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Qu'on me pardonne de le dire crument, mais quand on prend un homme en otage et qu'on menace de le tuer, on entre dans un engrenage qui pourrait nous amener à effectivement devoir le tuer. On doit le savoir, le comprendre et s'y préparer. Les actes commis au détriment des James Cross et de Pierre Laporte ne sont pas anodins ni inoffensifs. Le croire est d'une totale candeur.
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PC

Paul Rose est mort il y a quelques jours et tous ceux qui, dans les journaux, font métier de plume et de nouvelles, dansent autour de la manière dont l'ex-felquiste devrait être qualifié. Dans sa chronique, Patrick Lagacé le souligne avec à-propos. Paul Rose est mort et bien des souvenirs reviennent à la mémoire de nombre de Québécois. Mais ce qui reste, c'est ce malaise à nommer ce qui arriva en octobre 1970.

À ce moment-là, j'avais 10 ans. Le même âge que Françoys Larue-Langlois, fils de Jacques Larue-Langlois, arrêté à cause de ses sympathies indépendantistes. Mais je n'ai certes pas vécu le même automne que celui qui a aujourd'hui plus de 50 ans et qu'on a vu dans le documentaire La Rafle, de Vincent Audet-Nadeau. Reste que, dans mon petit Laval, j'ai longtemps eu la conviction d'avoir vu les soldats venir chez nous et, pourquoi pas?, perquisitionner les lieux. C'est cependant un souvenir fabriqué par la mémoire, dont ma mère se rit vertement. Mais si les soldats ne sont pas venus regarder sous mon lit cet automne-là, il en est d'autres qui ont depuis longtemps fait le leur, de lit, quant à leur position sur les événements de cet automne.

Position différente, selon que l'on a des sympathies indépendantistes ou que l'on croit en la valeur de notre régime fédéral. On perçoit cette différence en comparant, toujours dans La Rafle, les propos d'un Julien Giguère, alors membre de la section antiterroriste du Service de police de Montréal, pour qui les felquistes étaient de simples criminels, avec ceux d'un Jacques Lanctôt qui, depuis un certain temps, proclame que sa cellule n'avait pas d'intention violente et qu'en aucun cas, ses membres n'auraient assassiné James Cross. Celui-ci ne semble pas avoir été très convaincu des intentions non-belliqueuses de ses ravisseurs, comme il en témoigne dans un autre film sur les événements d'octobre, intitulé L'Otage. Il est en effet difficile de peindre en apôtres de la non-violence des gens qui arrivent chez vous, arme au poing, et vous privent de votre liberté pendant un certain temps, en assurant à tous qu'ils vous tueront si les autorités n'acquiescent pas à leurs demandes.

Comme il est aussi ardu de suivre Jacques Lanctôt quand il dit avoir songé à libérer James Cross après avoir obtenu la lecture du manifeste à la télévision... pour avouer plus tard, dans le même segment d'émission ou presque, le découragement et l'angoisse des membres de sa cellule devant la lenteur des négociations. Bien sûr, on a appris que la mort de Pierre Laporte avait été accidentelle, version qui courait depuis longtemps mais devant laquelle il était permis de demeurer un rien sceptique, sachant combien il était difficile de croire qu'un des nôtres pouvait se livrer, en ces jours-là, à des actes aussi potentiellement violents. Mais, cette fois, ce serait officiel. Pierre Laporte est mort de s'être trop débattu pendant un transfert d'un refuge à un autre.

Ce jour-là, l'histoire est entrée chez nous par la voie de cette tragédie. Les enlèvements, qui étaient la simple expression d'une frustration intense de colonisés de l'intérieur, le coup de force pour éveiller la conscience des québécois, le préalable nécessaire à une révolution spontanée, s'étaient mués en meurtre. Ces gens-là, des nôtres, baptisés comme nous, qui allèrent aux mêmes écoles que nous, rappelle Foglia dans un article de La Presse du 9 octobre 2010, avaient commis l'irréparable. Beaucoup, par après, ont confié leur incrédulité : des journalistes, des sympathisants, et combien d'autres. C'était devenu sérieux. Même Francis Simard, de la cellule Chénier, entendu dans le documentaire La Belle Province, ne dit pas autrement. Comme si personne n'avait réellement songé à ce dénouement pourtant très probable. Ou comme si l'on était viscéralement convaincu du pacifisme foncier de ces gens exprimant une frustration nationale et sociale de tous très connue, familière. Comme si on avait joué à l'histoire, à la révolution, au terrorisme, mais sans totalement y croire. En pensant que tout cela finirait pacifiquement...

Qu'on me pardonne de le dire crument mais quand on prend un homme en otage et qu'on menace de le tuer, on entre dans un engrenage qui pourrait nous amener à effectivement devoir le tuer. On doit le savoir, le comprendre et s'y préparer. Les actes commis au détriment des James Cross et de Pierre Laporte ne sont pas anodins ni inoffensifs. Le croire est d'une totale candeur. En les perpétrant, les felquistes se sont mis au service de la violence. Il ne faut donc pas se surprendre qu'on leur ait répondu sur le même ton. Car l'état était mieux préparé à pareille activisme terroriste que ne l'étaient les felquistes. Si eux ont cru et espéré en leur victoire, c'est qu'ils étaient d'un angélisme surprenant. Angélisme fatal à Pierre Laporte.

Comment donc faudrait-il considérer Paul Rose? À moins que la vraie question soit plutôt : comment sommes-nous prêts à le considérer?

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