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Octobre rose, ce « Moi » du cancer du sein

En octobre il semble nécessaire de conférer une visibilité publique non pas tant aux menaces du cancer du sein mais aux différentes approches proactives qui permettraient de les conjurer.
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Chaque année revient le mois d'octobre, et avec lui son cortège d'annonces. Le temps vire au gris, l'automne, l'hiver pointent déjà à l'horizon, les impôts ramènent aux contraintes du réel. Une fois passée la rentrée, la routine s'installe progressivement et réapparaissent les préoccupations du quotidien, certaines plus nécessaires ou urgentes que d'autres.

''Octobre rose'' est déjà là ; il s'annonce lui aussi et incite à nouveau à repenser au cancer du sein...

Il faut informer, prévenir et mobiliser nous dit-on : "Je te préviens cancer, je ne souhaite pas te voir, te revoir..." Pour moi, y être ainsi attentive c'est tout faire pour empêcher la maladie de se manifester à nouveau, maintenir la garde, poursuivre la lutte après la phase des traitements, tout mettre en œuvre pour qu'enfin le cancer puisse disparaître de mon champ de vision. Pour d'autres, prévenir c'est en quelque sorte une façon de s'en guérir en prenant l'initiative d'anticiper la menace et de l'éloigner sans pour autant éviter d'y penser. La recherche progresse, nous gagnons collectivement du terrain, l'espoir est possible, on évoque même pour certains cancers l'idée de maladie chronique, voire de guérison. Le fatalisme n'est plus recevable, l'appel aux dons prend toute sa signification afin que progresse encore la recherche et puissent être envisageables des stratégies thérapeutiques plus efficientes. ''Octobre rose'' nous le rappelle aussi, favoriser l'accès au dépistage, le rendre en quelque sorte familier en atténuant les craintes semble s'imposer comme une règle de vie.

Toutefois comment recevoir à titre personnel ce rappel annuel à la lucidité d'un face à face difficile, quand on a soi-même connu la maladie dans sa chair et autour de soi ? D'évidence la solidarité trouve en ces circonstances une réelle signification. J'en ai mieux saisi la valeur dans l'expérience de la maladie auprès d'autres personnes malades et des professionnels à nos côtés. L'annonce répétitive du mois d'octobre peut toutefois devenir lassante en ce qu'elle rappelle d'un parcours incertain, même s'il peut être rassurant de constater que les années passent et que la parole d'encouragement adressée par le cancérologue au cours d'une consultation difficile n'était pas une simple formule incantatoire : "Nous vieillirons ensemble." Les mots de rémission ou de guérison demeurent encore équivoques et irréels lorsque le moindre signe inquiète, au même titre que persiste l'angoisse de ce temps qui précède le contrôle régulier et scande une menace qui ne cessera jamais.

Comment trouver sa place dans ces célébrations qui reviennent d'année en année quand certains effets d'annonce ou les slogans forcément réducteurs des campagnes d'appel aux dons s'emploient à évoquer une réalité de la maladie qui nous est si étrangère, trop abstraite ou idéalisée afin que le message passe ? "Voulez-vous donner pour le cancer ? Non merci, j'ai déjà donné..." Et contrairement aux idées reçues, il n'y a pas à en attendre des bénéfices secondaires. Du reste, une fois que sont franchis les épisodes du traitement, les séquelles demeurent, ces meurtrissures que par élégance on s'efforce de dissimuler quand bien même elles bouleversent notre quotidien. On ose à peine évoquer avec les autres les conséquences d'une radiothérapie qui paralyse progressivement un bras, ou celles d'une irradiation avec une insuffisance respiratoire. Pour ne pas parler des marques et du marquage du corps, des amputations, ces stigmates indélébiles qui rappellent constamment que le cancer a tracé en nous sont territoire. Pour certains, c'est un peu comme pour des grands blessés de guerre que l'on a certes sauvé sur le moment mais qui dépérissent progressivement sans avoir jamais pu retrouver la vie d'avant et en perdant progressivement leur autonomie.

En octobre il semble nécessaire de conférer une visibilité publique non pas tant aux menaces du cancer du sein mais aux différentes approches proactives qui permettraient de les conjurer. Afin de dédramatiser les circonstances, le rose a été préféré au noir et c'est tant mieux... Y mettre de la douceur et la colorer de rose alors que la violence, la sensation d'injustice, l'atteinte de l'intégrité corporelle, la hantise des effets secondaires du traitement, l'angoisse de l'exclusion, de la solitude, de la perte d'emploi, de la précarité économique, et cette mort déjà possible qui semble se profiler si les stratégies thérapeutiques échouent, peut effectivement atténuer, pour certains, les représentations dramatiques de la maladie. Mais n'est-ce pas aussi tenter d'enchanter une réalité qui n'a rien de rose, de désinvolte, et dont il convient en toute lucidité d'admettre qu'elle nous confronte parfois au pire ?

