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Oscars 2013: l'équilibre d'une industrie culturelle

L'Académie des arts et des sciences du cinéma semble s'ouvrir et devenir plus globale. Les Oscars ne sont plus la cérémoniedu passé. Ils nous montrent aussi qu'ils sont plus ouverts à l'originalité et à l'innovation.
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Bien qu'étant un des prix les plus prestigieux de la planète, les Oscars ne sont pas toujours très populaires pour les soit-disant "cinéphiles". En effet, ceux qui se considèrent comme de vrais fans de cinéma mettent souvent en avant que l'Académie des arts et des sciences du cinéma a tendance à récompenser des films typiquement Hollywoodiens et à éviter les films vraiment novateurs, avant-gardistes ou encore dans une langue autre que l'anglais. Ces derniers sont des films plus risqués aux niveaux financiers et artistiques.

Evidemment, le fait pour un film d'être simplement nominé lui apporte de réels bénéfices financiers. Et si la machine hollywoodienne crée une bonne partie des films aujourd'hui diffusés, n'est-ce pas logique que leurs blockbusters à gros budget soit récompensés et en retirent un certain bénéfice ? Les tendances des nominations sont changeantes mais les signes aujourd'hui suggèrent une plus grande ouverture de l'Académie.

Pour expliquer cette évolution, il est tout d'abord important de comprendre les traits communs que partagent les produits culturels. Les producteurs sont tous poussés et tirés entre deux types de consommateurs : les experts, qui ont beaucoup d'attentes en termes d'innovation et de prise de risque, et le grand public qui a, en général, des goûts plus prévisibles.

Dans de nombreuses industries culturelles, nous observons cette tension entre les exigences du marché et les exigences en termes d'excellence artistique - ce n'est pas toujours facile de trouver un équilibre. Prenons l'exemple de l'Opéra qui partage plusieurs points communs avec le cinéma. Dans cet univers, les blockbusters sont les œuvres de Verdi, de Puccini, de Rossini ou encore de Mozart. Les salles sont toujours complètes pour ces productions et sont donc en fait des choix populaires pour les producteurs. Cependant, ils comprennent que la partie la plus sophistiquée de l'auditoire a besoin de quelque chose de plus stimulant. L'Académie des arts et des sciences du cinéma nous montre aujourd'hui qu'il est de plus en plus soucieux de plaire aux deux extrémités de ce spectre.

En 2010, l'Académie a ainsi pris la décision d'élargir la liste des films nominés pour l'Oscar du meilleur film de cinq à dix nominés. Plusieurs estiment que cette décision a été prise afin de laisser plus de place à des films dits blockbusters qui pourraient ainsi attirer une plus large audience à la cérémonie. Cela dit, les "petits" films ont eux aussi une nouvelle opportunité d'être mis en avant et de partager le devant de la scène.

Par exemple, en 2011, "The Artist" de Michel Hazanavicius a remporté le prix du meilleur film, un évènement tout à fait surprenant. Bien que cette production rende hommage à l'histoire hollywoodienne, c'est tout de même un film très original, et donc un choix risqué pour l'Académie. D'ailleurs, sa nomination a joué un grand rôle dans son succès, allant très vite de la projection limitée à une diffusion large.

En effet, l'élargissement de cette liste de films nominés a permis aux "petits" films de devenir plus visibles et a eut un effet très positif sur ce secteur. "Amour" de Michael Haneke ne gagnera certainement pas le prix du meilleur film, néanmoins, sa nomination le pousse au regard du public américain et international et lui offre un coup de pouce au box-office. Pourtant ce film autrichien réalisé entièrement en français, n'est pas le genre de film qui attire généralement ce genre d'audience.

Pour soutenir cet argument, il est important de noter qu'aucun blockbuster ne figure parmi les nominés. Le seul candidat qui aurait pu songer à cet honneur aurait été "Skyfall" de Sam Mendes, qui a cependant été nommé dans d'autres catégories.

Ces dernières années, les Oscars ont certainement adopté une allure plus internationale. En 2008, l'actrice française Marion Cotillard remporta un Oscar pour son interprétation d'Edith Piaff dans "La Môme", une performance entièrement en français. Ce fut seulement la cinquième fois dans toute sa longue histoire que l'Académie récompensa une interprétation en langue étrangère. Et depuis lors, l'Espagnole Penelope Cruz (2008) et l'allemand Christophe Waltz (2009) ont réussi le même exploit. En 2009, "Slumdog Millionaire" de Danny Boyle - un film britannique qui relate l'histoire d'un groupe d'enfants parcourant les bidonvilles indiens - a connu un succès inattendu. En 2011, les Oscars faisaient l'éloge d'un autre film britannique, "Le discours d'un roi" de Tom Hooper.

