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Le coquelicot martial

Au Québec, le 11 novembre n'est pas un jour férié alors évidemment les célébrations sont moins pompeuses. Cependant, nos Anglo-Montréalais ont encore fait des scandales pour rien.
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En ce mois de novembre, nous voici de nouveau dans une orgie de coquelicots. Le Ministère des Anciens combattants du Canada sert sa propagande un peu partout, même sur Facebook, avec le hashtag #Nelesoubliezpas (ou #RememberThem). On voit des uniformes, des gens qui marchent au pas, des garde-à-vous, des avions... bref, tout le cérémonial pour que nous nous sentions ne faire qu'un avec l'armée, avec les Forces armées canadiennes (FAC). Les mauvaises langues diront même « FARC », Forces armées royales canadiennes...

Au Québec, le 11 novembre n'est pas un jour férié alors évidemment les célébrations sont moins pompeuses. Cependant, nos Anglo-Montréalais ont encore fait des scandales pour rien. Un franchisé de Pharmaprix situé à Châteauguay a refusé que des membres de la Légion royale canadienne vendent des coquelicots sur son établissement. Il n'en fallait pas plus pour que CTV News en fasse un scandale et que la Légion envisage de boycotter la chaîne. Sur la page Facebook Put Back the Flag media (PBTF media), l'un des nombreux réseaux de la communauté anglophone de la région métropolitaine, on pouvait lire une volée d'insultes, et même quelques allusions oiseuses sur le fait que le franchisé s'appelle Youssef El Jadidi (ben oui : avec un nom pareil, vous êtes forcément un ennemi intérieur).

Finalement, le siège social fit pression sur le franchisé, qui fut contraint de faire des excuses et de donner 1000 $ au programme qui distribue les coquelicots. Franchement, ce côté martial au nationalisme canadien me dégoûte. Le message est clair : si vous ne soutenez ostensiblement les vétérans, et plus encore l'Armée, alors vous n'êtes pas digne de la qualité de « canadien ». Quand je pense qu'en plus ce nom est en vérité usurpé à son véritable détenteur, c'est particulièrement consternant.

Il semble qu'il n'y a pas qu'ici que ce jour du Souvenir a les allures de la fête romaine à l'honneur du dieu Mars. Il semble que cela soit aussi un problème en Angleterre. Le lecteur de nouvelles Jon Snow inventa même en 2006 le concept de « fascisme du coquelicot » pour désigner une pression sociale très forte pour que tout le monde forte la petite fleur. Les pressions deviennent de plus en plus agressives, et quiconque ne se plie pas est soupçonné d'être coupable de sédition.

On croit souvent que le coquelicot est un symbole innocent, mais non. Si vous lisez le poème qui l'a inspiré, In Flanders Field de John McCrae (un anglo-montréalais de McGill), vous vous rendrez compte qu'il est assez militariste en fait : « Take up our quarrel with the foe: / To you, from failing hands, we throw / The torch; be yours to hold it high. / If ye break faith with us who die / We shall not sleep, though poppies grow / In Flanders fields. » Autrement dit, si vous ne suivez pas notre exemple et ne partez pas mourir au combat comme nous, nous ne reposerons jamais en paix (autrement dit, nos fantômes vous mépriseront). L'adaptation française faite par Jean Pariseau est un peu moins explicite : « À vous jeunes désabusés, / À vous de porter l'oriflamme / Et de garder au fond de l'âme / Le goût de vivre en liberté. / Acceptez le défi, sinon / Les coquelicots se faneront / Au champ d'honneur. » Immédiatement, le poème d'origine servit à la propagande de guerre et tout de suite le symbole du coquelicot se répandit avant même que ne se termine la Première Guerre mondiale (1914-1918).

En 1933, en réponse au coquelicot rouge, apparut le coquelicot blanc, qui rejette la guerre. Québec solidaire a d'ailleurs délaissé le coquelicot rouge pour le coquelicot blanc. Margaret Thatcher avait un dégoût pour cette version-ci, si cela ne pouvait pas encore vous convaincre du militarisme du symbole. Le coquelicot n'a jamais été très populaire en Irlande d'ailleurs, car pour eux le jour du Souvenir était avant tout de la propagande impérialiste de l'Angleterre. Le symbole est toujours fréquemment perçu comme une insulte en Irlande, car récemment, un bar expulsait les clients qui portaient le coquelicot.

Il n'est peut-être pas très étonnant que le Jour du Coquelicot ne crée pas un grand engouement au Québec, en tout cas pas suffisamment pour que ce soit un jour férié. D'abord, rappelons-nous que le poème a été rédigé en anglais, alors il est tout naturel que ce soit une composante identitaire plus forte dans le monde anglo-saxon. Ensuite, la mémoire de cette guerre est blessée, au Québec comme en Irlande. N'oublions pas que le Québec de cette époque n'avait jamais été en faveur de guerres d'outre-mer qui ne l'intéressaient pas. Lors de la Seconde Guerre des Boers (1899-1902) [prononcez « Bour », pas « Boère »], Henri Bourrassa avait été très clair qu'il n'approuvait pas que nous soyons les larbins de l'Angleterre. En 1911, le premier ministre fédéral Wilfrid Laurier fut battu par les conservateurs de Borden lors des élections fédérales au Québec justement à cause de sa soumission à l'Empire britannique dans cette guerre. Ironiquement, les Québécois ne semblaient pas non plus être contre toute guerre d'outre-mer, comme peut en témoigner la fièvre qui exista à la même époque pour la défense des États pontificaux contre les troupes de Garibaldi, par exemple l'envoi de zouaves pontificaux dès 1868 (jusqu'à la prise de Rome en 1870). Longtemps, les zouaves furent honorés au Québec et même qu'une ville en Estrie et un boulevard à Montréal s'appellent d'après le Pape de l'époque, Pie IX. En 1917, la Loi du service militaire causa des émeutes. Il y eut des élections fédérales en 1917 et contrairement aux autres, les Québécois votèrent pour les libéraux de Wilfrid Laurier.