Donner de la visibilité à ce qui ne s'exprime réellement qu'avec les mots de la fatigue et pour certaines femmes par le désespoir ne serait-ce que de l'abandon, contribue certainement à cette nécessaire dynamique de motivation et de mobilisation. Une telle démarche encourage, permet de mettre en commun des savoirs et des expériences, contribue à la valorisation et au financement de la recherche, à l'amélioration des conditions de vie des personnes malades et de leurs familles. Mais en pratique, ''octobre rose'' passé qu'advient-il des résolutions prises au cours de ce moment de sensibilisation ? Les femmes encore inquiètes par les possibles résultats d'un examen de dépistage, acceptent-elles davantage d'y recourir ? Comprennent-elles mieux qu'aujourd'hui les bénéfices du savoir sont supérieurs au maintien d'une position de refus entretenue par la peur de la vérité, dès lors que l'on peut accéder à un suivi dans bien des cas efficaces ? Lorsqu'il s'agit de personnes socialement marginalisées, est-ce que la mobilisation d'octobre parvient à les toucher alors qu'elles ont d'autres urgences de vie que l'attention portée à leur santé ? Notre société comprend-elle mieux l'engagement courageux de ceux qui font face à la maladie ?

(La suite du billet est sous la galerie)

Ces stars se sont battues contre le cancer

Depuis que j'ai vécu l'expérience de la maladie cancer, comme médecin je suis certainement encore plus sensible au respect de la dignité, de la liberté de décider selon ses valeurs, d'assumer ses choix sans être soumise à des contraintes. Je suis certainement encore plus attentive que je ne l'étais jusqu'alors aux réalités de la vulnérabilité, au sort des autres malades, à leur condition de vie. Mais je ne veux pas être assimilé pour autant à la cohorte des anciens malades et considère que ma singularité doit être respectée. Je ne serai jamais ''cancéreuse'', une ancienne combattante du cancer et considère que mon témoignage ne constitue qu'une touche parmi d'autres dans cette évocation d'un octobre situé dans le registre du rose ! C'est pourquoi j'éprouve quelques réticences à l'égard, par exemple, des initiatives publicitaires qui tenteraient d'imposer des visions de la maladie déconnectées de la réalité, ou des anciens malades qui professionnalisent leur expérience au nom d'une expertise qu'ils prétendent universaliser. Qu'il importe d'accéder de manière la plus précoce possible à un dépistage du cancer du sein semble d'autant plus se justifier que l'arsenal thérapeutique a gagné en efficacité. J'en suis le témoin direct. Mais dans ce domaine, la faculté d'appréciation de la personne doit inciter davantage à la responsabiliser, à lui permettre de s'approprier les éléments utiles à sa propre décision, qu'à tenir des propos sous forme d'injonctions parfois culpabilisantes. Faut-il le rappeler, le résultat d'un dépistage peut être l'annonce du cancer. Dès lors comment anticiper ce qui apparaît encore comme un verdict de mort, et l'accompagner afin que la femme surmonte ce moment redouté, s'approprie l'information et soit en capacité d'affronter elle-même la maladie ? L'accès à la prévention et au dépistage serait certainement plus évident, dans un contexte moins stigmatisant à l'égard des personnes atteintes de cancer et plus accueillant encore s'agissant des dispositifs de soins et d'accompagnement dans la maladie.

Les grandes marques de cosmétiques s'investissent pour adoucir, apaiser, restaurer, maintenir, embellir, valoriser la femme comme le serait un fidèle partenaire à ses côtés dans la vie. À la façon, en quelque sorte, d'un élixir qui masquerait les défauts, atténuerai les ridules, raviverait le teint, en fait redonnerait une apparence avantageuse et rétablirait aussi une certaine estime de soi, ''octobre rose'' contribue à gommer les traits les plus marqués du cancer du sein, à en apaiser les contours, à l'humaniser en lui donnant place au cœur de nos préoccupations sociales. Il rend ainsi possible nos solidarités en adoucissant l'image même de la maladie ainsi plus proche de chacun d'entre nous. En témoignent tant d'initiatives qui relayent au plus près du terrain l'effort national de sensibilisation. Celles qui vivent le cancer dans l'anonymat d'un parcours silencieux, éprouvent peut-être une considération qui leur manque si souvent et y puisent un encouragement qui tient pour beaucoup à l'attention qui leur est plus particulièrement portée pendant ce mois. Car le cancer nous rend fragile, il précarise le quotidien. Il s'insinue dans les interstices de l'existence et se rappelle constamment à nous. On ne peut l'oublier tant il laisse des traces que dissimule difficilement la femme marquée dans sa féminité et même dans sa dignité, lorsque les effets secondaires du cancer falsifient l'image qu'elle a d'elle-même et affectent sa relation avec les autres.

"Octobre rose" ne sera jamais un rendez-vous anodin. Il éveille et réveille, pour autant qu'elle se serait atténuée, ma conscience douloureuse du vécu de la maladie : ce "Moi du cancer".

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