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La République dominicaine ou le mépris du bon sens et du droit international

La Communauté des États de la Caraïbe (Caricom) vient de décider de suspendre pour une seconde fois le traitement de la demande d'adhésion de la République dominicaine à l'organisation. Cette décision intervient à la suite de celle de la Cour constitutionnelle dominicaine de révoquer la citoyenneté et d'expatrier plus de 250 000 Dominicains notamment ceux nés de parents haïtiens à partir de 1929.
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La Communauté des États de la Caraïbe (Caricom) vient de décider de suspendre pour une seconde fois le traitement de la demande d'adhésion de la République dominicaine à l'organisation. Cette décision intervient à la suite de celle de la Cour constitutionnelle dominicaine de révoquer la citoyenneté et d'expatrier plus de 250 000 Dominicains notamment ceux nés de parents haïtiens à partir de 1929. Cette décision de la Caricom, prise non sans retard, sanctionne une victoire diplomatique pour Haïti dans une escalade qui n'est, semble-t-il, pas prête à prendre fin.

En effet, malgré les déclarations dénonçant ce choix antidémocratique venant des organisations de droits humains, comme le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) ou des personnalités importantes comme le prix Nobel Mario Vargas Llosa (y compris l'écrivaine Edwidge Danticat, la journaliste Michèle Montas et le philosophe américain Noam Chomsky), les dirigeants dominicains persistent et signent dans une loi qui va à l'encontre du très républicain principe du droit du sol et du jugement de 2005 prononcé par la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) lui demandant d'adapter ses pratiques d'immigration aux dispositions de la Convention interaméricaine relative aux droits de l'homme.

Ainsi, méprisant le bon sens et le droit international, les soldats dominicains ont commencé leur rafle après l'adoption par la Cour constitutionnelle dominicaine de l'arrêt TC/0168/13, le 23 septembre 2013. Ce qui n'est pas sans rappeler (il y a 78 ans de cela) le lent début du massacre de 35 000 Haïtiens inspiré par le dictateur dominicain Rafael Leonidas Trujillo, 3 ans après l'occupation « manu militari » américaine d'Haïti.

Si on prétend que certains Dominicains d'ascendance haïtienne ont volontairement pris le chemin du retour, il n'en est pas moins évident qu'ils ont été arbitrairement refoulés par l'armée dominicaine. Comment parler de retour quand la majorité n'a jamais été en Haïti, ne parlant ni français, ni créole-haïtien ? Pourquoi ne pas parler plutôt d'injustice ou de barbarie ?

Une fois encore, les autorités dominicaines prouvent qu'elles ont beaucoup fait. Elles ont si et tant fait pour attiser la haine entre deux peuples et détériorer les relations bilatérales avec un pays qui, raison historique oblige, a accepté de lui partager l'île Quisqueya. Malgré tout, beaucoup d'Haïtiens et Dominicains refusent d'être unis dans l'horreur imposée, car la haine pour plusieurs est le produit de petits esprits obscurcis. Comme en témoigne cette photo de médecins dominicains et haïtiens exerçant ensemble leur métier en République dominicaine et qui disent NON à toutes formes de barbarie, où qu'elles se trouvent. Pour un espoir de paix et de vivre ensemble sur l'île Boyo.

Les personnes au pouvoir en République dominicaine persistent et signent, elles refusent effrontément de laisser à des hommes, des femmes et des enfants de vivre dans leur propre pays, à l'endroit même ils prononcèrent pour la première fois : « Nous sommes chez nous ». Ce qui nourrit dans l'immédiat la barbarie ultranationaliste dominicaine en la renforçant graduellement, c'est l'arrêt TC/0168/13 de la Cour de constitutionnelle.

Le 11 février 2015, un mois, après la Marche républicaine à Paris en réaction à l'attentat de Charlie Hebdo, le cadavre de Harry Claude Jean a été retrouvé. Ce jeune Haïtien d'une vingtaine d'années est pourtant reconnu par les gens de la localité d'Ercilia Pepin comme étant quelqu'un de paisible qui cirait des chaussures. Il a été roué de coups et poignardé avant d'être pendu, pieds et poings liés sur une place publique à Santiago, deuxième ville de la République dominicaine. Le même mois, un autre Haïtien a été décapité.

Ces meurtres qui ne sont pas les seuls qui accompagnent les manifestations anti-haïtiennes en République dominicaine, où l'on peut apercevoir des individus brûler le drapeau haïtien, sont aussi des résultats de la décision de la Cour constitutionnelle dominicaine, qui a statué que les personnes nées en République dominicaine entre 1929 et 2010 de parents étrangers (précisément les Haïtiens) ayant émigré dans le pays n'auraient jamais dû recevoir la nationalité dominicaine et que celle-ci devait leur être retirée. Au point où des journalistes et défenseurs de droits civiques dominicains qui dénoncent fermement la discrimination envers leurs compatriotes Dominicains d'ascendance haïtienne (traités de traîtres à la patrie) ont signalé plusieurs menaces de mort à Amnistie Internationale.

Imaginez une seule seconde, des Afro-descendants, souvent victimes de racisme aux États-Unis se voient enlever d'une manière rétroactive leur nationalité américaine, pour devenir ipso facto « des apatrides » déportés vers l'Afrique, ailleurs dans des pays où ils n'ont jamais vécu. Décision qui pourrait changer le cours de l'histoire pour les enfants d'immigrants, et du fils de l'étudiant kényan devenu le premier président noir des États-Unis.

Vous devez savoir aussi que dans cette affaire, il y a la question de la couleur de la peau et le racisme. En témoigne, l'affaire Wilson Sentimo, ce Dominicain expulsé par l'armée de son propre pays vers Haïti, avant de retrouver sa terre natale. C'est par la couleur de sa peau que Sentimo a été identifié par l'armée dominicaine. Comme quoi le Noir n'aurait jamais dû recevoir la nationalité dominicaine ? Parmi tant d'autres cas, il y a le cas de madame Deisy Toussaint, journaliste et ancienne fonctionnaire du gouvernement, née sur le territoire dominicain et y a fait ses études, elle non plus, n'est pas épargnée par l'arrêt totalitaire TC/0168/13. Voici une situation profondément bouleversante, qui malheureusement ne fait pas la manchette de nos médias.

Finalement, cette décision de la Caricom de suspendre le traitement de la demande d'intégration de la République dominicaine à l'organisation est de bon augure pour l'espoir de tous ceux qui défendent le respect des droits humains. Espoir, qui peut être aussi trompeur que vain, ne viendra pourtant pas résoudre le problème lié à la résurgence du sentiment anti-haïtien en République dominicaine. N'empêchera pas non plus aux ultranationalistes xénophobes de se couvrir de honte.

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