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La sexualité a-t-elle pour but la reproduction?

Nous nous interdisons une foule d'activités sexuelles avec des restrictions infondées, au nom de principes illusoires. Implicitement, ces critères s'appuient peu ou prou sur l'idée que "la sexualité a pour but la reproduction". Or, contre toute attente, c'est faux.
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Nous nous interdisons une foule d'activités sexuelles avec des restrictions infondées, au nom de principes illusoires comme la "contre-nature", le "mal", la "non-conformité à notre genre sexuel", la "perversion" (l'anormalité) ou encore la "barbarie" (un comportement contraire à notre culture). Implicitement, ces critères s'appuient peu ou prou sur l'idée que "la sexualité a pour but la reproduction". Or, contre toute attente, c'est faux.

Le point faible de cette opinion commune réside dans le petit mot "pour"

Dans la Genèse, Dieu crée le monde et les espèces animales "pour" l'homme, qui constitue le but et la fin de sa création. Il aurait donné à l'homme des yeux "pour" voir, un estomac "pour" digérer, une matrice "pour" porter le fœtus, etc.

Appliquée à la biologie en général, cette conception peut s'appuyer sur cet argument de Paley, qui procède à une comparaison: si vous trouvez une montre sur la plage, avec son mécanisme complexe, vous devez supposer qu'elle a été fabriquée en vue d'une fin par un être intelligent. Si ensuite vous découvrez l'incroyable complexité des êtres vivants et les différentes fonctions de leurs nombreux organes, vous êtes nécessairement amenés à penser qu'ils ont été conçus par un être infiniment intelligent.

Le créateur de la biologie, Aristote, partage un point de vue assez proche avec son idée de "cause finale". Chaque être vivant posséderait une âme et un "télos", un but qui lui est propre. Cette conception est dite "téléologique". L'homme aurait pour fin le bonheur en société. Ce serait sa "cause finale", autrement dit le type de cause le plus important pour expliquer son comportement. Dans ce cadre, on imagine facilement que le sexe ait pour fin la reproduction.

Deux problèmes majeurs affectent ces vieilles théories, que partage encore bien souvent l'opinion commune sans s'en rendre compte.

  • Le premier est une simple question de fait. La réalité s'entête à contredire cette vision du monde si rassurante. Certains organes ne remplissent aucune fonction. Nous connaissons le célèbre cas de l'appendice, qui non seulement ne sert à rien, mais encore peut devenir mortel. Nos pauvres poils ne nous protègent guère du froid. Et surtout, le clitoris ne sert absolument pas la reproduction. Il n'est même pas sollicité dans le coït basique. Toutes les études scientifiques pour lui découvrir un but (utile à la survie) ont échoué. Pire encore, comment expliquer que la sodomie puisse produire un orgasme à la personne sodomisée, et même un orgasme plus puissant que celui issu du coït censé amener à la reproduction? Et que dire de la jouissance du masochiste, ou des activités sexuelles entre deux animaux d'espèces différentes? La nature serait-elle perverse?
  • Ensuite, depuis au moins la révolution de Galilée, Descartes et Newton, un nouveau modèle explicatif s'est imposé en sciences. Pour rendre compte de la nature, ils exigent de ne recourir qu'à des causes et des effets physiques, sans employer la moindre intention de quelque créateur que ce soit. Ce sont des causes que la tradition aristotélicienne appelait "motrices", et qu'Aristote avait sous-estimées.

Dans ce nouveau cadre scientifique, les êtres vivants deviennent incompréhensibles: quel incroyable concours de causes et d'effets peut bien aboutir à un organe aussi complexe que l'œil, le cerveau humain ou les bien nommées trompes de Fallope?

Darwin et ses continuateurs ont trouvé la solution à ce défi. Entre chaque génération d'une espèce, des variations apparaissent et se multiplient sur des millions d'années. Les individus les plus aptes à survivre et se reproduire dans un environnement donné ont le plus de chances de transmettre leurs caractères à une descendance. Nos organes et nos activités sont apparus par sélection naturelle, relative à un environnement en constante évolution, ce qui vaut pour la sexualité elle-même.

La sélection directe pour un trait donné n'est pas le seul aspect de la sélection. Les organes corrélés génétiquement ou mécaniquement survivent également. Le clitoris existe pour cause de simple symétrie morphologique avec le sexe masculin, et ne gêne en rien la survie ou la reproduction.

