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Le crucifix à l'Assemblée nationale? Attention aux attaques simplistes!

Que les opposants à la Charte des Valeurs usent du crucifix à l'Assemblée nationale comme d'un argument pour traiter ceux qui aspirent à la laïcité a quelque chose de fallacieux.
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On fait beaucoup de cas dans le présent débat sur la «Charte des valeurs québécoises», de la place du crucifix la l'Assemblée nationale. Pour les opposants à toute intrusion dans la liberté de choix des individus, la seule présence de cet objet ostentatoire est une marque d'hypocrisie sans nom. Cet argumentaire est cependant un peu court.

« L'association entre les symbolismes religieux et politiques ne date pas d'hier et n'est pas particulier au Québec ». En fait, quand il est question de tout ce qui entoure la symbolique religieuse et le pouvoir, on demande à Québec de franchir une limite que les autres sociétés ou nations occidentales refusent; c'est-à-dire de renier les représentations du sacré dans les lieux où s'exerce le pouvoir.

Galichan cite quelques exemples très intéressants.

«En Grande-Bretagne, considérée comme la Mère des parlements, les élus siègent toujours dans un ancien monastère -Westminster signifie le monastère de l'ouest - qui est voisin d'une abbaye gothique du XIIIe siècle, toujours ouverte au culte. À Ottawa, le parlement canadien, qui s'inspire de celui de Londres, a repris le style néogothique, un style bien sécularisé, mais identifié à ses débuts à des églises et à des cathédrales.

Dans plusieurs autres pays démocratiques, on a adopté pour les lieux du pouvoir, une architecture de style néoclassique inspirée des temples de la Grèce antique par allusion aux origines anciennes de la démocratie. Les édifices de ce style sont souvent couronnés d'une coupole, symbole de l'univers associé à la perfection divine; c'est notamment le cas du Capitole à Washington.

Il s'agit là d'un héritage de l'âge classique que l'on retrouve aussi dans l'architecture chrétienne, par exemple à la basilique Saint-Pierre de Rome, ou à la cathédrale Saint-Paul à Londres. L'association symbolique du religieux et du politique n'est donc pas exceptionnelle. On la retrouve fréquemment dans des pays laïcs qui vivent une totale séparation entre l'Église et l'État.»

Le cas de l'Hôtel du Parlement à Québec est particulièrement intéressant en ce qu'il rapproche de façon intentionnelle le sacré, le religieux et le lieu de l'exercice du pouvoir. Galichan toujours :

«À Québec, l'hôtel du Parlement, œuvre d'Étienne-Eugène Taché (1836-1912), a été construit entre 1877 et 1886. L'édifice n'emprunte pas à l'architecture religieuse, mais au style monumental français du Second Empire. Taché a voulu en faire un manifeste dédié à l'histoire nationale et il a résumé son œuvre dans la devise «Je me souviens», dont il est également l'auteur. Le palais législatif se veut un livre ouvert racontant l'aventure des Amérindiens et des Français d'Amérique, puis des personnages illustres du Régime britannique.

Féru d'histoire, Taché sait la place que le catholicisme a occupée dans la fondation du pays. La Nouvelle-France s'est développée en partie grâce à l'élan mystique de la contre-réforme, et de nombreuses institutions ont vu le jour dans la colonie grâce au zèle des congrégations religieuses. Taché et ses successeurs, qui ont complété la décoration du parlement, ont naturellement accordé une place de choix à l'Église catholique dans ce lieu hautement symbolique.»

Mais ce qui est particulièrement intéressant dans l'article de Galichan, paru dans la revue Cap-aux-Diamants : la revue d'histoire du Québec, c'est le rappel des préceptes historiques qui expliquent la place du crucifix à l'Assemblée nationale. On ne saurait cogiter de la place du crucifix sans porter attention à l'argumentaire de cet historien :

D'abord le contexte historico-social...

«L'apparition du fameux crucifix est plus récente. C'est en 1936, par l'initiative du député unioniste de Labelle et secrétaire provincial, Albiny Paquette (1888-1978), que le crucifix a été installé au-dessus du trône de l'orateur. Par ce geste, il voulait rapprocher l'Église et l'État, voire s'inspirer de régimes corporatistes et théocratiques de l'époque. Avec les années, cette volonté a disparu et, en même temps, l'objet a perdu sa connotation culturelle pour rejoindre les autres symboles de commémoration religieuse de l'Assemblée. On peut situer ce passage dans les années 1970, avec la disparition de la prière qui ouvrait les séances parlementaires depuis 1922. Le crucifix a fait l'objet d'une restauration en 1982, par l'artiste Romuald Dion, ce qui a consacré son statut d'artefact et de pièce patrimoniale.

Ceux qui, de nos jours, remettent en question la présence du crucifix à l'Assemblée nationale en ont surtout contre la place centrale qu'il occupe, laquelle pourrait amener des visiteurs étrangers à se méprendre sur sa signification qui laisse supposer une quelconque tutelle ecclésiastique sur l'État. Jusqu'à maintenant, l'Assemblée nationale n'a pas jugé pertinent de reléguer le crucifix dans une vitrine du musée. On préfère y voir un objet symbolique et historique qui a accompagné l'aventure québécoise, tant dans les sphères du pouvoir que dans ses plus humbles manifestations.»

Mais plus important encore...

«On doit prendre la mesure de l'intégration de cette symbolique à l'ensemble du décor de l'hôtel du Parlement. Par la volonté de son concepteur, Eugène-Etienne Taché, l'édifice de l'Assemblée nationale porte plusieurs sceaux, celui des premières nations, celui de la France du Grand Siècle, celui de l'Empire britannique et, enfin, celui de la religion chrétienne. On ne saurait briser l'un sans altérer les autres. »

Que les opposants à la Charte des Valeurs du Québec usent du crucifix à l'Assemblée nationale comme d'un argument pour traiter ceux qui aspirent à la laïcité de l'état a quelque chose de fallacieux, car de tout temps, et tous les régimes politiques, le sacré est demeuré inscrit dans les lieux où s'exercent le pouvoir. Protéger le symbolisme historique au Québec s'inscrit tout à fait dans cette mouvance.

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