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Face à l’addiction de notre fille, mon mari et moi avons pris une impensable décision

Pendant des mois, Hannah a fait régner la terreur sur notre foyer — jusqu’à ce qu’une overdose l’envoie à ce qu’elle appelait “l’asile de fous”.
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Radu Bighian / EyeEm via Getty Images

À l'âge de 15 ans, ma fille Hannah m'a menacée de me couper les doigts, de me tuer dans mon sommeil et de mettre le feu à notre maison pendant que toute la famille s'y trouvait. Tel était le pouvoir de son mal, qui n'a mis que quelques mois à changer de simples sautes d'humeur en une véritable malveillance.

"Laissez-moi partir", hurlait-elle. "Je ne veux pas vivre avec vous!" Elle ne cessait de nous combattre tandis que nous luttions pour l'aider à surmonter ses diverses addictions: alcool, drogues diverses, automutilation. Mais nos efforts restaient vains.

C'était peut-être la difficulté d'arriver dans une nouvelle école. Ou encore les personnes qu'elle y a croisées. Bien plus tard, j'ai réalisé qu'il est inutile de faire porter aux autres la responsabilité de ses erreurs. Mais je voulais toujours trouver à la rage de ma fille une raison extérieure à notre famille, à l'éducation que nous lui avons donnée.

Il y a eu des signes d'alerte, mais pour qui n'en soupçonne pas l'existence, ils étaient faciles à cacher — fourrés dans un sac plastique au fond d'un cartable, dissimulés sous un lit, glissés entre les pages d'un journal intime. En y regardant de plus près, peut-être aurais-je mieux discerné le changement dans ses magnifiques œuvres d'art. Les paisibles paysages, les personnages sereins s'étaient mués en de sombres tableaux où régnaient le tourment et l'horreur: hommes terrifiés aux têtes remplacées par des cages, bébés avides qui tendaient des bras changés en tentacules... Si je l'avais plus souvent serrée dans mes bras, peut-être aurais-je senti les croûtes sur sa peau, les brûlures et coupures camouflées par ses manches longues. J'aurais aussi respiré son odeur — cet effluve de fumée, d'alcool et de désespoir qui ne la quittait plus. J'aurais pu comprendre. J'aurais dû comprendre.

Le temps que je réalise qu'Hannah avait des problèmes, il était déjà trop tard pour les demi-mesures. Toute la panoplie de punitions du système scolaire s'est montrée impuissante à empêcher son monde de s'écrouler. L'un après l'autre, les thérapeutes ont plié devant son mépris, son vocabulaire si raffiné devenu comme une lame prête à déchirer quiconque s'efforcerait de l'aider.

Face à son père, l'arme d'Hannah était les mots. Elle se délectait à lui raconter toutes ses frasques, la drogue, les aventures sexuelles. "Tu visualises un peu ça?" disait-elle en souriant, le regardant pâlir.

Sa pire victime était sa petite sœur Camilla: Hannah ne laissait jamais passer une occasion de s'en prendre à elle. "Espèce de petite peste, tu te crois meilleure que moi?" Chaque gifle, chaque poupée décapitée la poussait un peu plus dans le silence et le repli, son unique protection contre les attaques constantes de son aînée.

Face à son père, l'arme d'Hannah était les mots. Elle se délectait à lui raconter toutes ses frasques, la drogue, les aventures sexuelles. "Tu visualises un peu ça?" disait-elle en souriant, le regardant pâlir.

Et pour moi? Hannah a brisé tous les objets de famille que je chérissais, les vases de ma mère volant en éclats contre la pierre de notre cheminée. Elle crachait dans ma nourriture sous mes yeux. Elle m'assaillait jour après jour en hurlant, son langage et ses gestes d'une violence inouïe alors même qu'elle exigeait liberté de se déplacer, argent et indépendance.

Elle aussi souffrait. Les œuvres d'art si vibrantes qu'elle avait créées au fil des années ont toutes été détruites, recouvertes de peinture ou rageusement déchiquetées. Oh, le son des toiles lacérées, le sifflement furieux de la bombe, les cris de détresse qui s'échappaient de sa chambre... J'ai tenté de l'arrêter, ouvrant la porte à la volée pour me prendre en plein visage l'odeur brutale de la destruction. Hannah s'est retournée pour me dévisager, regard flamboyant, poings serrés. "Qu'est-ce que tu veux, putain?"

J'ai reculé.

Pendant des mois, Hannah a fait régner la terreur sur notre foyer — jusqu'à ce qu'une overdose l'envoie à ce qu'elle appelait "l'asile de fous". Nous lui rendions visite tous les jours, sapés par l'angoisse, la honte et l'épuisement. Chaque matin, nous faisions une heure de route pour rejoindre l'unité de soins psychiatriques où elle était pensionnaire — mais elle refusait notre présence, ses hurlements perçant les portes de métal gris qui nous séparaient d'elle pour envahir le couloir à l'odeur aseptisée: "Je ne les verrai pas. Je n'ai pas besoin d'eux. Dites-leur de partir, et qu'ils ne reviennent pas."