C'est aussi à cette époque que pour la première fois, la question de l'indépendance fut sérieusement soulevée avec la Motion Francœur en 1918, même si elle n'eut pas de suites. Le 1er avril 1918, les soldats amenés de Toronto étaient dans les rues de Québec et voulaient disperser une foule de manifestants. Comme ils bousculaient femmes et enfants, cela mit la foule en colère et ils jetèrent des pierres et de la glace aux soldats. Bien inutilement, l'ordre de tirer fut donné : quatre badauds qui n'étaient même pas dans la manifestation moururent. S'il y eut plusieurs volontaires québécois au début du conflit, si leurs combats furent héroïques dans ces circonstances particulièrement difficiles, il n'en demeure pas moins que pour plusieurs, ce fut aussi par la contrainte qu'ils furent recrutés. Pendant 73 ans, les Québécois ne pardonnèrent jamais aux conservateurs, qui ne furent jamais élus au Québec jusqu'en 1984 avec Brian Mulroney, parce qu'il promettait de promulguer une Constitution canadienne acceptable pour le Québec, ce qui bien sûr n'arriva jamais.

N'oublions pas que ces guerres ont été bien moins la résultante des volontés populaires qu'un simple jeu de géopolitique mené par les États, avec l'espoir de gains politiques dérisoires, souvent en contradiction avec les intérêts de leurs populations. En 1934, le Comité Nye aux États-Unis enquêta sur la participation étatsunienne à la Première Guerre mondiale. Il conclut que la raison principale pour laquelle ils sont entrés en guerre était qu'il était dans l'intérêt commercial des États-Unis que l'Angleterre ne perde pas. Nye faisait des parallèles entre les profits de l'industrie de l'armement aux États-Unis et la participation à cette guerre. Il fallut le génie politique de Franklin Delano Roosevelt et l'attaque de Pearl Harbor en 1941 pour que les États-Unis acceptent de retourner en guerre suite au dévoilement des conclusions de Nye.

On pourrait multiplier les exemples à l'infini, comme la rivalité navale anglo-allemande, l'espoir de gains territoriaux (irrédentisme), le besoin d'unité intérieure d'un Empire multinational (Empire austro-hongrois), etc. Les idéaux comme la lutte de la « Liberté » contre la tyrannie n'avaient rien à voir avec ces luttes. Donc non, les soldats de la Grande Guerre ne sont pas morts pour que nous puissions vivre libres. Ils sont morts principalement parce qu'on les envoyait à l'abattoir pour des raisons dérisoires de « petite politique », pour parler comme Martine Desjardins.

Ce n'est pas bien différent aujourd'hui. Quel sens a pour nous la Guerre en Afghanistan, la Guerre en Irak ? Avons-nous directement été lésés par ces peuples ? N'empirons-nous pas les calamités au Moyen-Orient par ces interventions inutiles, ne donnons-nous pas de l'eau au moulin des islamistes qui se veulent comme le seul pouvoir vraiment légitime dans le monde musulman ? Je ne suis pas du tout un pacifiste inconditionnel, mais avouons que faire la guerre pour des causes dont on se contrefout et qui apportent plus de problèmes qu'autre chose ne peut pas être qualifié autrement que par le vocable d'« absurde ».

Ainsi donc, faisons pour une fois honneur à notre devise et honorons le « Je me souviens », en n'entrant pas dans le jeu de la propagande militariste du Canada ou de certaines gens en uniforme qui harcèlent nos pharmacies, et ne portons plus le coquelicot rouge. Souvenons-nous des morts, hommes comme femmes (infirmières sur le front), souvenons-nous des circonstances historiques comme la propagande de guerre, l'autoritarisme des régimes soi-disant démocratiques, la censure, la souffrance dans les tranchées, la grippe espagnole, les gueules cassées, les grèves ouvrières, aux souffrances des tranchées, les généraux qui faisant valoir leur gloire en sacrifiant du sang qui n'était pas leur, mais cessons d'en faire une affaire de fierté, qui alimente un militarisme contemporain qui ne vise qu'à nous faire accepter des guerres qui nous laissent toujours aussi indifférents et qui ne servent qu'au Pentagone et leurs copains de Lockheed Martin (qui nous vendent en plus de mauvais avions). Et puis la guerre, ça coûte cher, et on a besoin de cet argent pour les hôpitaux définancés et les écoles sabordées, sans compter l'aide sociale qui est encore en train de devenir toujours moins accessible.

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