Certaines activités sexuelles sont certes inutiles pour la reproduction, mais comportent un intérêt indirect. Un mécanisme naturel explique l'homosexualité, commune dans le règne animal: la sélection dite "de parentèle", d'après laquelle des traits bénéfiques pour tout individu apparenté au possesseur du trait (et pas seulement sa descendance directe) sont sélectionnables. Si les homosexuels développent un comportement altruiste envers les membres de leur famille, ils contribuent indirectement à la transmission de gènes proches des leurs. D'autres fonctions non reproductrices peuvent être liées à la sexualité. Les masturbations clitoridiennes réciproques entre femelles bonobos contribuent à la cohésion sociale du groupe, et donc à sa survie.

Chaque individu se trouve en concurrence avec les autres membres de son espèce. Supposons qu'ils soient tous aussi aptes à survivre dans leur environnement. Lesquels ont le plus de chance de transmettre leurs gènes? Ceux qui développent la plus grande activité sexuelle! La sélection naturelle favorise ceux qui prennent le plus de plaisir au sexe! Les plus excités se reproduisent le plus, et transmettent leurs gènes de surexcités!

"Trop désirer" est le lot naturel des animaux! Ils héritent d'une propension à la "surexcitation" (par rapport à ce qui serait nécessaire pour la stricte reproduction). Ils doivent bien l'évacuer d'une manière ou d'une autre, d'où l'incroyable quantité d'activités non reproductives dont ils font preuve. L'homme n'est pas une exception. Croire que les usages alternatifs de nos organes sexuels sont "pervers" sous prétexte qu'ils ne servent pas directement la survie ou la reproduction, c'est se méprendre sur le fonctionnement de la nature.

Mais l'homme ajoute à cet état des particularités qui compliquent encore la donne

L'homme moderne a hérité d'un cerveau particulier. La taille de son néocortex lui ouvre de nouvelles possibilités, bien difficiles à gérer. Il peut envisager l'avenir possible, se remémorer de nombreux souvenirs et manipuler des notions abstraites comme les propriétés mathématiques, les lois physiques ou les valeurs. En sexualité, l'imagination d'un Sade repousse les limites des pratiques usuelles.

Le cerveau humain est très plastique, il peut changer ses connaissances et ses comportements sur la base d'un large potentiel biologique. En sexualité, plus nous avançons dans la vie et plus nous nous découvrons de sources de désir et de plaisir.

Enfin, l'homo sapiens est loin d'avoir mis en actes toutes les possibilités de ce nouveau cerveau. Il est en pleine évolution mentale, la recherche bat son plein, bien des surprises nous attendent. Il ne faut pas imaginer que la sexualité soit une activité statique, connue et balisée, non seulement pour soi-même comme individu, mais encore pour l'humanité dans son ensemble. Nous ne cessons de découvrir.

Comme si cette immense liberté biologique et neurobiologique ne lui suffisait pas, l'homme a encore élargi le champ des possibles avec sa technologie. Il a poussé jusqu'à son terme le découplage entre sexualité et reproduction, avec les nombreux contraceptifs. Inversement, il peut s'assurer une descendance sans coïts (don du sperme, conception in vitro, mère porteuse, etc.). Il maîtrise également de mieux en mieux les maladies sexuellement transmissibles qui limitaient ses explorations. Il peut même s'assurer de la paternité d'un enfant sur simple test ADN, alors qu'auparavant sans doute la société devait mettre en place un lourd dispositif de contrainte à la fidélité, par le mariage, de prétendues lois divines et autres systèmes de contrôle étatico-religieux.

L'humanité prend tout juste connaissance de ses déterminations biologiques. Le sens de son histoire consiste à prendre le contrôle progressif de soi-même par la conscience croissante de son héritage naturel, issu d'un bricolage hasardeux et non intentionnel. L'homme moderne est comme un pilote d'avion en plein vol qui apprendrait au fur et à mesure à quoi servent tels indicateurs et commandes, pour s'extraire du pilotage automatique.

Le néocortex ouvre des voies toujours plus larges de réalisation de nos émotions et besoins primaires, en tenant compte du long terme. Le temps est venu de s'emparer rationnellement de notre sexualité héritée, au lieu de la subir aveuglément. L'humanité doit devenir adulte. La nature nous a ainsi légué une hyper excitabilité sexuelle et une immense liberté, que nous avons encore élargie. Face à ce champ de possibles dont il ignorait l'origine évolutionniste, nous comprenons que l'homme ait pu être pris de vertige existentiel et s'inventer des limites infondées. Mais une fois débarrassés de ces contraintes, nous demandons plus que jamais: que faire?

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Je pense donc je jouis, La philosophie du cul, ed. Max Milo

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