Après des mois de psychanalyse inutile, de fugues, de menaces et d'automutilation, nous avons fini par l'inscrire dans un programme de thérapie par l'aventure, espérant que des étrangers soient plus aptes que nous à la sauver. Au bout de trois mois passés sur les plaines enneigées du désert de l'Utah, nous l'avons ensuite envoyée dans un centre de désintoxication en milieu fermé, où elle aurait accès à tous les soins dont elle avait besoin. Enfin, craignant de la ramener dans la même ville, nous l'avons placée dans un foyer de groupe jusqu'à ce qu'elle ait fini l'école secondaire. Nous avons accepté cette immense perte — ainsi, bien sûr, que les frais associés — pour lui donner une chance de se relever. Puis, après un an et demi de séparation, nous l'avons ramenée chez nous.

Nous savions avoir fait quelque chose d'impensable en nous écartant ainsi pour laisser quelqu'un d'autre prendre le relais, misant son avenir dans un ultime pari. Nous savions qu'elle était en droit de nous en vouloir, de voir une trahison dans cet acte désespéré.

Nous ne savions pas à quoi nous attendre, la crainte et l'espérance brouillant notre vision de la situation. Qui allions-nous retrouver? Notre Hannah était-elle encore là, bien vivante? Avait-elle survécu à ce monstre qu'est l'addiction, ou avait-il eu raison de notre fille, ne laissant derrière lui qu'une coquille vide?

Je vivais dans la terreur que nos choix, qui, malgré toutes nos bonnes intentions, lui avaient imposé des moments si difficiles, aient creusé entre elle et nous un fossé éternel. Nous savions avoir fait quelque chose d'impensable en nous écartant ainsi pour laisser quelqu'un d'autre prendre le relais, misant son avenir dans un ultime pari. Nous savions qu'elle était en droit de nous en vouloir, de voir une trahison dans cet acte désespéré.

Elle est arrivée, hésitante au moment de franchir le seuil, telle une étrangère dans son propre foyer. Silencieuse, elle est passée d'une pièce à l'autre, semblant chercher son nouveau moi, s'efforcer de faire le tri de ses émotions et de se représenter un avenir. Elle n'a guère parlé de ce qu'elle avait vécu, et j'ai attendu. La colère, la peur et la tristesse étaient oubliées, remplacées par l'espoir.

Le pardon est un fruit de l'amour, un moment de grâce aussi rare que fragile. Après cette longue et terrible période de famine, nous étions déterminés à le croquer à pleines dents. Laissant derrière nous le passé, nous l'avons entourée de notre pardon tout au long de ce bref mais brillant été précédant son entrée à l'université. Notre souhait: chasser la honte et les regrets avant de la voir à nouveau partir, créer les conditions d'un nouveau départ. Bienvenue à la maison, Hannah, notre fille chérie. Sans trop nous accrocher à toi, nous ferons de notre mieux pour t'empêcher de chuter à nouveau. Elle était si fragile et nous si maladroits, mais nous avons réussi à ne pas l'étouffer. Elle nous a laissés la soutenir, la garder auprès de nous, l'espace d'un moment.

Notre famille ne sera plus jamais la même. Certains aspects ont été destructeurs. Chaque jour, nous subissons le jugement de personnes n'ayant jamais connu la douleur d'envoyer son enfant loin de soi. Nous porterons toujours cette culpabilité, tout particulièrement avec le temps, au fur et à mesure que changera le regard d'Hannah sur ce qu'elle a traversé. Bien sûr, malgré sa guérison, son intelligence et sa force, nous vivons dans l'angoisse d'une rechute.

Sur d'autres points, ces atroces épreuves nous ont enrichis. Nous sommes plus attentifs les uns aux autres. Nous tâchons de communiquer et de nous respecter; après ce long combat pour sauver notre foyer, après être passés si près du point de non-retour, nous sommes déterminés à ne plus jamais risquer de nous perdre. Cette expérience nous a fait grandir, en tant que famille et que personnes, et en cela, elle est un cadeau.

Quatre mois après son retour, pour la première fois, Hannah m'a offert une œuvre dont elle était l'auteure, en m'étreignant de toutes ses forces. J'ai déchiré le papier kraft pour révéler un tableau intitulé "Ces chemins que nous parcourons". J'ai reconnu le lieu où elle et moi nous promenions autrefois, près de l'océan, bien que l'artiste l'ait rendu plus sinueux et complexe que dans la réalité. Au dos de la toile était collé un mot: "Merci, maman, de m'avoir sauvé la vie. Je t'aime." C'est à cet instant que j'ai su qu'elle aussi m'avait pardonné.

Susan Burrowes est l'auteure de Off the Rails: One Family's Journey Through Teen Addiction [À la dérive: parcours d'une famille face à l'addiction d'une enfant]. Vous pouvez la contacter à l'adresse susan@susanburrowes.com ou la suivre sur Facebook.

Ce blogue, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast For Word.

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