Cette tendance à célébrer les films internationaux dégage un très bon signal. L'Académie semble s'ouvrir et devenir plus globale. Les Oscars ne sont plus la cérémonie "all-American" du passé.

Ils nous montrent aussi qu'ils sont plus ouverts à l'originalité et à l'innovation, et ne se focalisent pas uniquement sur la réalisation. "L'Histoire de Pi" d'Ang Lee est un bon exemple de film qui marie ces deux caractéristiques - il est à la fois merveilleusement exécuté, mais est aussi visuellement et conceptuellement innovant. Cela dit, d'autres films sont plus reconnus pour leur réalisation au sens strict du terme.

Cette année, la tendance des Oscars est très politique, tendance évidente au regard des élections de fin 2012. "Zero Dark Thirty" de Katherine Biggalow relate la recherche d'Oussama Ben Laden par le CIA, "Argo" de Ben Affleck se penche sur la crise des otages de 1979 en Iran, et "Lincoln" de Steven Spielberg raconte les événements qui ont mené à l'abolition de l'esclavage. Bien que n'étant pas particulièrement innovant, tous sont très habillement exécutés.

"Lincoln" est un film biographique très traditionnel, qui ne prend en fait pas beaucoup de risques, suivant une formule qui a fait ses preuves. Cela pourrait être un avantage en 2013. En effet, l'académie a fait un choix très inattendu en 2012 avec "The Artist", peut-être est-il temps de revenir vers quelque chose de plus traditionnelle ? - en particulier compte tenu du poids du sujet traité dans une année à caractère très politique.

Cette tendance politique n'est pas surprenante - il est probable que ce fut une décision consciente des studios de traiter un sujet qui est actuellement au premier plan. Leurs motivations continueront en effet a être régies par les envies du public. Les divisions spécialisées dédiés aux films plus originaux - Miramax, par exemple - ont du mal à survivre dans le climat économique actuel. Il y a toujours un risque élevé d'échec lorsqu'on essaye de faire quelque chose de nouveau.

Le problème critique dans l'industrie cinématographique est toujours la distribution. Seule une catégorie de films est bien distribuée. Et en générale, on est mieux distribué lorsqu'on joue selon les règles du jeu. Si un film sort de ces règles, il faudrait donner aux distributeurs une très bonne raison de le montrer. Mais, quelles pourraient être ces raisons ?

Avec un collègue du Département Marketing, Niek Althuizen, nous avons mené une expérience, montrant aux élèves une série de tableaux tout en changeant les noms des artistes. Ils ont évalué les tableaux de manière très différente selon le nom que nous leur avons donné. Quand l'artiste était bien connu, ils étaient beaucoup plus tolérants avec l'œuvre. Quand nous expliquions que c'était un artiste anonyme, ils étaient beaucoup plus critiques et moins enclins à accepter son univers et son esprit novateur. Le nom d'un artiste à un impact sur la façon dont nous percevons une œuvre et la prise de risques artistiques est jugé à travers le prisme du standing. C'est pourquoi beaucoup d'acteurs et de réalisateurs déjà bien connus ont tendance à être nominés lors des Oscars.

Les studios comptent sur la rentabilité des noms connus. D'ailleurs, les films qui ont générés les plus grands chiffres d'affaires sont très souvent des suites de films et donc des films qui s'appuient sur des formules bien testées. Les réalisateurs connus sont ceux qui bénéficient d'une plus grande liberté artistique. Cette année, on peut par exemple citer Ang Lee et Paul Thomas Anderson.

Il y a un équilibre de forces dans toutes les industries culturelles. Hollywood et leur Académie des arts et sciences du cinéma ont eu tendance à privilégier les films traditionnels et "grand public". Et tandis que les grands studios continueront à être la force motrice de l'industrie du film et que les "blockbusters" sont sources des plus grands revenus, les Oscars évoluent vers une plus grande ouverture envers les films novateurs et étrangers.

Si "Amour" ne triomphe pas cette année, on peut envisager qu'un film en langue autre que l'Anglais sera récompensé un jour. C'est ce que les tendances de l'Académie nous montrent aujourd'hui.

Source: ESSEC Knowledge, le portail en ligne de l'ESSEC dédié à la recherche, à l'expertise et au leadership académique de son corps professoral.

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