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Facebook a déployé en l'espace d'une décennie son pouvoir de censure sur les mœurs à l'échelle de la planète. Facebook peut décider qu'une vidéo pourrait ne pas être transmise sur ses pages d'après le degré de sensibilité que ses «juges» perçoivent des gens les plus susceptibles d'être choqués.
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J'ai vu Céline Bonnier dans sa remarquable interprétation de La Reine Garçon au Théâtre du Nouveau Monde, en 2013. Un rôle de grande stature qu'elle a incarné avec sa force habituelle, dans une mise en scène sobre et puissante de Michel Marc Bouchard. J'ai également visionné récemment la bande-annonce du film présentant une Reine Garçon sensuelle et érotique dans une pièce sombre, où les corps semblent se délivrer des interdits de l'époque.

La corporation Facebook a retiré la bande-annonce de ses pages, respectant sa politique de censure. Le distributeur du film s'est retrouvé devant deux choix pour continuer à promouvoir ce film: changer la bande-annonce ou user des chemins traditionnels devenus beaucoup plus coûteux. Louis Dussault (distribution K-Film) était très contrarié de voir censurée cette bande-annonce, mille fois moins suggestive que tout ce que nous pouvons retrouver sur les interwebs. On est en 2016!

Il est vrai que le distributeur avait signé un contrat avec Facebook qui l'engageait à présenter un traitement d'image moralement correct. Mais à combien de nuances de gris monsieur Zuckerberg nous donne-t-il droit en tant que promoteur de nos pages? Qui sont les juges de son Tribunal moral? Le distributeur du film Louis Dussault s'est plié au contrat, non sans dénoncer cette entrave à la liberté d'expression et cette zone grise qui nous permet de négocier où la ligne se trace entre le noir et le blanc. Or il semble qu'avec Mark Zuckerberg le gris prend de nouveaux contrastes.

La marge de la censure acceptable est dorénavant le plus petit dénominateur commun.

Le plus petit dénominateur commun

C'est le nombre que la direction de Facebook a choisi de privilégier pour contrôler l'hygiène morale de ses usagers. La clientèle de monsieur Zuckerberg étant planétaire et accessible à tous (j'ose croire qu'il considère les 13 ans et moins supervisés par leurs parents), il a choisi les pays où la moralité est la plus stricte pour établir ses politiques éthiques corporatives. Que cette initiative noble empêche aussi et encore l'émancipation des femmes n'a pas effleuré l'esprit du jeune multimilliardaire.

La marge de la censure acceptable est dorénavant pour lui le plus petit dénominateur commun. Cela signifie que si vous êtes né au Pakistan et que votre télévision locale refuse de vous montrer un bout de sein ou qu'une scène entre deux femmes choque les Mormons de l'Utah, le Québec devra se soumettre au code vertueux des plus pudiques usagers de Facebook. Ainsi tous les produits sur la planète sont susceptibles d'être frappés de cet interdit moral par Facebook, contrat par défaut à l'appui.

À l'instar de ses frères mondialistes multiculturels, Mark Zuckerberg n'a pas choisi une moyenne planétaire, mais de normaliser le plus ascétique des points de vue, bâillonnant encore la femme dans sa propre liberté d'être et de s'exprimer.

À l'instar de nombreux pays occidentaux, le Québec voit dorénavant sa culture soumise à la police des mœurs de Facebook. Bien sûr, Radio-Canada, média national canadien, a également une ligne de censure, mais elle reflète la mentalité du pays. Facebook non.

Lorsque la prochaine génération Facebook aura bien intériorisé les codes moraux du puissant PDG, elle aura oublié que la liberté d'expression ne donnait pas de gagnant entre le petit et le grand...

Le fantôme de la liberté

Comme on dit, les jeunes n'auront vécu au Québec que sous l'égide politique du parti libéral du Québec. En 2018, ce seront 15 ans bien sonnés et presque ininterrompus de règne néolibéral, de «dépossession tranquille» et de destruction du tissu de notre sociale-démocratie. Un modèle libéral n'offrant plus aucune soif pour l'identité, mais la corruption comme gage de réussite et l'orthodoxie religieuse comme trait d'union du vivre ensemble.

Depuis plusieurs générations, on muselle l'humanisme qui a guidé notre conscience jusqu'à l'ère industrielle et on présente l'être humain comme une entité isolée et libre des règles plutôt que d'enseigner le respect de soi et des autres. Facebook ne peut pas remplacer l'éducation parentale ni scolaire.

«Internet et les médias sociaux deviennent des moyens de plus en plus communs de consommer l'information. En particulier pour les jeunes», souligne Debra Aho Williamson, analyste spécialiste du secteur pour eMarketer.

Lorsque la prochaine génération Facebook aura bien intériorisé les codes moraux du puissant PDG, elle aura oublié que la liberté d'expression ne donnait pas de gagnant entre le petit et le grand, mais laissait de la place à tous les points de vue.

En résumé, Facebook a déployé en l'espace d'une décennie son pouvoir de censure sur les mœurs à l'échelle de la planète. Facebook peut décider qu'une vidéo pourrait ne pas être transmise sur ses pages d'après le degré de sensibilité que ses «juges» perçoivent des gens les plus susceptibles d'être choqués. Un genre de charte canadienne des droits enchâssée dans la politique des services de diffusion mondiale de Facebook.

Déjà mise à mal par notre société de droit et ses chartes, la liberté d'expression n'a pas fini d'être réduite à sa plus petite expression... Et quand on ne peut plus contrôler les messages, on tire sur les messagers récalcitrants.

Vous croyez que ce sont des événements isolés et quelconques ne visant que la culture québécoise? Des produits de notre histoire mondiale sont également dans la mire éditoriale de monsieur Facebook. «Ce que Facebook fait en supprimant des photos de ce type, aussi bonnes soient leurs intentions, c'est éditer notre histoire commune» cite TVA. Bien sûr, l'entreprise a reculé devant la pression de la première ministre norvégienne. Il reste que Facebook est en train de s'arroger du pouvoir moral de baliser le bien et le mal, sans égard pour les différences nationales.

Les valeurs humanistes qui ont construit l'Occident fondent à vue d'œil. De la part d'un jeune loup créatif, on se serait attendu à un renouveau emballant, à quelque chose qui rallie l'intégrité humaine à la créativité, la responsabilité de sa propre conscience à la liberté, l'émancipation de la femme. En lieu et place, monsieur Zuckerberg nous propose un retour au Moyen-Âge. Il nous propose de devenir petits.

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