google. De cette position politique fondamentale découlent une série de combats e-anarchistes contemporains.

Les e-anarchistes militent pour le droit à l'anonymat sur Internet : au modèle Facebook, qui suppose que chacun soit identifiable et traçable, ils opposent ainsi le modèle de 4chan, une plateforme Internet underground où rigoureusement tout peut être partagé et discuté sans censure. Plus largement, ils s'opposent à toute censure sur Internet : ils promeuvent donc la liberté d'expression et d'information totale, ainsi que la neutralité politique totale des réseaux informatiques.

De même, ils combattent toute entrave à la circulation des biens culturels, que ce soit d'individu à individu ou par l'intermédiaire de plateformes de stockage. Nombre d'entre eux mettent d'ailleurs au point dans ce but des plateformes discrètes de streaming et de téléchargement, voire fabriquent des "débrideurs" (de petits programmes informatiques conçus pour aider l'utilisateur à contourner les barrières apposées aux vidéos).

Ils s'opposent à la vente de nos données individuelles par les entreprises qui parviennent à les détenir : ils militent donc pour l'inviolabilité de ces données. Ils s'opposent au droit de propriété intellectuelle ou artistique : ils militent pour la création collective sans propriétaire, dont Wikipédia est un bon exemple. Ils s'opposent aux programmes informatiques soumis au droit de la propriété, tels que ceux d'Apple : ils militent pour des programmes libres de droits, comme ceux de Linux. Plus largement, dès qu'il s'agit des États et des grandes firmes, ils militent pour l'open data : la transparence totale de toutes leurs données pour que tout individu puisse tout en savoir.

Dans le contexte de ce grand combat politique entre partisans de l'Internet anarchique et partisans de l'Internet propriétaire, Wikileaks entend affaiblir le pouvoir des États et des grandes firmes internationales sur les simples individus. Le raisonnement est le suivant : le cœur de ce pouvoir est l'asymétrie d'information dont profitent les États (collecte étatique obligatoire de nos données individuelles) et les grandes firmes (récolte et vente de nos données individuelles) ; donc, pour rééquilibrer le rapport de forces, il faut que les simples individus soient totalement informés sur les États et les grandes firmes. C'est pourquoi Wikileaks récolte et divulgue en abondance toutes les données qui lui parviennent sur les uns et les autres.

Au fil de ce bras de fer mondialisé, les ripostes des États et des grandes firmes sont de plus en plus violentes. Par exemple, leur politique conjointe pour restreindre de plus en plus la circulation de biens culturels s'accélère : législation Hadopi en France, fermeture du site Megavideo aux États-Unis, "brideurs" sur Mixture Video ou PureVid, limitations grandissantes sur YouTube, etc. Autre exemple, de grands réseaux de paiement en ligne - MasterCard, Visa, PayPal - ont entrepris de bloquer systématiquement les paiements en ligne destinés à soutenir financièrement Wikileaks. Last but not least, les exils forcés de Julian Assange à l'ambassade d'Équateur à Londres, et d'Edward Snowden en Russie, pour ne pas risquer d'être extradés aux États-Unis et d'y être jugés, en font objectivement les deux plus célèbres réfugiés politiques contemporains.

Quand bien même l'alliance d'intérêt des États et des grandes firmes parviendrait à neutraliser Julian Assange, il est très probable que cela n'affaiblirait pas les réseaux e-anarchistes. À cela deux raisons. La première, c'est que toute mesure contre lui accroîtrait à proportion son statut de "martyr de la cause": on retrouve ici le problème insoluble que posèrent un Gandhi ou un Martin Luther King, respectivement, à la puissance coloniale britannique et à l'État ségrégationniste américain. La seconde, c'est qu'à l'instar d'Anonymous, le fonctionnement des réseaux e-anarchistes est anarchique lui-même. Ils n'ont ni chef, ni hiérarchie : il est donc par définition impossible de décapiter une entité... qui n'a pas de tête !

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Avril 2018

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